Mois de février 2023
Un ballon pour sauver la république
Départ de Léon Gambetta pour Tours (peintre Jules Didier, vers 1871, musée Carnavalet)
Ces derniers temps, la Une des quotidiens et titres des journaux télévisés était centrée sur l’apparition dans les cieux de l’Amérique du Nord, de sphères se détachant par l’éclat de leur blancheur sur le bleu céleste. Très rapidement, le NORAD, North American Aerospace Defense Command ou Commandement de la défense aérospatiale de l’Amérique du Nord, fait savoir qu’un ballon a été repéré à très haute altitude, a traversé l’Alaska, le Canada, le Montana, le Missouri.
Ballon d’origine chinoise, repéré et suivi de très près par les systèmes de surveillance, non démenti par le gouvernement chinois qui se fait rassurant en mentionnant que c’est là, un dirigeable civil destiné à des fins météorologiques. Argumentation assez peu convaincante et fâcheuse incursion dans l’espace aérien nord-américain. Aussitôt, va s’imposer l’hypothèse la plus vraisemblable, celle d’un système d’observation et d’espionnage en vue de détecter les systèmes de défense nord-américains.
Mais, cet évènement récent me donne l’occasion de rappeler que nous avons été des pionniers en matière de ballons ou d’aérostation.
1782 un ballon de dimensions imposantes auquel on accroche une nacelle, va s’élever dans le ciel de France, grâce à de l’air chaud diffusé à l’intérieur de l’enveloppe ; en l’occurrence, il s’agira de gaz pour cette expérience avant que l’on ne passe à l’air chaud, moins risqué.
La montgolfière est née, invention des frères Montgolfier. Un premier essai a lieu à Annonay, le 4 juin 1783, suivi d’un second, le 19 septembre, avec un coq, un mouton et un canard. Enfin ! Après des siècles de recherches dont celles effectuées par Léonard de Vinci, voici que l’homme va pouvoir s’élever au-dessus du plancher des vaches, réaliser un vieux rêve celui d’Icare : voler, défier la pesanteur.
Le 19 octobre, à la Folie Titon à Paris, rue de Montreuil, Jean-François Pilâtre de Rozier et Giroud de Villette montaient à bord de la nacelle, s’élevaient dans les airs retenus par une corde, un mois plus tard, démonstration était faite d’un parcours de 10kms.
Rien ne laissait présager qu’à peine un siècle après, cet évènement entraînerait des conséquences majeures pour le pays.
1870 deux nationalismes exacerbés se faisaient face, l’on sentait que l’impérialisme allemand, incarné par le chancelier Bismarck, ne pourrait être stoppé que par un coup d’arrêt. L’impératrice Eugénie, elle-même, y allait de sa propre verve, dominant de sa superbe un empereur fatigué et malade, déclarant le 14 juillet 1870 « que la guerre est inévitable si l’on a le souci de l’honneur du pays ».
Ainsi, le 19 juillet 1870, le gouvernement impérial se jetait dans la guerre avec la Prusse, sans avoir très exactement pris la mesure d’une armée à l’encadrement défaillant, au potentiel d’armement inférieur à celui de la Prusse, d’un régime usé et honni par une majorité de Français, un empereur à bout de souffle incapable d’animer et de conduire un conflit de cette ampleur et qui, une fois les hostilités déclenchées, va errer sur le champ de bataille pour aboutir à la désastreuse défaite de Sedan, le 3 septembre 1870, et à sa capture par l’ennemi.
Mais, finalement, pour bon nombre de citoyens et d’hommes politiques, c’était là, aussi, un grand espoir qui se levait, l’occasion de rétablir la République, le peuple souverain, la démocratie, les avancées et conquêtes de la Révolution de 1789 supprimées depuis environ 70 ans, par le coup d’Etat du 18 Brumaire an VIII (9 novembre 1799).
Certes, rien n’était acquis et des courants monarchistes puissants voire bonapartistes ne s’avouaient pas vaincus pour autant et allaient s’opposer au courant républicain. La République ne serait pas proclamée aussitôt. Deux politiciens éprouvés et courageux se dressèrent, cependant, députés de gauche, Léon Gambetta et Jules Favre, décidés à appuyer un gouvernement de combat émanant de la représentation nationale élue. Après bien des débats, la notion de république ne faisait pas, encore, l’unanimité et on penchait vers la mise en place d’une assemblée Constituante préalable, afin de ménager les oppositions.
