La rose de l'Alhambra - chapitre 3 - par Françoise Maraval
Repas de noces à la campagne
3
Isabelle et Miguel,
Il est difficile d’organiser des fiançailles dans ce milieu de riches propriétaires terriens sans attirer l’attention de la région. Or, comme nous le savons, la publicité n’était pas la bienvenue car il est évident qu’elle aurait fait remonter à la surface, de vieilles rumeurs, tout ce que la famille Garrigue voulait éviter. La date choisie pour les fiançailles a été celle du jeudi 21 mars 1878, le jour du printemps.
Les visiteurs et hôtes annoncés étaient peu nombreux : trois hommes seulement firent le voyage qui les conduisit de la comarque de Valence en Espagne à Mireval dans le bas Languedoc. Le fiancé, bien sûr, don Miguel de Almanzar, son père, don Juan de Almanzar et le fidèle Castillan qui joue le rôle d’interprète.
Ils ont été accueillis dans la maison familiale assez grande pour offrir une chambre à chacun. On avait fait venir de Paris, les dernières toilettes à la mode pour toutes les dames Garrigue. Les robes d’Isabelle avaient été choisies avec grand soin : elles étaient fraîches et délicates et ne laissaient pas trop dévoiler l’anatomie de la fiancée mais savaient pourtant la suggérer et la mettre en valeur. Le fiancé, lui, portait un habit noir à redingote, que les Français ont trouvé d’un autre temps.
La grande salle à manger était parée de mille fleurs, on avait sorti les services de Limoges, les verres de Baccarat et toute l’argenterie. Le début du repas a été précédé par l’émouvante remise de la bague de fiançailles à sa destinataire, un geste d’engagement pour la vie. Miguel de Almanzar, très ému, a débité un joli petit discours en français. Il voulait ainsi montrer à Isabelle, sa bonne volonté, en se rapprochant d’elle grâce à cette langue commune, le français et éviter tout différend qui pourrait venir de la méconnaissance de leur langue réciproque. La bague était une magnifique émeraude entourée de petits diamants. Isabelle a embrassé son fiancé sur les deux joues qui, n’y pouvant plus, a enlacé sa promise d’un peu trop près, semble-t-il. Le champagne a été alors servi, accompagné de ses petits fours. Les mets avaient été judicieusement sélectionnés ainsi que les vins faisaient honneur aux grands vignobles français. Dans ce domaine, Don Juan de Almanzar avait tenu à faire suivre des vins espagnols qu’il affectionnait particulièrement, les vins de la Rioja. Quand il était venu visiter le vignoble d’Arthur Garrigue, Don Juan avait apprécié l’accueil chaleureux de ce dernier et il s’était laissé aller à la dégustation conseillée par le connaisseur de vins français, choisis parmi les plus illustres, ainsi que de quelques alcools forts.
La Rioja, cette région du nord de l’Espagne, au pied de la cordillère cantabrique, est limitée au nord par le Pays basque, à l’est par la Navarre et par la Castille-et-León au sud et à l’ouest. Ses vignobles sillonnent la vallée de l’Ebre et de la Oja. Pour nos Valencianos, le vin roi de la Rioja est le célèbre « Tempranillo ».
Les vignobles de la Rioja
Pendant tout le repas, Miguel a parlé à Isabelle en français, certes maladroitement et avec un fort accent, mais dans un français intelligible. Comme un forcené, pendant les six derniers mois, il avait travaillé à l’apprentissage de la langue de sa bien-aimée et il avait réussi. Isabelle l’admirait et elle lui était reconnaissante de cette délicate attention. À son tour, elle apprendrait le valenciano, une fois dans sa nouvelle propriété.
