Terre de l'homme

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De belles gens. Suite n° 42. Saga de Françoise Maraval

 

DE BELLES GENS

 

 

 

Épisode 42

 

 

 

" Eugène Onéguine " à l’Opéra de Paris,

 

 

 

Résumé de l’épisode précédent :

 

La famille Marchive se relève de la crise de paludisme qui a terrassé Achille.

Les familles Maraval font face au quotidien, tandis qu’ Henri Destal, à Paris, cherche à séduire ses voisins russes.

 

 

Henri est pris d’une grande agitation et son quotidien s’en trouve complètement bouleversé. Depuis qu’il a été l’hôte de Maria Alexandrovna Smirnoff, il ne sait plus comment orienter  sa vie. Il est conscient qu’il n’est qu’un imposteur et que son comportement vis-à-vis de la gent féminine devrait le pousser à se remettre en question. Avec les petites Parisiennes, il joue au Joli-Coeur, au séducteur, et peu importe s' il  fait des dégâts dans le cœur des jeunes filles.

Quand il est remonté à Paris, après le décès de son frère Marcel, Henri est allé tout droit à l’hôpital des « Quinze-Vingts ». Une simple opération lui a permis de retrouver deux ou trois dixièmes à l’ œil blessé pendant la bataille de Charleroi et qu’il croyait perdu. Mettre de côté les lunettes avec le verre gauche opaque, a été un soulagement. Il est beau, il le sait et il en joue. Emma, dans sa dernière lettre, lui rappelle gentiment son âge-34 ans-. Elle pense, sans le dire clairement, qu’il est grand temps qu’il fonde une famille. Mais lui,  en a-t-il vraiment envie ? est-ce son but ?

Maria l’a ébloui grâce à son exotisme russe. Sa voix traînante avec ce roucoulement de rrrrrrrrrr l’enveloppe et l’ensorcelle. Il avoue qu’elle le trouble. Elle n’est pas belle mais elle a du charme, un charme fou.

 

Quand il a dit, perfidement, à Simon Smirnoff que son employeur, la Compagnie d’Assurances « le Phénix », cherchait des comptables, il n’imaginait pas, un instant, que Maria décrocherait une place tant ce milieu, comme d’autres, est exclusivement masculin. Henri croyait avoir plongé la jeune femme  dans une impasse.

Emma a tort de le presser, il n’a pas l’intention de se marier. Dans ce cas précis, il veut seulement savoir s' il est capable d’attirer cette jeune femme d’exception. Il s’est pris au piège, car il  croit que pour la séduire, il lui faut ingurgiter toute la littérature russe.

Il a commencé avec « Guerre et Paix » du grand Tolstoï, puis il a accéléré avec les pièces de Tchekhov : « La Cerisaie », « Oncle Vania », « L’Ours. D’ailleurs, dans « L’Ours », l’un des personnages se nomme Smirnov !!! Smirnov avec un V. Avec plus de sérieux, il a attaqué Nicolas

 

                                                                                                                                                         

Gogol et son «  Journal d’un fou », puis « Le manteau » et, à cet instant précis, il a du mal à digérer « Crime et châtiment « de Dostoïevski.

                                                                                                                                                           

 A cet instant précis, il entend taper à la porte. C’est Simon Smirnoff !!! Henri n’en croit pas ses yeux. Son voisin du 4ème étage, au niveau des chambres de bonnes et des mansardes. Il doit avoir un sérieux problème ou une incroyable nouvelle à annoncer…

Le Russe vient demander de l’aide.

 

- Henri, vous m’obligeriez si vous acceptiez de conduire ma nièce Maria à l’Opéra de Paris. On y joue « Eugène Onéguine » d’après l’œuvre du grand Pouchkine dont Tchaïkovski a tiré un opéra. J’ai pris deux places pour ces Dames mais mon épouse est souffrante et doit garder la chambre. Ah ! Je vois que vous vous intéressez à la littérature russe. « Crime et châtiment », quel courage de vous lancer dans la lecture d’une œuvre pareille !