Pourtant, une foule consistante d’environ 40 000 personnes s’était réunie devant le Palais Bourbon, avait envahi les jardins, poussant des clameurs en faveur de la république. Comment, dès lors, imposer à des députés plutôt timorés, conservateurs pour nombre d’entre eux, la nécessité et le souhait du peuple de voir émerger les idées républicaines toujours vivantes mais étouffées jusque là, au sein de la population ?
Le danger était grand de voir revenir le conservatisme, l’autoritarisme, l’arbitraire, dans cette fournaise trouble, indécise, après une défaite retentissante, alors que l’encerclement progressif de la capitale par les troupes prussiennes allait priver l’exécutif de ses liaisons avec le reste du pays. Un journaliste connu, républicain, patron de presse, directeur du journal d’opposition La Marseillaise, juste libéré de prison, fut porté en triomphe jusqu’à l’Hôtel de Ville où s’installa un gouvernement de Défense Nationale avec Jules Favre, vice-président et ministre des Affaires Etrangères et Léon Gambetta, ministre de l’Intérieur, lequel proclamera à Paris, le 4/09/1870, l’avènement de la République.
Mais, l’indécision fit que certains penchaient pour la négociation avec les Prussiens, d’autres pour la résistance dans un Paris quasiment assiégé avec un gouvernement impuissant. Des ébauches de négociation aboutirent à un échec, compte tenu des exigences prussiennes et le 27, les liaisons télégraphiques furent coupées notamment avec la délégation gouvernementale qui s’était installée à Tours.
Statue de Gambetta square Edouard Vaillant - Paris
C’est alors que Gambetta obtint l’accord de quitter Paris le 7/10/187O, afin de prendre en main cette Délégation gouvernementale dans laquelle siégeaient des personnalités politiques et organiser une défense et des forces armées, à partir de la province.
Depuis les hauteurs de Montmartre, place Saint-Pierre, dans un ballon de grandes dimensions, l’Armand-Barbès, vêtu d’un lourd manteau doublé de fourrure et d’une toque, voilà que s’élance dans les airs, le jeune et dynamique député républicain de 32 ans, ministre de l’intérieur, ce qui donne lieu à une scène solennelle d’adieux qu’immortalisa le célèbre photographe Nadar.
Voyage risqué ; et, d’ailleurs, le ballon déjà assez haut dans le ciel va essuyer plusieurs tirs de l’ennemi sans être, toutefois, touché. Mais, on pense à Jules Verne et à son livre publié en 1863 « Cinq semaines en ballon ». Quelle émotion suscite ce départ, d’une foule étonnée n’en croyant pas ses yeux en apercevant cette montgolfière s’élever dans le ciel de l’Île de France ; une première, un coup d’audace car ce pied de nez à l’ennemi suscite l’espoir, celui de la République triomphante et de son jeune chef.
Un second ballon l’accompagna, le George Sand, et l’écrivaine s’exclamera : « Cette fuite en ballon à travers l’ennemi est héroïque et neuve, certains disent qu’il va tout sauver : que Dieu les entende ! »
Le gouvernement de la Défense nationale. De haut en bas et de gauche à droite : Jules Favre, le général Trochu, Léon Gambetta, Emmanuel Arago, Adolphe Crémieux, Henri Rochefort, Ernest Picard, Alexandre Glais-Bizoin, Jules Simon, Louis-Antoine Garnier-Pagès, Jules Ferry, Eugène Pelletan.
Gambetta va reprendre en main, l’embryon d’exécutif qu’il est chargé d’animer, galvaniser l’opinion, organiser une nouvelle défense nationale qui viendrait renforcer la capitale et la dégager, effectuant de nombreux déplacements à travers le pays.
En dépit des obstacles qui vont surgir et des échecs des tentatives de résistance à l’initiative de Gambetta, en dépit, aussi, du dramatique affrontement entre la commune de Paris et le gouvernement conservateur de Thiers, Gambetta aura ranimé la flamme de la liberté, l’espoir d’une nouvelle République, la troisième, qui finira par trouver son chemin et faire triompher les idées de la Révolution de 1789.
