Vingt ans après
Arrière Saisons de Pierre Gonthier et Marcel Pajot
Editions Secrets de Pays
Je ne veux évoquer ici ni le roman d'Alexandre Dumas ni la durée de la dernière guerre d'Afghanistan mais tout simplement le temps qui sépare la date de parution de l'ouvrage de Pierre Gonthier "La Galope" de celle de son dernier livre "Arrière Saisons" (septembre 2021).
La collaboration entre une remarquable maison d'édition (Les éditions secrets de pays), un écrivain et un peintre qui jouent à 4 mains, donne un ouvrage dont l'esthétique le dispute au contenu.
Là- bas, sous les arches du pont, s’en allait l’eau indifférente
20 ans : on ne sort pas indemne d'un tel voyage mais on y gagne en maturité. Tel est le cas de Pierre. De "La Galope" à "L'Arrière Saisons", les thèmes sont à peu près les mêmes, la nature, la nostalgie du temps qui passe mais le registre change. L'écriture gagne en gravité et authenticité avec l'apparition de thèmes nouveaux : le malheur qui frappe les êtres chers, la solitude et la tentation de l'oubli.
Nul n'est à l'abri de ces métamorphoses mais chacun les vit à sa façon.
La muse de la poésie (palais Garnier)
Certains se résignent, semblent s'accommoder du sort qui leur est fait et fondent leurs espoirs dans l'au-delà. C'est le cas de Sonia restée seule avec son oncle dans "Oncle Vania" de Tchékov.
"Tu n'as pas connu de joie dans la vie mais patiente oncle Vania, patiente. Nous nous reposerons. Nous nous reposerons".
D'autres comme Montherlant, dans "Le maître de Santiago", considèrent l'approche du grand âge comme un naufrage :
"Je sens en moi comme un grand retirement".
D'autres encore comme Baudelaire, font le constat amer d'une vie tourmentée :
Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage.
Traversé çà et là par de brillants soleils
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage
qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils"
Dans "La Galope", Pierre s'était tenu à l'écart de l'amertume, de la sensiblerie et du pathos. Mis à l'épreuve, il a plus de mérite aujourd'hui à éviter ces travers.
C'est avec une grande pudeur qu'il aborde le thème de la solitude et de l'absence guettée par l'oubli.
Quelques lignes de l'ouvrage Arrière Saisons nous donnent un aperçu de son talent et de la délicatesse avec laquelle il évoque un drame personnel :
"Mais voilà que celle qui m'a tellement accompagné, s'éloigne peu à peu pour se perdre dans une existence douloureuse et sans repère...Nous allons tous les deux vers la fin de l'été. Les jours après les jours s'habillent de faux-semblants et s'annonce, là-bas, l'ombre des lendemains. Alors puisqu'il le faut, efforçons-nous d'être ces orpailleurs qui criblent obstinément le sable d'un filon qui s'épuise."
Françoise Sagan, dans son roman "Dans un mois, dans un an", reprend les vers de
Racine pour évoquer le désarroi né de l'incertitude des jours qui s'écoulent.
Dans un mois dans un an comment souffrirons-nous,
Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ?
Que le jour recommence et que le jour finisse,
Sans que jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de tout le jour je puisse voir Titus ?
Yves Montand, en 1946, dans la chanson de Prévert et Kosma "Les feuilles mortes", chante le thème éternel de la séparation et de la solitude: "Mais la vie sépare ceux qui s'aiment. Tout doucement, sans faire de bruit".
Tout doucement, sans faire de bruit
Rejetant le classicisme dans ce qu'il a de formel et le romantisme où l'on se livre trop , Pierre a choisi l'aveu, par petites touches, sans ostentation, de son désarroi.
Cet aveu, au bord des larmes, du bout des lèvres, à la fois poignant et maîtrisé, fait de Pierre un authentique poète.
Il est des astres qui s'éloignent ou qui s'éteignent mais dont la lumière parvient encore jusqu'à nous. Pierre n'a pas fini de se tourner vers eux.
PS : J'ai le travers d'être avare en compliments mais je souhaite, par ce petit billet, faire partager le plaisir que j'ai eu à découvrir ce livre où les aquarelles font jeu égal avec le texte, où l'ode à la nature vient en contrepoint des blessures secrètes.
Pierre Merlhiot
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