Terre de l'homme

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Promenades et digressions

 

breche de Roland

 

                                                        La brèche de Roland du cirque de Gavarnie

 

Marcher d’un bon pas sous un soleil qui réchauffe doucement nos membres endoloris, ressentir la légère fraîcheur d’un matin radieux, découvrir des paysages, des fleuves, des forêts. Quoi de plus attractif qu’un beau paysage, une belle vallée, un fleuve majestueux, une montagne couronnée de neiges éternelles, une forêt où l’on écoute le souffle du vent, le chant des oiseaux, ressentir une sensation d’apaisement dans ces chemins creux qui serpentent et longent un ruisselet qui murmure sous les hautes herbes printanières, jouir de cette sensation d’une vie paisible et douce et de la caresse d’une brise parfumée ; comment de tels cadeaux que nous offre la nature, pourraient-ils nous laisser indifférents. Non, je ne donne pas raison à ces romantiques qui se plaignaient de son indifférence, se réfugiant dans une sorte d’indolence, de spleen contemplatif comme si leurs sens éteints ne leur apportaient plus les bruits, les odeurs, la vue, la beauté de ce que nous offre ce spectacle qui se déroule devant nous, le son musical du chant d’un rossignol, d’une alouette, perçu au hasard de la promenade.

« J’aime à marcher à mon aise, disait Jean-Jacques Rousseau, et m’arrêter quand il me plaît. La vie ambulante est celle qu’il me faut. Faire route à pied par un beau temps, dans un beau pays, sans être pressé et avoir pour terme de ma course un objet agréable : voilà de toutes les manières de vivre  celle qui est le plus de mon goût. »

Un souvenir précis d’une randonnée risquée me revient, parfois, en mémoire, tant elle m’avait marqué par son intensité, la beauté du paysage, la journée ensoleillée, à la rencontre d’un lieu magique et d’un des plus grands poètes romantiques.

En tee-shirt, short et tennis, me voilà sur le chemin, sans smartphone, objet encore inconnu mais qui, en pareilles circonstances, aurait pu s’avérer précieux, un sentier caillouteux parsemé de rochers, dépassant des groupes de promeneurs peu pressés, j’arrivai à cette pente raide recouverte en grande partie d’un névé, lui-même recouvert d’une fine pellicule de verglas.

 

Ascension difficile en raison de mon équipement succinct, de chausses inadéquates, obligé de m’agripper et de me baisser en enfonçant les mains dans le revêtement neigeux verglacé, mains toutes sanglantes zébrées de coupures dues au bord finement tranchant de la glace. Levant les yeux vers le haut, je me sentis écrasé, tout petit sous la haute barre rocheuse impressionnante percée de cette brèche, véritable frontière entre deux versants. Après cette montée risquée où j’aurais pu dévaler, emporté vers le bas, je me sentais plus serein en passe d’atteindre mon objectif : la Brèche de Roland du Cirque de Gavarnie.

 

 

brèche

 

                                                                             La brèche de Roland

 

 

Assis sur le terre-plein, je regardai, alors, l’Espagne qui s’étalait devant moi et, bien sûr, l’histoire me rattrapait, celle du tragique franchissement des Pyrénées par l’empereur à la barbe fleurie, Charlemagne, en route pour aller combattre les Maures puis le massacre de l’arrière-garde dans le défilé de Roncevaux, sacrifice héroïque du chevalier Roland, son neveu, qui se battit jusqu’au dernier souffle brandissant sa fameuse épée Durandal que lui avait confiée l’empereur. Pour qu’elle ne tombe pas aux mains de l’ennemi, il porte un coup violent au rocher et apparaît la brèche de Roland.

 

Vigny

 

                                                       Alfred de Vigny

 

L’hymne à la beauté de la nature, Alfred de Vigny, en romantique de la bonne école, nous montre combien il y est sensible dans cet endroit exceptionnel comme si le drame de ce lointain passé s’était ancré là dans le roc:

 

J’aime le son du Cor, le soir, au fond des bois,
Soit qu’il chante les pleurs de la biche aux abois,
Ou l’adieu du chasseur que l’écho faible accueille,
Et que le vent du nord porte de feuille en feuille.

....

Ô montagne d’azur ! ô pays adoré !
Rocs de la Frazona, cirque du Marboré,
Cascades qui tombez des neiges entraînées,
Sources, gaves, ruisseaux, torrents des Pyrénées ;

....

Tous les preux étaient morts, mais aucun n’avait fui.
Il reste seul debout, Olivier près de lui,
L’Afrique sur les monts l’entoure et tremble encore.
« Roland, tu vas mourir, rends-toi, criait le More ;

.....

Tranquilles cependant, Charlemagne et ses preux
Descendaient la montagne et se parlaient entre eux.
À l’horizon déjà, par leurs eaux signalées,
De Luz et d’Argelès se montraient les vallées.

....