Et, Gambetta de s’exclamer, malgré les revers, dans un discours du 26/09/1872, aux accents de tribun :
« N’ont-ils pas vu apparaître depuis la chute de l’empire, une génération neuve, ardente, quoique contenue, intelligente, propre aux affaires, amoureuse de la justice, soucieuse des droit généraux ? N’a-t-on pas vu dans tout le pays, apparaître un nouveau personnel politique électoral, un nouveau personnel du suffrage universel, les travailleurs des villes et des campagnes, ce monde du travail à qui appartient l’avenir, faire son entrée dans les affaires politiques ? N’est-ce pas l’avertissement caractéristique que le pays, après avoir essayé bien des formes de gouvernement, veut, enfin, s’adresser à une autre couche sociale pour expérimenter la forme républicaine. »
Et, le 23 avril 1875, dans un discours enflammé aux accents jauressiens sur la laïcité:
« Le grand effort de la République française a été pour affranchir la politique et le gouvernement du joug de diverses confessions religieuses. Nous ne sommes pas des théologiens, nous sommes des citoyens, des républicains, des politiques, des hommes civils : nous voulons que l’Etat nous ressemble et que la France soit la nation laïque par excellence... mes chers concitoyens, nous ne devons jamais laisser passer l’occasion de nous expliquer sur les principes et les affaires de la démocratie républicaine afin que ceux qui sont de bonne foi et qui ne nous connaissent pas, apprennent quelle est notre pensée tout entière, nous voulons la liberté partout et, en premier lieu, la liberté de conscience qui consiste d’abord à mettre l’Etat, les pouvoirs publics en dehors et au-dessus des dogmes et des pratiques des différentes confessions religieuses, à mettre la France à l’abri aussi bien des empiétements du sacerdoce que de l’empire. C’est là, le commencement et la fin de la liberté civile qui engendre la liberté politique ».
Ce sont là, les idées républicaines qu’emportait le ballon où se trouvait Léon Gambetta et qui se répandirent sur tout le pays.
Jacques Lannaud
Réponses au quiz de Jean-Matthieu Clôt du 19 février
REPONSES :
1) Quelle a été la durée de la Guerre de Cent Ans ?
116 ans
2) De quel pays les chapeaux dits panamas proviennent-ils ?
L'Équateur
3) De quel animal obtient-on le catgut ?
Des moutons et des chevaux
4) Durant quel mois, les Russes fêtent-ils la Révolution d'Octobre ?
Novembre
5) De quoi est fait un pinceau « en poils de chameau » ?
De poils de petit-gris,- un écureuil de Russie
6) Quel est l'animal qui a donné son nom au îles Canaries ?
Le chien
7) Quel était le prénom du Roi George VI ?
Albert
8) De quelle couleur est le roselin pourpré ?
Rouge cramoisi
9) D'où viennent les groseilles de Chine ?
De Nouvelle-Zélande
10) De quelle couleur sont les boîtes noires des avions commerciaux ?
Orange
Vous avez échoué ?
Moi aussi...!!
Et, je ne vous crois pas vraiment si vous prétendez avoir eu 3 réponses exactes !
J-M C
Eh bien, Jean-Matthieu, deux lecteurs du blog ont trouvé au moins 3 bonnes réponses : Jacques Lannaud (4) et Françoise Maraval (3) , Gérard Hicès a raté d'un cheveu (2).
C Merlhiot
Voeux de bon rétablissement
Pierre Fabre vient de me faire savoir que suite à un accident de jardinage, il serait indisponible pendant au moins 15 jours.
Je lui souhaite un prompt rétablissement.
Catherine Merlhiot
PS : vous pouvez m'envoyer vos contributions pour le blog à catherinemerlhiot@gmail.com
Petit test à l'attention des lecteurs
Jean-Matthieu Clot nous propose, pour changer un peu et détendre l'atmosphère, un petit test ludique :
3 réponses justes sur 10 suffisent pour réussir !
1) Quelle a été la durée de la Guerre de Cent Ans ?
2) De quel pays, les chapeaux dits “panamas” proviennent-ils ?
3) De quel animal obtient-on le catgut ? (“boyau de chat” en anglais)
4) Durant quel mois, les Russes fêtent-ils la Révolution d'Octobre ?
5) De quoi est fait un pinceau « en poils de chameau » ?
6) Quel est l'animal qui a donné son nom aux îles Canaries ?
7) Quel était le prénom du Roi George VI ?
8) De quelle couleur est le roselin (oiseau) pourpré ?
9) D'où viennent les groseilles de Chine ?
10) De quelle couleur sont les boîtes noires à bord des avions commerciaux ?