Juan et Miguel de Almanzar seraient bien restés plus longtemps au domaine des Belles Demoiselles ; mais, non seulement, le travail les attendait et, en plus, ils se devaient de s’enquérir de la santé de Doña Luciana restée au pays, pour mauvaise santé : mauvaise santé ! C’est ce que préconisent de dire les règles de la bienséance. En réalité, cette grande dame se voyait mal partager l’intendance de sa maison avec une autre personne, même si son fils lui en faisait la demande à deux genoux et, de surcroît, partager avec une Française, sans doute une effrontée de révolutionnaire. Si son fils n’était pas encore marié à vingt-neuf ans, elle y était pour quelque chose. Son air austère, ses tenues noires et démodées, sa rigueur légendaire, avaient éloigné définitivement les jeunes filles que son fils convoitait. Là, pour la première fois, il n’avait pas cédé. Isabelle, cette belle blonde aux yeux bleus, lui avait fait pousser des ailes.
Le mariage avait été programmé pour le début juillet de cette même année 1878. Pour éloigner toute indiscrétion, l’union d’Isabelle et de Miguel eut lieu à Perpignan, ville de naissance de Marguerite Garrigue, née Maraval.
L’hôtel de ville de la capitale du Roussillon, autrefois capitale des rois de Majorque au XIIIème siècle, a enregistré l’heureux événement et la cathédrale Saint Jean-Baptiste a béni le couple dans un recueillement qui ne pouvait qu’être apprécié de Doña Luciana de Almanzar, grande catholique. Sous la pression familiale, elle avait accepté de faire le déplacement et il avait été convenu, sur sa demande, qu’elle rejoindrait la région de Valencia, dès le lendemain matin.
Isabelle était magnifique ; on n’avait pas lésiné sur la toilette de la mariée, ce qui a fait dire à Doña Luciana que son fils s’était allié avec une famille de dépensiers qui ne savaient pas gérer leur argent et qu’elle allait devoir surveiller sa bru. Pour le repas, on avait rejoint la propriété de Marguerite Garrigue située à quelques kilomètres de Perpignan. Un déjeuner champêtre a été servi, dehors sous les grands arbres. Le repas a régalé les papilles et fait chanter les gosiers.
Il n’y a pas eu de cérémonial, Arthur et Marguerite Garrigue voulaient que tout le monde se sente à l’aise. Le comportement guindé de Doña Luciana, intérieurement offusquée par l’absence du bénédicité en début de repas et l’impossibilité de se confier à un prêtre, a alourdi l’ambiance de la fête. Elle en a eu vite assez de ces
joyeux lurons de Français qui ne pensent qu’à s’amuser et qui ont entraîné dans leur débauche, son mari, don Juan de Almanzar. Elle a demandé à se retirer, ce qui lui fut chaleureusement accordé et, aussitôt, la joie d’être ensemble s’est fait entendre. Les deux beaux-pères s’entendaient comme des larrons en foire sous l’œil complice des mariés. Don Juan dévoilait sa vraie nature qui était revenue au galop puisqu’elle n’était plus bridée.
Avant que les jeunes mariés ne s’échappent, Arthur Garrigue a attiré son gendre à l’intérieur de la maison et la dot a été dévoilée. Elle se composait d’un capital et d’une rente annuelle. L’ensemble était considérable. Don Miguel s’est libéré de cette donation en affirmant qu’il n’y toucherait pas, que seule Isabella en disposerait.
Sous prétexte d’aller se rafraîchir, les tourtereaux se sont éclipsés. Don Miguel, avait tout préparé et ils ont pris la direction de la Côte d’Azur dans la soirée, pendant que la fête battait encore son plein.
Françoise Maraval
Demain sera, dans notre culture occidentale, la journée des défunts. Ayons une pensée pour celles et ceux qui nous ont précédés et pour les multitudes de victimes de l'impéritie des responsables des absurdes et terribles affrontements idéologiques. Après-demain, le billet de Suzette Merlhiot, vice-présidente de la S.P.A , avec "Une année difficile", et l'émouvante petite histoire de Ziggy, sera son emphatique tribune. |
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