CHARLES-MAURICE de TALLEYRAND-PÉRIGORD ( 3ème partie) par Françoise Maraval
Talleyrand sous la grande Révolution
Ouverture des États généraux, le 5 mai 1789
Le 5 mai, la journée s’est ouverte sous le signe de Dieu et de l’étiquette immuable de la cour, réglée par le grand maître des cérémonies, le marquis de Brézé. À Versailles, de l’église Notre-Dame à l’église Saint-Louis, les députés accompagnent en grande pompe, le Saint-Sacrement porté par l’archevêque de Paris. Les hauts dignitaires de l’Église marchent au milieu de la procession.
Charles-Maurice est là, parmi les évêques élus aux États généraux. Après le discours du roi, les trois ordres se retirent afin de procéder séparément à la vérification des pouvoirs de leurs membres. Dès le 6 mai, les députés du Tiers demandent la vérification en commun.
La composition des États généraux est la suivante :
- Tiers état : 584
- Clergé : 291
- Noblesse : 270
Soit 1145 députés
Sous une apparence formelle, l’enjeu est de taille : en commun, les députés voteront par tête, il n’y aura qu’une seule délibération et les députés du tiers, deux fois plus nombreux, seront majoritaires ; séparés, les deux ordres conservés du clergé et de la noblesse l’emporteront.
Le tiers état demande la vérification en commun des pouvoirs des députés des trois ordres et prend le titre, à l’instar de l’Angleterre, d’Assemblée des communes, manifestant son identification à la nation.
Le 11 mai, la chambre de la noblesse, sans tenir compte de la demande des députés du tiers, se déclarent constituée. La noblesse rejette le principe du vote par tête par 141 voix contre 47 et le clergé, plus divisé, par 133 pour la vérification des pouvoirs contre 114 en faveur d’une chambre unique. Les tractations et missions de conciliation commencent. Talleyrand conduit une des députations du clergé, chargée de soumettre aux députés du tiers, un plan de conciliation. Les blocages ne lui conviennent pas, d’autant plus que le 17, sur la motion de l’abbé Sieyès, le tiers se déclare Assemblée nationale, puis font serment de ne pas se séparer avant d’avoir donné une constitution à la France. Quelques curés rejoignent le tiers rebelle.
L’abbé Sieyès
Et alors même que, le 23 juin, le roi, du haut de son trône, installé dans la grande salle de l’hôtel des Menus plaisirs à Versailles, ordonne aux députés de siéger séparément, la majorité des députés du clergé ont rejoint les députés du tiers état réfugiés dans l’église Saint-Louis.
Charles-Maurice n’en est pas. Prudent, il attend…
Dans le courant du mois de juin, Charles-Maurice se rend à Marly où le roi et la reine se sont réfugiés après la mort traumatisante du dauphin.
Louis-Joseph Xavier François, dauphin de France
22 octobre 1781 au 4 juin 1789
Tableau attribué à Jean Baptiste André Gautier-Dagoty
Accompagné de quelques députés de la noblesse libérale, Noailles et d’Agoult entre autres, il voit le comte d’Artois, frère du roi et l’avertit de la gravité de la situation. Malgré les conseils de Talleyrand, le roi reste sur ses positions. Le député du clergé des quatre bailliages d’Autun, avec l’évêque d’Orange, Du Tillet, rallie la salle commune où siège le tiers état, contre l’ordre du roi.
Ni trop tôt, ni trop tard !
La veille, 47 députés de la noblesse libérale, parmi lesquels nombre de ses amis, ont fait de même.
Le 27, le roi cède et ordonne au clergé et à la noblesse de se soumettre.
Dans ses mémoires, une phrase résume la situation :
- « Je me mis à la disposition de l’occasion. Je résolus donc … de ne point lutter contre ce torrent qu’il fallait laisser passer, mais de me tenir en situation et à portée de concourir à sauver ce qui pouvait être sauvé.»
En juillet, Adrien Duquesnoy, député de Bar-le-Duc, découragé, note dans son journal :
« Nous ne délibérons , ni ne discutions : nous crions, nous clabaudons, nous nous emportons »
En octobre, Mirabeau compare la Constituante à « un âne rétif qu’on ne peut monter qu’avec beaucoup de ménagement ».
A Paris, comme à Versailles, les séances du matin, comme celles du soir, sont publiques. Les tribunes chahutent, menacent, vocifèrent. Le règlement n’est pas respecté. Les discutions les plus complexes sont interrompues par le défilé incessant des délégations et des pétitionnaires, les députés s’apostrophent d’un banc à l’autre, menacent d’en venir aux mains. Insidieusement, la peur s’empare d’eux et ne les quittera plus. Des listes de proscrits circulent. Certains députés sont physiquement pris à partie.
L’évêque d’Autun, bien connu pour sa popularité, est insulté.
Charles-Maurice est en effet en première ligne, il n’est pas à l’aise à la tribune. Ce n’est ni un orateur, ni un homme de tribune, il débite sans art et sans chaleur, ce qu’il a écrit.
A l’instar de Mirabeau, connu pour avoir eu un « atelier » d’écrivains mercenaires, il n’a sans doute pas rédigé ses discours tout seul ; à chacune de ses interventions, les réactions du public sont soit hostiles, soit enthousiastes, rarement indifférentes.