Avec Pouchkine, on rentre dans la pureté, la précision, l’élégance . Il a fait de la langue russe, une langue de diamant débarrassée des emprunts étrangers. Traduire la langue de Pouchkine* est une gageure à rendre fou de désespoir. Mais qu’est-ce que je raconte ? Mon cher Henri, vous ne m’avez pas donné votre réponse. Je vous en prie, ne me dites pas non !!!

 

- Simon, je serais heureux d’accompagner votre nièce à l’Opéra, mais je ne peux pas vous laisser supporter le coût  de la représentation ?

 

- Qu’à cela ne tienne, chez nous les Russes, la soirée n’est pas terminée après le spectacle, un cavalier se doit d’entraîner sa dame et ses amis au restaurant ou au cabaret et d’y finir la nuit, dans une ambiance que seuls les Russes savent improviser. Henri, il vous faudra aussi louer un habit de soirée. Henri, dites-moi « oui » à haute et intelligible voix.

 

- Oui, bien sûr, Simon, mais je ne sais comment vous remercier !!!

 

Henri qui ne savait par quel stratagème aborder Maria, Simon Smirnoff  lui apporte sa nièce sur un plateau.

 

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Alexandre Pouchkine

                                            

                                                         

Attendre le jour de la représentation !!! Henri est perdu, sa tête est vide. Il ne peut plus lire : tout ce qu’il lit, est immédiatement effacé de sa mémoire.                                                                                                                        

Il lui manque une information : l’heure de la représentation.

Au 33, rue Lafayette, les différents services sont strictement séparés. On a mis en place des commis qui assurent les liaisons entre les différents étages et, d’ailleurs, le service de la comptabilité est au 4ème étage et le service commercial, au rez- de-chaussée.

 

Henri va contrevenir à la règle. Arrivé au service de la comptabilité, il est tout de suite démasqué. Le chef-comptable, Jean Dupont, se dresse sur ses ergots :

 

- Destal, que faites-vous là ?

- J’ai besoin de parler à Mademoiselle Smirnoff.

 

Dans cette immense salle, Henri ne la voit pas. Le chef-comptable regarde en direction de Maria qui acquiesce de la tête.

- Destal, faites vite !

 

Elle lui sourit et Henri la découvre sous un nouveau jour. Aucun maquillage, aucun bijou, une simple robe noire sans aucun artifice, Maria est remisée dans l’endroit le plus sombre de la pièce.

Henri obtient l’information et repart tout penaud, en s’excusant pour cette intrusion.

Les comptables rient sous cape, et chuchotent entre eux. Jean Dupont demande le silence.

Maria s’était présentée à l’embauche de la Compagnie d’Assurances en grande modestie, sans aucun éclat. C’était calculé … Elle a été retenue, à l’essai, parce que si elle est compétente, elle représente une bonne opération financière. Son statut de femme et celui d’émigrée permettront de la rémunérer à moindre coût. Elle le sait et elle s’en moque. Elle sait aussi qu’ils seront obligés de reconnaître ses compétences, tôt ou tard.

A la fin de la journée, le chef-comptable demande à Maria de rester un moment. Il lui dresse le portrait du beau Henri Destal, le séducteur des secrétaires du service commercial. Maria est avertie…

 

Enfin, la soirée tant attendue fait entendre les trois coups. Simon Smirnoff et Henri Destal sont devant l’entrée du 24 rue Vignon. Maria apparaît telle une princesse, robe de soirée verte, lamée argent. Sur ses épaules, une cape d’hermine a trouvé sa place. Elle est ravissante !!! Henri est flatté. L’Opéra est à deux pas mais Simon Smirnoff fait signe à un taxi.

 

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escalier

 

le Grand Escalier du Palais Garnier 

 

 

Maria a pris le bras d’Henri, il est sur un nuage, ses jambes sont en coton. Elle est très digne, elle donne l’impression d’être chez elle. Simon Smirnoff a réservé la loge du 1er étage, la plus proche de la galerie. Maria et Henri dominent parfaitement la scène. La jeune femme quitte sa cape et dévoile un buste délicat mais bien présent, orné de bijoux qu’Henri n’a guère l’habitude de voir. Il remarque alors ses cheveux remontés sur la tête en un entrelacement de jolies tresses.