Rappelez-vous que 3 réponses correctes suffisent pour réussir.
Réfléchissez bien, à la semaine prochaine pour les réponses.
Se jeter dans la gueule du loup : L’affrontement entre Louis XI et Charles le Téméraire
Louis XI
Reportons-nous 557- 560 ans en arrière, autour des années 1466-1467-1468, sous le règne du roi Louis XI, homme avisé, prudent, qu’on disait doté d’un esprit vif, fin psychologue, rusé et qui n’entretenait pas de relations très chaleureuses avec" son cousin" Charles de Bourgogne.
Ils se connaissent, pourtant, de longue date puisqu’il l’a côtoyé pendant dix ans, à la cour de son père Philippe le Bon, sous le nom de Comte de Charolais. Louis avait dû fuir la cour de France à cause d’un différend avec son père Charles VII qu’il ne reverra plus et auquel il succèdera le 22 juillet 1461, sacré à la cathédrale de Reims, le 15 août suivant.
Après une longue chevauchée à travers le royaume, poursuivi par une troupe de gens armés à ses trousses, le dauphin Louis passe la frontière avec le comté Venaissin et gagne le Dauphiné.
Sauvé des griffes de Charles VII, il se réfugie chez Philippe le Bon, dans son château des ducs de Brabant, près de Bruxelles, qui lui accorde outre l’asile, le 15/10/1456, le château de Genappe et une pension annuelle de 48000 livres, au grand dam du roi Charles VII qui s’écria à l’annonce de la nouvelle : « Mon cousin de Bourgogne a donné asile à un renard qui, un jour, lui dévorera ses poules. »
Louis, a-t-il été ce roi cruel, fourbe, torturant ses ennemis avant de les mettre dans des cages en fer puis de les exécuter, tel que l’ont caricaturé certains historiens influencés par l’évêque Thomas Basin qui en fit un portrait posthume désavantageux, tel aussi que s’en est emparé l’écrivain écossais Walter Scott dans son roman Quentin Durward ?
Doit-on, plutôt, se fier à l’historiographie moderne que représente le grand historien anglais, Paul Murray Kendall, dont le livre « Louis XI » paru en 1971, avait fait quelque peu sensation à l’époque, dépeignant un roi se débattant dans un environnement hostile, séquelles d’un royaume désorganisé par la guerre de Cent ans, entouré de vassaux rebelles souhaitant sa fin, au milieu de coalitions anglo-bourguignonnes voulant s’en débarrasser et se partager le royaume de France ?
Un roi doué d’une personnalité extraordinairement diverse et complexe, aux yeux noirs, aux cheveux bruns, au long nez, petites jambes, pouvant se montrer affable et tenir la conversation que ses adversaires qualifièrent « d’universelle aragne », voulant dire par là qu’il était rusé, acharné, toujours en éveil, passant au peigne fin tous les billets, rapports, mémoires venant des quatre coins du territoire et de l’étranger adressés au roi par de multiples informateurs intérieurs, extérieurs, ambassadeurs, princes...habile diplomate et négociateur.
Il séjournait souvent dans son château de Plessis-Lès-Tours, jugé comme « mesquine » demeure, par une délégation de Bohème de passage, s’adonnait à la chasse, son sport favori, dans les forêts épaisses et giboyeuses de Meung-sur- Loire, avec, souvent, l’ambassadeur milanais représentant son fidèle allié le duc de Milan, Francesco Sforza, lequel notait « qu’il chassait presque tous les jours et le plus souvent avec une dame sur sa selle. »
Charles le téméraire
Le roi gardait un cuisant souvenir de la Ligue du Bien Public, révolte des grands vassaux contre l’autorité royale, initiée de mars à octobre 1465, par son frère Charles de France et Charles le Téméraire, avec en sous-main l’ennemi anglais dont il avait dû affronter la coalition à Montlhéry sans pouvoir se départager, le roi s’étant empressé de quitter le champ de bataille, le duc avait déclaré avoir remporté la victoire.
L’histoire n’en reste pas là. Au cours de l’année 1468, une trêve signée avec le duc est prolongée : le 3 juillet, en effet, il épousait la princesse d’York, sœur du roi Edouard IV.
