Terre de l'homme

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Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord sous la Grande Révolution, par Françoise Maraval

 

 

CHARLES-MAURICE de TALLEYRAND-PÉRIGORD 

SOUS LA GRANDE RÉVOLUTION

 

 

 

L’EXIL A LONDRES

 

 

 

Le début septembre 1792 est marqué par de terribles massacres dans les prisons.

 

L’ouverture de l’armoire de fer, découverte aux Tuileries, révèle des documents compromettants pour le roi, mais aussi pour d’autres personnalités, notamment pour Talleyrand et pour Mirabeau (mort en 1791), qui ont eu des relations cachées avec la famille royale.

 

Le 7 septembre, l’ancien-évêque d’Autun réagit, en obtenant de Danton, un ordre de mission pour aller à Londres, sous prétexte de travailler à l’extension du système des poids et des mesures. Il ne veut pas être considéré comme un émigré, au contraire de nombreux nobles partis à l’étranger depuis juillet 1789 :

 

« Pour moi, il est désormais dangereux de rester en France mais je ne voulais sortir qu’avec un passeport régulier, de manière à ne m’en pas fermer les portes pour toujours. »

 

Talleyrand part le 10 septembre 1792 pour Londres.

 

Il était temps car le 5 décembre, un décret d’accusation est porté contre « le ci-devant évêque d’Autun » qui se garde bien de rentrer en France.

 

Londres

 

 

Vue de Londres, par un artiste inconnu,  au début du XVIIIe siècle

 

 

Mais, il faut vivre.

Charles-Maurice s’installe d’abord à Kensington square, près de Hyde Park. Sa maison est tenue dans un premier temps, par une vieille amie, Charlotte de la Châtre, qui a sans doute été sa maîtresse.

 

 

Comtesse

 

 

La comtesse de la Châtre (1789) par Élisabeth Vigée-Lebrun

 

La plupart des amis de Charles-Maurice parviennent, peu à peu, au péril de leur vie, à rejoindre Londres, dans les derniers mois de 1792. Le 20 novembre 1792, de nouvelles pièces compromettantes ont été portées à la connaissance des députés : dans la cachette secrète construite à l’intérieur d’une boiserie, dans un corridor menant à la chambre à coucher du roi, au château des Tuileries, les révolutionnaires ont mis en lumière pas moins de 625 documents dont les plus accablants révèlent la correspondance secrète du roi et de la reine avec leur allié, l’empereur d’Autriche.

 

Le procès de Louis XVI commence le 11 décembre 1792.

 

Les réunions de Kensington Square sont brillantes. On y compte souvent 18 à 20 personnes à table. On discute de tout, on défend toutes sortes de systèmes, on raconte des anecdotes de tout genre sur la Révolution, on parle et on s’inquiète des amis restés en France.

Par économie, la plupart des amis de Charles-Maurice s’installent, peu à peu, autour de Londres. Narbonne, échappé de prison, prend place au sud, dans le Surrey, à Juniper Hall près du petit village de Mickleham.

Charles-Maurice brille autant par les saillies de son esprit que par les douceurs de son charme.

La vie à Londres est chère et Charles-Maurice est à bout de ressources ; en avril, il vend sa bibliothèque qu’il avait fait venir lors de son premier voyage en Angleterre. La vente se passe mal.

« Aujourd’hui, mes livres vendus , j’ai en tout, hors de France, sept cent cinquante livres sterling ; à quoi cela est-il bon ? » écrit-il, désabusé, à Mme de Staël en novembre 1793. Si ses livres lui rapportent peu d’argent, leur vente publique est une nouvelle occasion de scandale dans la communauté religieuse française réfugiée à Londres comme du côté des aristocrates intransigeants. Certains des ouvrages vendus au catalogue sont en effet fort peu ecclésiastiques .

«  On raconte, qu’à la criée d’un exemplaire magnifique des œuvres de Voltaire, les Anglais eurent la faiblesse de se scandaliser en voyant que la Pucelle et ses gravures avaient été à l’usage de ce lord spirituel » écrit l’abbé Baston.

Mais, ce n’est rien en comparaison de l’indignation qui s’empara de tous les spectateurs, acheteurs et autres, quand on exposa en vente les tablettes de cuivre qui servaient à multiplier et à perpétuer ces infamies.

 

Charles-Maurice fréquente tous ceux qui comptent dans les milieux wigs et francophiles du libéralisme anglais. Pour la première fois de sa vie, il n’a pas grand chose à faire. Tout du moins, en apparence ! Quand il n’est pas à Wycombe avec Mme de Flahaut, il habite à la fin de son séjour en Angleterre, Down street, Piccadilly ; il consacre ses matinées à lire tout ce qui vient de France et d’Europe et à écrire. Son goût pour les affaires, son intérêt pour les Indes orientales, l’incitent à créer une banque « indienne » à Paris !

 

Les affaires de France ne cessent de le préoccuper. Il échafaude avec Narbonne, le projet de rallier Toulon qui s’insurge contre la Convention et accueille les Anglais de l’amiral Hood, fin août. Mais, le 8 octobre, les chances de succès de l’entreprise sont compromises.

 

Avec Mme de Staël, Charles-Maurice développe des idées sur le bon usage de l’aide étrangère au rétablissement d’une monarchie constitutionnelle en France. Une constante dans sa vie. Le fait d’avoir été républicain, l’année précédente, ne l’empêche pas de continuer à croire aux chances de cette monarchie limitée, pour laquelle il se bat depuis le début de la Révolution. Le gouvernement doit reposer sur un pouvoir d’assemblée et sur des bases libérales.

Mais, pour l’heure, Talleyrand ne donne pas cher de son propre avenir. « Jusque-là, je n’ai fait que passer plusieurs années à vivre. »

 

La surveillance de la police permet d’expulser ceux qu’elle juge indésirables sur le territoire anglais. Il raconte les faits suivants à Mme de Staël :

 

« Mardi dernier, à cinq heures du soir, sont entrés chez moi, deux hommes dont l’un m’a signifié qu’il était messager de l’État et qu’il venait m’apporter un ordre du roi qui m’enjoignait de quitter ses États dans l’espace de cinq jours. »

 

Aussitôt, Charles-Maurice se démène pour faire annuler la mesure et veut qu’on lui en avoue les causes. Ses démarches ne serviront à rien, sinon d’obtenir un sursis de quelques semaines à son départ. Mais où aller ? L’Europe entière le refuse.

 

La curiosité, le goût des affaires lui font choisir les États-Unis ; le 2 mars 1794, Talleyrand s’embarque à Londres sur le William Penn en partance pour Philadelphie.

 

 

Françoise Maraval

 



24/06/2025
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