Terre de l'homme

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De belles gens. Suite n° 37. Saga de Françoise Maraval

 

                                                                                                                                                  

 

 

 

 

 

DE BELLES GENS

 

 

Èpisode 37

 

 

 

Maria Alexandrovna Smirnoff,

 

Résumé de l’épisode précédant :

Dans le haut de la ville, Achille et Yvonne attendent leur 4ème enfant. Chez les Lamaurelle, les aînées, Henriette et Jeanne sont internes aux Cours Complémentaires de Belvès et donnent entière satisfaction. La plus jeune Micheline va faire sa première année de maternelle tandis que Louis va rejoindre son grand frère Michel à la grande école.

Dans le bas de la ville, Jeantou junior se prépare à partir à Bergerac, en apprentissage, pour apprendre le métier de tailleur d’habits.

A Paris,Henri Destal, le frère d’Emma, a de nouveaux voisins, les Smirnoff, venus de Moscou.

 

 

Simon Simonovitch Smirnoff vient d’apprendre le décès de son frère aîné, Piotr Nicolaïevitch. Les frères étant nés à Saint-Pétersbourg, les parents ont trouvé opportun de leur donner comme prénom celui du saint-patron de la ville, celui de l’apôtre Simon-Pierre. Piotr ne s’est pas intéressé à l’entreprise familiale de poêles. Il a préféré faire des études de droit et tourné vers la littérature il s’est fait offrir une librairie ; « la librairie des amis », place Saint-Isaac en face de la cathédrale du même nom. Il a épousé une jolie moscovite, Tatiana, qui lui a donné une petite fille Maria Alexandrovna. Dans la continuité, Piotr a acheté la maison d’édition « l’isba ».

 

 

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                                                                       Place Saint-Isaac

 

                                                                                                                                                         

Maria a été élevée dans ce milieu littéraire et a côtoyé les grands de la littérature russe : Maxime Gorki,  Boulgakov, Boris Pasternak, etc …

L’éditeur organisait des rencontres d’écrivains confirmés et de jeunes écrivains. L’arrivée des usurpateurs avait changer la donne et on se méfiait. Ce milieu était surveillé, les espions étaient partout.

 

Maria a perdu sa mère du typhus en 1908 et le père et la fille se sont protégés mutuellement. Quand la jeune fille a eu 17 ans en 1917, face à l’abdication du tsar Nicolas II et au changement profond de la société russe  amené par les bolcheviks, elle a voulu apprendre un métier, un métier sûr et stable dont toutes les sociétés auraient toujours besoin : la comptabilité. Son père a fait appel à un ami de la famille, le négociant en vodka et caviar, Dimitri Malinoff. Ce dernier l’a mise entre les mains de son comptable et ainsi Maria s’est sentie en sécurité malgré son implication dans le milieu littéraire.

 

Avant 1917 Piotr Smirnoff et sa fille sortaient beaucoup le soir. Les soirées au théâtre Mariinsky, à l’Opéra, au théâtre de l’Ermitage du Palais d’Hiver se multipliaient. La père voulait introduire son héritière dans le monde. Au café littéraire, 18, rue de la perspective Nevski, ils ont rencontré les écrivains de l’âge d’or.

                                                                                                                                                        

                                                                                                                                                        

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                                                           le Palais d’Hiver et l’Ermitage

 

Le premier étage de leur appartement était réservé aux rencontres littéraires et Maria était le pivot indispensable : la maîtresse de maison. On trouvait encore  à se restaurer, à faire la fête à la Russe comme autrefois. Dimitri Malinoff amenait caviar et vodka  et les anciens traiteurs travaillaient encore, sous cape, pour leurs anciens clients. Se dégustaient le gâteau « Napoléon », le vatrouchka, le paskha…

 

Mais d’une rencontre à l’autre les mauvaises nouvelles arrivaient ; ainsi on apprit que le jeune  écrivain émergeant et journaliste du journal réactionnaire Russkii, Léonid Andreïev était mort d’une crise cardiaque le 12 septembre 1919.

 

                                                                                                                                                        

Auparavant, dans un de ses articles intitulé « S.O.S » , Andreïev avait demandé l’intervention des Anglais et des Français pour renverser le Gouvernement bolchevik.

Alors crise cardiaque ou …

Plusieurs de ses écrits étaient encore en mémoire : « le journal de Satan et autres récits », « le rire rouge »,  « les sept pendus ».

 

« l’oreille du geôlier est pleine de poils, le trou étroit et serré : faite pour les mots mensongers, onduleux, qui rampent sur le ventre comme des créatures viles. Mes mots à moi, marchent droit, la poitrine saine et le dos large. Ah, comme ils ont déchiré l’oreille tendre et pleine de poils du geôlier. »

 

« il est dangereux d’appeler la liberté : tant que l’on se tait, la vie est encore possible ; mais si on l’appelle une fois, une seule, à voix très, très basse il faut soit s’en emparer, soit mourir. »

 

En 1921, ce fut le tour de Nicolaï Goumilev, écrivain et poète, mari de la grande poétesse Anna Akhmatova. Tout le monde le sait, il méprise les bolcheviks. Un complot a été monté de toutes pièces  contre lui; même l’intervention de Maxime Gorki auprès de Lénine n’a rien évité. Il a été fusillé par la Tchéka. Les écrivains représentent un danger pour les nouvelles autorités.