La trêve échue et non prolongée dans les délais, Louis XI en profita pour tenter d’ouvrir une brèche dans l’alliance Bretagne-Bourgogne et envoie trois armées contre la Bretagne. Colère du duc qui se sent trahi. Le 15 septembre, on informe le roi que les troupes adverses étaient défaites ; un accord, le traité d’Ancenis, sera signé consacrant la division des coalisés : François II de Bretagne renonçait à son alliance avec les Anglais et Charles, le frère du roi, à ses prétentions sur la Normandie. Le duc de Bourgogne entra, alors, dans une telle rage que « le pauvre héraut ayant apporté la nouvelle, fut en très grand danger ».
La situation semblait tourner à l’avantage du roi d’autant que les Anglais n’étaient pas prêts à revenir : lever un corps expéditionnaire coûtait très cher au trésor beaucoup moins florissant. Les capitaines de Louis dont le grand Maître de la Maison du roi, Antoine de Chabannes, et les maréchaux préconisaient une attaque immédiate contre « cet arrogant rebelle, ce maudit traître anglais » qu’incarnait pour eux Charles, l’armée royale étant cantonnée dans les environs de Péronne et celle du Bourguignon, dispersée sur les bords de la Somme à cause des pluies.
Mais, le roi s’obstine malgré le peu d’enthousiasme de Charles à vouloir le rencontrer et au cardinal Balue, son intermédiaire, il dit : « Cardinal, ne faites rien pour empêcher l’entrevue car j’entends l’obtenir. »
Le duc hésitait d’autant qu’il avait de graves démêlés avec l’Etat-ville de Liège qu’il voulait intégrer dans l’état bourguignon que le roi soutenait. Toutefois, le 6 octobre, il se décide et envoie au roi une garantie de sécurité signée de sa main : « Votre très humble et très obéissant sujet. Charles. »
Le lendemain, avec une modeste escorte, sans arme ni armure, le roi de France se met en route pour Péronne. Abandonnant derrière lui, ses chevaux et tous ses hommes, il se place de lui-même entre les mains de son plus puissant ennemi.
Comment comprendre cette obstination sinon comme la volonté pacifique de trouver un compromis, d’entamer des pourparlers plutôt que de faire parler les armes, espérant mettre fin à l’alliance redoutable anglo-bourguignonne dans un contexte de retrouvailles. Le scénario, cependant, va tourner dans un sens que n’avait, peut-être, pas prévu le roi et se révéler très complexe et très dangereux.
Charles de Bourgogne n’était pas homme à faire des concessions surtout à la tête d’un état aussi puissant et riche, aimant le faste, orgueilleux, vaniteux, vindicatif, impulsif, pouvant se montrer coléreux voire violent.
Sur le chemin, pas loin de Péronne, apparaît un brillant cortège d’environ 200 cavaliers venant à la rencontre de la modeste escorte royale et du roi dans une simple tenue de chasse. Charles, en tant que vassal, fit la révérence, le roi le prit dans ses bras pour une accolade.
Mais, la bonne humeur de départ fit place, rapidement, à une ambiance plutôt morose voire tendue ; car, une fois le duc éclipsé, un bruit d’armes se fit entendre, provoqué par une brochette d’ennemis bien connus du roi qui se rendit compte qu’il était encerclé par des archers bourguignons menaçants, réalisant qu’il n’était plus aussi libre et que, en tant que suzerain, on le traitait en vassal.
Cerné d’ennemis et d’hommes en armes, les discussions s’engagèrent, cependant. Devant la lenteur des progrès et pour gagner la faveur de Charles, Louis se dit prêt à faire des concessions afin, dit-il, : « de s’occuper de son royaume et ne plus avoir la crainte d’une nouvelle invasion anglaise. » :
-renoncer à l’alliance anglaise, rompre les liens entre Bourgogne et Bretagne, s’engager à être un vassal loyal, telles étaient formulées les demandes du roi. En retour, Charles exigeait que soit compensé Charles de France, spolié de la Normandie par le traité d’Ancenis et lui concéder la Champagne qui jouxte la Bourgogne, et le duc d’ajouter qu’il ferait en sorte de ne pas prêter main forte aux Anglais.
Mais que valent des promesses dans un tel contexte conflictuel, d’autant qu’on venait d’annoncer l’insurrection de Liège que l’évêque et le gouverneur, le seigneur d’Humbercourt, soutiens de Charles, avaient été destitués et possiblement assassinés, sachant que le roi de France était impliqué dans cette révolte.