Le 11 juillet, Necker est renvoyé et l’ordre a été donné aux troupes de Paris d’envahir les rues de la Capitale. Le 14 juillet, les émeutiers prennent d’assaut la prison de la Bastille.
Le roi est informé de la situation à Paris, des 13,14, 15 juillet.
« Sire, ce n’est pas une émeute mais une révolution »
Le 28 juillet, Charles-Maurice profite du retour de Necker pour se rapprocher de la fille du ministre, Germaine Necker, devenue Madame de Staël après son mariage avec l’ambassadeur de Suède, car il aspire à être ministre…Une femme influente, cela peut toujours servir !
Mirabeau a lancé une liste de ministrables : Liancourt, la Rochefoucauld, La Marck et l’évêque d’Autun pour les finances.
En août 1789, il fait adopter sa proposition de rédaction de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen :
« La loi est l’expression de la volonté générale… Elle doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse... »
Le 23 août, Mirabeau et Talleyrand interviennent en pleine discussion de l’article 10 des droits de l’homme et du citoyen sur les libertés et en particulier sur les libertés religieuses, pour critiquer la notion de « culte dominant » que certains veulent faire inscrire dans l’article à propos de la religion catholique. Le 28 janvier 1790, l’évêque d’Autun réclame les droits politiques en faveur des juifs de France et parvient par son intervention, à convaincre une Assemblée très réticente.
Alors qu’il travaille à la future Constitution du royaume, Charles-Maurice s’occupe, aussi et surtout, d’économie et de finances. C’est pour combler le déficit du budget de l’État que les députés ont été convoqués, et puis les finances, c’est sa vraie passion.
Le 10 octobre, alors que l’Assemblée siège à Versailles pour la dernière fois, l’évêque d’Autun, ex-agent général du clergé, propose de « nationaliser » les biens de son ordre.
La diabolisation de Charles-Maurice, la légende noire du « traître » et de l’« apostat », date de ce jour. Il n’a pas mesuré les conséquences de la proposition en pleine révolution.
Fin novembre, on soupçonne à l’Assemblée, la présence du frère du roi derrière les manœuvres de Mirabeau et de Talleyrand. Contre de l’argent, Mirabeau avait juré « d’aider le roi de ses lumières, de ses forces et de son éloquence, dans ce que Monsieur, frère du roi, jugera utile pour l’État et à l’intérêt du roi. »
Le 10 février 1790, il est élu à la présidence de l’Assemblée nationale.
En mars 1790, il prononce un discours qui aura pour conséquence, « l’établissement du système métrique. »
Alors qu’il travaille à la future Constitution du royaume, Charles-Maurice s’occupe, aussi et surtout, de finances. Si l’Assemblée se range à son avis, elle ne le suivra pas sur les moyens. En gageant les anciens biens du clergé sur « une valeur monétaire générale et forcée », l’assignat, elle va engager la nation dans une spirale inflationniste que Charles-Maurice sera le premier à combattre. Les assignats sont un emprunt, le sabre à la main, dit Mirabeau et surtout l’évêque d’Autun regrette amèrement qu’on ne l’ait pas suivi en donnant « aux titres de créance une valeur monétaire ».
« Je serai inconsolable si, de la rigueur de nos décrets sur le clergé, il ne résultait pas le salut de la chose publique » dit Talleyrand à la tribune.
A son amie, la comtesse de Brionne, il écrit, le 9 octobre : « On vous dira que j’ai été très mal pour le clergé, mais je suis convaincu que j’ai donné le seul moyen qui existe pour le tirer de sa détestable position, qui était bien près de son anéantissement absolu ».
C’est d’abord une rumeur puis, très vite, une certitude : l’évêque apostat a vendu les biens du clergé par intérêt. Son rôle à la Caisse d’escompte, les très nombreuses actions qu’il y possède, en font un des plus gros créanciers de l’État au bord de la banqueroute.
En réunissant à Paris, les 14 000 députés des gardes nationales des départements, le jour anniversaire de la prise de la Bastille, la grande mise en scène de la Fédération et du serment à la nation, à la loi et au roi, ressemble à une manifestation de pure propagande, la première du genre, à la gloire de l’égalité, de la liberté et de la réconciliation nationale.
C’est Talleyrand, après Bailly, le maire de Paris, qui appuie le principe de la fête patriotique, le 7 juin, à l’Assemblée nationale. Plusieurs centaines de milliers de personnes assistent à la cérémonie, le 14, sous leur parapluie : il pleut presque continuellement, ce jour-là.
La fête de la Fédération, le 14 juillet 1790.
Le 12 juillet, le roi l’a désigné pour y célébrer la messe. Le roi et la famille royale prennent place sous un immense dais de velours bleu et or, adossé à l’École militaire. Au centre de l’esplanade, s’élève « l’autel de la patrie » sur une vaste estrade en bois ornée d’immenses brûle-parfums et décorée des 83 bannières des départements.
En gravissant, à demi-boitant, les marches de l’autel, revêtu de ses ornements d’évêque, mitre en tête et crosse à la main, il croise La Fayette et lui glisse :
« Par pitié, ne me faites pas rire. »
Françoise Maraval
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