Dans la devanture de la librairie « la librairie des amis » son recueil « poèmes » trône à coté de « la Mère » et des «  pensées intempestives » critique du bolchevisme par Maxime Gorki, à coté du livre d’Alexandre Pouchkine « le cavalier de bronze » chef d’œuvre de la littérature russe , à coté du « docteur Jivago » de Boris Pasternak, à coté de « crime et châtiment » de Fiodor Dostoïevski etc… 

 

Puis les amis ont disparu : Alexandre Blok, mort de désespoir en 1921, après de longues souffrances physiques et morales. Ils ont perdu aussi Alexeï Remizov, auteur de  « la Russie dans la tourmente » victime de persécutions et déporté en 1923. Sergueï Essenine, auteur de « l’homme noir »s’est suicidé en 1925.

 

La Tchéka guette ; et un matin Piotr Smirnoff les a vus arriver, c’était pour lui !!! Maria était dans l’arrière boutique et impuissante, elle a tout vu. Son père a été fusillé avec d’autres. Elle a pu récupérer son corps et au cours d’une brève cérémonie bénie par un pope, son père a pu rejoindre le caveau familial aux cotés de son épouse. Un miracle dans le malheur !!!

Depuis quelques temps, les corps des fusillés servaient à nourrir les animaux du zoo.

 

Il fallait partir au plus vite. Une opportunité s’est présentée : elle a vendu librairie et maison d’édition  pour la moitié de sa valeur mais elle a été payée en devises étranges et en or.

 

Pour préparer son départ, elle a été aidé par l’ ami de la famille, Dimitri Malinoff. Elle a prévenu son oncle Simon Smirnoff de sa arrivée. Deux grandes malles ont été chargées dans la cale du bateau puisque c’est la route maritime qui a été choisie pour prendre la fuite. Avec elle, Maria a gardé un bagage à main et une énorme valise qu’en temps normal elle n’aurait pas pu soulever. Du golf de Finlande, elle a vu l’éloigner Saint- Pétersbourg, sa ville natale qu’elle aime tant. Elle a cru qu’on lui pressait le cœur comme on presse une orange. Pendant un court instant, il ne s’est rien passé dans sa tête : elle a eu peur. Remise,elle ferme les yeux et revoit la Néva bordée par l’Ermitage et du palais d’Hiver, elle revoit la perspective Nevski et tous ces endroits qui resteront familiers à jamais.

 

 Comme de nombreux Russes Blancs, elle pense qu’elle reviendra et qu’ils installeront un état plus juste, ouvert sur le monde, apôtre de la liberté individuelle et de la Démocratie.

 

 

                                                                                                                             

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                        l’Ermitage : le vieil Ermitage, le petit Ermitage, le Palais d’Hiver.

 

Palais marbre

 

                                                                                                                                                                    

 

                        le Palais de Marbre

 

 

Maintenant, le bateau est en Mer Baltique. A chaque instant elle se croit surveillée : la Tchéka est là, ses agents sont au milieu des voyageurs. Elle sait qu’elle a un avantage, celui de passer inaperçue. Son père la priait de se mettre en valeur, de montrer qui elle était  réélement. Sur le bateau on ne la voit pas…

 

A Stockholm, il a fallu changer de navire, donc tout débarquer, malles et valise, trouver un porteur jusqu’à l’embarcadère du bateau qui va à Copenhague. On a demandé les papiers, elle a été dévisagée, regardée de la tête aux pieds et finalement traitée comme un élément négligeable. Le même manège s’est répété au Danemark, puis à Douvres, puis au Havre. En France, l’enregistrement des malles à destination de la gare Saint-Lazare a été une épreuve en ce qui concerne le contenu : la douane a été intraitable.

 

Quand elle a sonné au 4ème étage, du 35 de la rue Tronchet et qu’Olga a ouvert, elle n’a pas été immédiatement reconnue. Elle était déshydratée, poussiéreuse, fatiguée à un point que l’on ne peut pas imaginer, mais elle avait réussi et pour cela elle était allée jusqu’au bout d’elle même.

Après une rapide restauration, et une toilette succincte, elle s’est effondrée : pendant deux jours on ne l’a pas vue.

 

                                                                                                                                                      

 

La famille Smirnoff a retenu son souffle pour ne pas troubler le repos de Maria. Ils avaient tort car elle était terrassée par un sommeil de plomb : la terre aurait pu s’effondrer qu’elle ne l’aurait pas su.

 

 

Françoise Maraval

 

 

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Bordure enlevée



31/08/2022
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