Le piège se refermerait-il sur Louis XI, prisonnier du duc, n’étant plus libre de ses mouvements, face à un ennemi rendu coléreux et violent à cause des faits rapportés par des messagers en provenance de Liège, forte du soutien du roi de France qui excitait les ennemis du duc.
Malgré sa grande inquiétude et son agitation, le roi se gardait bien de dévoiler ses angoisses et sa crainte. Coupé de son entourage, seul dans une petite pièce quelconque, il affichait, au contraire, calme et sérénité, devant son cousin vindicatif, prononçant les paroles les plus apaisantes possibles, formulant sa désapprobation de l’attitude impardonnable de Liège, se disant disposé à suivre le duc pour « rétablir l’ordre ». Les bruits les plus divers circulaient dans cet univers clos ; certains voulant, purement et simplement, éliminer le roi, d’autres suggérant qu’on fasse appel à son frère pour le remplacer, d’autres, encore, membres de la Toison d’Or, tentaient de convaincre le duc qu’il serait déshonorant de violer son sauf-conduit et lui conseillaient d’accepter le traité proposé, aménagé d’autres concessions. On disait : « Le roi a grande peur d’être emprisonné de force et il en va de même pour tous ses compagnons. » ; la nuit du 12 octobre, il s’était déguisé, envisageant de fuir mais le péril était trop grand.
Philippe de Commynes
Un homme va jouer un très grand rôle dans ce contexte anxiogène : un des chambriers de Charles, à peine vingt ans, conseiller et chambellan, devenu un historien célèbre, Philippe de Commynes : il va réussir à apaiser son maître et à le détourner de ses sombres pensées. Finalement, il obtient au matin du 14/12 que si le roi acceptait de signer le traité aménagé et de l’accompagner à Liège, aucun mal ne saurait lui arriver ; en cas contraire, « il se mettrait en si grand péril que nul plus grand ne pourrait lui advenir. »
Dès lors, Louis accepta les conditions du duc, à savoir que soit vengée la trahison de la ville, la signature du traité et qu’il emmènerait avec lui une armée, aux conditions de Charles, pour participer au sac de Liège, sa garde écossaise et quatre cents lances. Plus tard, se souvenant de l’inestimable service que lui avait rendu Philippe de Commynes qui était passé à la cour du roi, celui-ci déclara : « en notre grande et extrême nécessité à la délivrance de notre personne, notre dit conseiller et chambellan, sans crainte du danger qui en pourrait alors venir, nous avertit de tout ce qu’il pouvait pour notre bien et, tellement s’employa que, par son moyen et aide, nous saillimes hors des mains de nos rebelles et désobéissants. »
Puis, le roi Louis ayant subi grande humiliation pour sa participation au sac de la ville, son alliée, n’avait plus qu’une idée en tête : se sortir de ce traquenard dans lequel il s’était jeté comme dans la gueule du loup, comme s’il était allé à Canossa.
En grande humilité, avec des paroles toutes avenantes, honteux d’avoir ainsi participé à la correction de la population liégeoise, son amie, il fit part à son cousin de son intention de regagner la France afin de faire enregistrer le traité qu’ils avaient signé, dans les plus brefs délais, par le Parlement.
Bien qu’indécis, le duc lui signifia qu’il le suivrait jusqu’à la frontière, pour le remettre à ses gens, ce qui n’était pas du goût du roi mais il n’en montra rien et c’est ainsi que le renard crotté parvint à s’échapper du repaire du loup, ce fut la dernière fois qu’il se voyaient.
Edouard IV
L’entrevue de Péronne a fait couler beaucoup d’encre mais, si le roi avait été humilié et son honneur sali, Louis XI savait que la redoutable alliance anglo-bourguignonne aurait beaucoup de mal à se ressouder et la tentative esquissée par Charles en 1475 échoua grâce à l’anticipation du roi qui se mit d’accord avec Edouard IV.
Ensuite, le renard sut attendre le bon moment et par l’intermédiaire de ses alliés suisses qu’il subventionnait et de mercenaires italiens, il infligera deux défaites cuisantes au duc de Bourgogne, d’abord à Morat puis à Grandson, en mars et juin 1476, qui, dépité, s’en alla mettre le siège devant les remparts de Nancy, tenu par le roi René II d’Anjou, où il périt par un froid glacial le 5 janvier 1477. On retrouvera, plus tard, le crâne fendu par une hallebarde en partie dévoré par les loups.
L’alliance Bourgogne-Angleterre avait vécu.
Jacques Lannaud
photos wikipédia