Au gui l’an neuf
Depuis déjà deux semaines, une expression me revient sans cesse à l’esprit : « Au gui l’an neuf ».
Je me revois encore enfant aller souhaiter la Bonne Année aux personnes âgées qui habitaient dans ma rue. Je le faisais volontiers, car je savais qu’ils attendaient mon passage.
Je commençais toujours par la Célestine et le Faugère (le garde champêtre), mes plus proches voisins. Les baisers de Célestine, doux et généreux, dégageaient la chaleur de l’amour sincère et j’avais l’impression qu’elle allait me dévorer avec délectation. J’étais heureuse de leur dire « au gui l’an neuf » : je ne savais rien de la formule si ce n’est que je leur présentais des vœux de bonheur mais aussi que j’allais recevoir en retour, une friandise mise de côté pour moi, en guise d’étrennes.
Puis, c’était le tour de la Mathilde et de son fils l’Émile. Dans la même maison, habitaient l’Élie et la Lucie, le deuxième fils de la Mathilde.
En haut de la rue, l’Édouard m’attendait sur le pas de sa porte car, me guettant, il m’avait vue entrer chez les Souletis. Son épouse, la Louise, me tendait une praline que je dégustais aussitôt. Les Roye, à leur tour, me guettaient et je comprenais que ma venue les amusait et leur allait droit au cœur.
Je finissais par mes grands-parents. Traditionnellement, Yvonne, ma mémé, me donnait du chocolat, mais du chocolat noir que je n’aimais pas, trop amer pour moi. Je savais qu’un gourmand m’attendait à la maison, mon père, qui ne ferait qu’une bouchée de ces étrennes. J’avais droit aux bises de mon grand-père, des bises qui piquent et il fallait que je les encaisse courageusement.
Ils étaient tous heureux de me voir en cette circonstance particulière, conscients que la tradition se perpétuait.
Je crois que c’est au patronage paroissial que j’ai découvert cette coutume. Elle s’est perdue ! C’est bien dommage… Elle était un instant de bonheur pour toutes les générations.
Cette expression remonte aux druides qui, au solstice d’hiver, le 21 décembre, coupaient le gui avec la faucille d’or et ils prononçaient ces mots celtes :
« O ghel an heu »,
« Que le blé germe ».
car le solstice annonce le renouveau de la nature.
Au Moyen-Âge, l’expression s’est transformée en « Au gui l’an neuf » au travers d’enfants qui demandaient l’aumône.
On attribuait au gui, un pouvoir magique protégeant les hommes des mauvais esprits.
Au 4e siècle, les Chrétiens ont tenté de faire cesser la tradition du gui, jugée trop païenne et ils ont essayé de remplacer le gui par le houx, moins païen à leurs yeux, car ses feuilles piquantes rappelaient les épines de la couronne du Christ. Finalement, la culture populaire décida de laisser le houx à Noël et le gui au Nouvel An.
Cette même culture populaire a créé un personnage folklorique autour de l’expression
« Au gui l’an neuf » ;
C’est la Guillaneu, l’aguilaneu, l’aguillanu, la Dilannu, personnage évoqué durant la période de l’Avent, jusqu’au nouvel an. C’est une cavalière mystique chevauchant le cheval Mallet que l’on trouve dans le folklore français du XIXe siècle, principalement en Vendée et dans le Poitou.
La Guillaneu est un être, fée et sorcière, montant un cheval fou sans queue ni tête.
La Guillaneu serait donc un personnage mythique qui tourne pendant l’A-guillneu.
Le mot a été francisé pour devenir « au gui l’an neuf »
Ainsi, souhaiter l’aguillaneuf, c’est former un vœu de bonne descendance, de prospérité.
La Guillaneu serait une cavalière qui visitait l’ouest et le centre de la France durant la période du nouvel an, liée aux cadeaux qui s’échangeaient à cette période. En Vendée et dans l’île d’Oléron, elle personnifiait la traditionnelle quête de Noël : les enfants passaient de maison en maison, à la veille du jour de l’an ou de l’Epiphanie afin de récolter un peu d’argent, tout en chantant l’une des versions de la chanson. Selon cette chanson, Guillaneu serait abritée par des adultes dans leur maison, et c’est elle qui donnerait les cadeaux aux enfants.
Dans plusieurs cantons de Bretagne, les pauvres gens, à l’époque de la Noël, se réunissaient pour quêter de village en village, chantant une vieille chanson dialoguée. Leur troupe était précédée par un vieux cheval orné de rubans et de lauriers, chargé de porter les produits de la quête. La tournée terminée, ils les apportent chez l’un d’eux, et se les partagent. Ils portaient des tambourins, jouaient du fifre, ils marchaient en chantant une chanson que le chef de troupe leur apprenait. Leur cri était : « ha ! Dieu te garde. Or çà compain, donne-nous aguilaneuf ».
Au XVIe siècle, la tradition était moins pacifique puisque au jour convenu de la quête, les pauvres s’équipaient de bâtons, de fourches, piques et épées, et l’homme en tête de la troupe portait une arbalète afin de menacer l’habitant.
La même coutume existait, autrefois, dans un grand nombre de provinces de France et les chants variaient selon les contrées.
Quelques exemples :
Chanson en vieux français, Traduction moderne
La voué beille la Guilloneu Je la vois bien la Guillaneu
La hoou peur la fénête Là-haut par la fenêtre
Sur un petit chevau grisan Sur un petit cheval gris
Qui n’a ni Quû, ni pès ni tête Qui n’a ni queue, ni pieds ni tête.
Les quatre pés ferrès tot nus. Les quatre pieds ferrés tout neufs.
Version du Limousin :
Arribas ! Som arribas ! Arrivés ! Nous sommes arrivés !
Le Guillaneu nous faut donner,
Gentil seigneur
Le Guillaneu donnez-le nous,
À nous compagnons.
Version du Québec :
Bonjour le maître et la maîtresse
Et tout le monde de la maison (Bis)
Pour le dernier jour de l’année
La Guignolée vous nous devez (Bis)
Si vous voulez rien nous donner, dites-nous lée
On emmènera seulement la fille aînée. (Bis)
On lui fera faire bonne chair,
On lui fera chauffer les pieds. (Bis)
On vous demande seulement une chignée,
De vingt à trente pieds de long, si vous voulez (Bis)
La Guignolée, la Guignolée,
Mettez du lard dedans nos poches. (Bis)
J’espère que cette vieille tradition vous a plu.
Si vous entendez quelqu’un frapper à votre porte, ouvrez-la.
La Guillaneu qui est dans votre maison, a quelque chose à donner aux pauvres gens.
Françoise Maraval
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 221 autres membres