Et l’Empereur poursuit ; mais son front soucieux
Est plus sombre et plus noir que l’orage des cieux.
Il craint la trahison, et, tandis qu’il y songe,
Le Cor éclate et meurt, renaît et se prolonge.

 

« Malheur ! c’est mon neveu ! malheur ! car si Roland
Appelle à son secours, ce doit être en mourant.
Arrière, chevaliers, repassons la montagne !
Tremble encor sous nos pieds, sol trompeur de l’Espagne ! »

 

 

Durandal

 

                                                                     L'épée Durandal

 

.....

Dieu ! que le son du Cor est triste au fond des bois !

extraits

 

(écrit à Pau en 1825)

 

pour lire le poème in extenso, cliquez ICI

 

 

manoir

 

                                                 Manoir du Maine Giraud

 

 

paysage

 

    

                                                                        Vue depuis le manoir

 

 

Le second itinéraire est plus bucolique dans cette accueillante et doucement vallonnée Charente où le fleuve a tendance à se cacher, perdu dans la végétation de ses rives, d’autant qu’il n’a pas eu à creuser trop durement son lit.

Dans ces terres profondes, apparaît le manoir du Maine Giraud assez isolé, entouré de vignes de toute part, du Fin bois. Belle demeure héritée de la famille par le poète où il séjourna à plusieurs reprises, aujourd’hui, domaine agricole prospère grâce au cognac et au Pineau fabriqués sur place dans des chais où trône l’alambic à double chauffe.

 

 

alambic

 

                                                        alambic à double chauffe

 

En 1827, Vigny, trente ans, quitte l’armée, épouse Lydia Bunbury, fille du gouverneur de la Jamaïque, qui s’obstina à ne pas parler français et qui préférait ses relations aristocratiques anglaises aux amis poètes ou écrivains de son mari. Il passa beaucoup de temps à la soigner car toujours souffrante, soit assis près de son lit, soit de sa chaise longue, lui faisant la lecture. Ici, dans ce logis, il passa plusieurs séjours dont deux longues années, loin de ses amis parisiens dans un isolement forcé. Là, il communie un peu plus avec la nature, écrivant :

..........

La nature t’attend dans un silence austère ;

L’herbe élève à ses pieds son nuage des soirs

Et le soupir d’adieu du soleil à la terre,

Balance les beaux lys comme des encensoirs.

La forêt a voilé ses colonnes profondes,

La montagne se cache et sur les pâles ondes

Le saule a suspendu ses chastes reposoirs.

.........

 

On dirait du Baudelaire, lequel dira de Vigny qu’il a été parmi les maîtres dont l’action s’est exercée le plus profondément sur lui.

Un membre à part entière de l’école romantique qui fréquente les plus grands, Victor Hugo, son ami, et d’autres mais personnage plus réservé avec le sérieux d’un ancien militaire, empreint de stoïcisme, d’éthique quelque peu pessimiste et désenchanté. Il erre dans la campagne autour du manoir, plongé dans ses pensées, parfois prolongeant sa promenade jusqu’au soir, au milieu de la solitude, percevant, peut-être, le hurlement des loups alentour puis se retire dans la tour du Maine Giraud et va composer un de ses plus beaux poèmes La Mort du Loup.

 

 

manoir
chambre Vigny

 

 

                                                                  chambre de Vigny

 

L’époque n’est pourtant pas à la défense de l’animal jugé féroce, cruel, décimant les troupeaux et chassé, sans relâche, par les nombreux chasseurs. Mais, dans cette nuit sombre où les hommes traquent l’animal, il le statufie à la romaine, c’est une bête féroce mais magnifique qui va se sacrifier pour la louve et ses petits louveteaux. On pourrait presque entendre le Morituri te salutant des gladiateurs romains face à l’empereur.

 

Les nuages couraient sur la lune enflammée

Comme sur l’incendie on voit fuir la fumée,

Et les bois étaient noirs jusques à l’horizon.

Nous marchions sans parler, dans l’humide gazon,

Dans la bruyère épaisse et dans les hautes brandes,

Nous avons aperçu les grands ongles marqués

Par les loups voyageurs que nous avions traqués

......

 

Et le poète semble respectueux de l’animal :

 

Comment on doit quitter la vie et tous ses maux

C’est vous qui le savez, sublimes animaux !

.......

Et ton dernier regard m’est allé jusqu’au cœur !

........

pour lire le poème in extenso , cliquez ICI

 

L’élimination du loup du territoire était-elle une bonne chose pour les humains, après les frayeurs causées par la bête du Gévaudan dans les années 1760 ? L’opinion allait dans ce sens.

A-t-on entendu le poète qui ne semblait pas partager cet avis ? Aujourd’hui, on lui donnerait, sans doute, raison.

 

 

Jacques Lannaud

 

______________________

 

Demain : la petite Françoise, qui, dans la première partie de son épisode n° 67, a fait un "tabac", avec ses premiers pas à l'école maternelle, va poursuivre, en grandissant un peu, sa saga.

 

 

 



10/06/2023
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