La guerre du blé
Cette période ultime de la préhistoire : au début, simple passage de la pierre taillée à la pierre polie, prend plus de consistance par-delà les techniques. Le chasseur-cueilleur va progressivement céder la place à l'agriculteur-éleveur. La culture des plantes, l'élevage des animaux, causes de l'accroissement démographique, s'accompagnent de l'abandon du nomadisme et de l'obligation de la sédentarité.
Le Néolithique a été longtemps le parent pauvre de la préhistoire. Seul comptait le Paléolithique. Les découvertes ininterrompues, en particulier dans la vallée de la Vézère, témoignent de l'intérêt et de la passion pour cette période de la préhistoire et du désintérêt pour la période qui va lui succéder : le Néolithique qui relève aux yeux de certains préhistoriens, de la banalité.
De nombreux scientifiques se sont insurgés contre cette injustice : Christian Chevillot en Dordogne, Jean Guilaine professeur au Collège de France et d'autres se sont employés à la réhabiliter : c'est ce qu'exprime le ton incisif et parfois agacé du petit mot (voir photo en tête de cet article) que m'a envoyé Jean Guilaine après une conférence donnée aux Eyzies, au cours de laquelle nous avons partagé quelques propos sur cette période injustement occultée.
Nous verrons l'intérêt de ce Néolithique fondateur de notre civilisation rurale et agricole mais il convient préalablement de la situer dans le temps.
Notre continent connaît de 115 000 bp (avant le présent) à 11 700 bp un maximum de froid : dans les Alpes, la température moyenne est de 10 à 12 degrés supérieure à la moyenne actuelle normale - le niveau de la mer s'abaisse de 125 mètres. Cette dernière des 4 périodes glaciaires (Wurm) terminée, le climat va se réchauffer, progressivement, favorisant ainsi l' apparition de l'agriculture.
Peu à peu, le chasseur-cueilleur cède la place à l'agriculteur-éleveur ; ces derniers, devenus sédentaires, vont chercher à tirer leur nourriture du sol.
Ils s'intéressent aux graminées riches en amidon (orge, seigle, sorgho, épeautre...) dont les modifications génétiques relèvent dans un premier temps d'un processus naturel antérieur mais aussi de la domestication de l'homme.
C'est l'épeautre qui sera l'objet de la première domestication et quand on sait que les céréales apportent à l'humanité 45% de ses calories, on mesure l'importance du Néolithique dont la révolution va précéder la révolution urbaine.
Partie du Croissant fertile, il y a environ 10 000 ans, elle ne gagnera l'Europe qu'à partir de 6500 ans bp.
Désormais, le blé et les autres céréales (tournesol ..) tiendront une place essentielle dans notre alimentation. La survie de certains pays en dépend.
Je n'ai pu m'empêcher en regardant le Tour de France traverser les champs de blé de la Beauce, promesses de belles moissons, de songer à ces champs d'Ukraine en feu et parsemés de trous d'obus.
Au Moyen-Age, l'incendie volontaire de récoltes était passible de la peine capitale.
Il nous faut une crise majeure pour qu'après "la guerre du feu " de J.H Rosny, surgisse celle du blé, céréale devenue un enjeu politique et diplomatique, objet de chantage.
Notre inquiétude actuelle est à la mesure de la ferveur et de l'admiration dont il fut l'objet. De Cérès, déesse des moissons et de la fertilité, aux joyeuses fêtes de battage, tout concourt à sacraliser un aliment dont on ne peut se passer. Rappelons-nous le temps où, à la campagne, on faisait le signe de croix sur le pain avant de l'entamer.
Coutume de la religion catholique ? Rituel pour conjurer le mauvais sort : dans les deux cas, c'est une marque de respect.
Battages à l'ancienne
Mon épouse me parle souvent de son grand-père, forgeron de son état dans la commune de Fleurac, qui, l'été venant, désertait sa forge et partait en Sarladais, faire les moissons avec sa moissonneuse-batteuse, fêté à l'aller comme au retour par la population du village.
En 1882, on écoutait religieusement une chanson de la France profonde "La chanson des blés d'or" : cliquez sur le titre pour écouter la chanson.
Mignonne quand le soir descendra sur la terre
Et que le rossignol viendra chanter encore
Quand le vent soufflera sur la verte bruyère
Nous irons écouter la chanson des blés d'or.
Mais, c'est peut-être un homme politique, un intellectuel qui en parle avec lyrisme et en fait un véritable hymne à la terre, au soleil et au labeur des hommes :
"Soleil père des blés qui sont pères de races.
L'union de la terre et du soleil n'eut pas suffi à engendrer ce blé.
Il y a fallu l'intervention de l'homme, de sa pensée inquiète et de sa volonté patiente ..
Cette grande mer de blé qui, depuis des milliers d'années, roule ses vagues, se couchant, dorée et chaude, pour redresser en mars son flot verdissant et frais, gonflée encore peu à peu en une magnifique crue d'or".
Jean Jaurès
C'est toujours un crève-coeur que de voir brûler un champ de blé. En l'été 1956, dans l'est constantinois, riche en blé dur , nous nous efforcions d'éteindre les feux allumés par les fellagas : peine perdue, un feu était-il éteint qu'un autre repartait. Les conditions ne se prêtaient pas à un affrontement, les champs continuaient de brûler.
Je ne sais pas où en sont les futures récoltes dans ce nord de l'Afrique où longtemps Carthage fut le grenier à blé de Rome. Tunisie, Algérie, Egypte, devront probablement avoir recours à l'importation.
Si, selon Jean Guilaine, le Néolithique a fait une grande entrée dans l'histoire, il saute aux yeux que, depuis quelques mois, notre blé, issu de graminées banales, a fait dans l'histoire une entrée fracassante.
Pierre Merlhiot
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