 

C’est elle qui le félicite pour avoir mis cet habit à pans de pie. Elle comprend qu’il est un peu gêné et elle va le mettre à l’aise, en faisant les frais de la conversation avec cet accent si charmant...

 

- Henri, c’est le cœur serré que je vais revoir cette représentation.  Je me revois à quinze ou seize ans, en compagnie de mon père, à l’Opéra de Saint-Pétersbourg. Il m’avait offert pour la circonstance, la cape en hermine que je porte ce soir. Mon père et ma mère étaient de grands admirateurs d’ Alexandre Pouchkine, à tel point qu’ils m’ont donné les mêmes prénoms que la fille de l’écrivain : Maria Alexandrovna.

Pouchkine est né à Moscou dans une famille de la noblesse russe où l’on parle le français. A dix ans, il lit Voltaire et La Fontaine dans le texte.

Sa mère, une des beautés de Saint-Pétersbourg, descend d’une des plus brillantes familles de la noblesse de service instituée par Pierre I, remontant à Abraham Hannibal, son arrière-grand-père africain, affranchi et anobli par Pierre le Grand : Abraham Hannibal deviendra général.

Alexandre Pouchkine a donc le teint mat, les lèvres charnues, les cheveux bouclés.

Son père Sergueï Lvovitch Pouchkine est issu d’une des plus illustres familles de la noblesse russe, remontant au XIIIe siècle.

Pouchkine parlait parfaitement le français. Il a fait ses études au lycée impérial de Tsarskoïe Selo. Il y écrit des poèmes.

En 1817, il intègre le ministère des Affaires étrangères ; ses idées libérales mais non révolutionnaires, ses poèmes jugés séditieux, font qu’Alexandre I le condamne à l’exil. Il parcourt l’Ukraine, la Crimée, la Bessarabie, et se fixe à Odessa. Nicolas I le fait revenir à Moscou. Ses activités littéraires sont étroitement contrôlées mais il passera à la postérité.

Henri, veuillez m’excuser quand il s’agit de Pouchkine... je ne m’arrête plus !!!

 

                                                                                                                                                   

Pendant que Maria parlait, les spectateurs sont arrivés. Il ne reste plus de places de libre. La musique de Tchaïkovski commence. Maria semble hypnotisée, Henri n’ose pas respirer, il a peur de tousser. Il se laisse emporter par l’atmosphère de la salle de spectacle et se laisse séduire par la musique de Tchaïkovski. L’histoire tourne autour de la passion et de la rivalité amoureuse.

 

 

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Le duel entre Onéguine et Lensky

 

                                      

 

A l’entracte, Henri a proposé une coupe de champagne au bar de l’Opéra ou dans un bar voisin. Ils sont restés et Maria a entendu parler russe. Elle a dévisagé les spectateurs venus se délasser les jambes. A leurs habits aussi, elle a reconnu ses compatriotes, des habits d’un autre temps, devenus trop petits ou trop grands et souvent usés. Elle aussi a été démasquée : nombreux ont été ceux qui se sont inclinés à son simple regard. A cet instant, Maria pense qu’il faut qu’elle se rende à la colonie russe et elle demandera à son oncle Simon de l’y accompagner. Elle veut faire un don, il faut aider ces malheureux qui ont tout quitté et qui se trouvent dans le besoin. Elle se sent privilégiée ; c’est intolérable.

 

Vite, le tintement de la petite cloche dit qu’il faut reprendre sa place. Onéguine va-t-il reconquérir Tatiana, celle qu’il aime ?

 

 

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                                                                       Onéguine et Tatiana

 

 

La vie est souvent cruelle pour certains mais dictée par l’honneur pour d’autres…le rideau se referme.

 

Qui a choisi le cabaret russe pour finir la nuit ? Maria ? Ou Henri ?

                                                                                                                                                                                                                                          

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C’est  l’Aigle Noir qui les a accueillis dans une ambiance folle et, au petit matin, Henri a reconduit Maria jusqu’à la porte de la mansarde, rue Vignon.

 

 

 

Françoise Maraval

 

 

* Jacques Chirac, ancien Président de la République, a fait dans sa jeunesse, une traduction d’« Eugène Onéguine » qui n’a jamais été publiée.

 

 

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Bordure enlevée

 

 

 



15/10/2022
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