CHARLES-MAURICE de TALLEYRAND-PÉRIGORD par Françoise Maraval
SOUS LA GRANDE RÉVOLUTION (suite)
Après la mort de Mirabeau, Talleyrand écrira :
« La monarchie est certainement descendue avec lui dans la tombe ; il faut maintenant que je ne me fasse pas enterrer avec elle. » Comme l’écrit son ami Gouverneur Morris, un homme politique américain, il est plus que jamais assis « entre deux tabourets et n’aura jamais un siège bien sûr. » Il va suivre une ligne modérée. L’ancien évêque d’Autun se consacre à des tâches aussi peu compromettantes que possible ; il défend les travaux du physicien Charles dont le cabinet est au Louvre et prépare le Salon annuel des arts qui s’ouvre également au Louvre, le 8 septembre 1791.
A l’Assemblée, il se réfugie dans un rôle de « spécialiste ». En 1790, il avait déjà été l’un des initiateurs de l’uniformisation des unités de compte, de poids et de mesure, prêchant l’abandon des anciennes mesures du roi, « source d’erreur » pour « un modèle invariable » pris dans la nature afin que toutes les nations puissent y recourir. Il a toujours ce souci de simplicité, de logique et de raison, hérité des Lumières. Le système décimal comme le mètre-étalon, adopté en France en 1799, lui devront beaucoup.
Le décilitre, le gramme, le mètre se préparent à remplacer les anciennes mesures royales.
S' il siège discrètement en août 1791, au conseil de révision de la Constitution, avec l’arrière-pensée d’en renforcer le caractère monarchique, il se fait surtout remarquer par un volumineux Rapport sur l’instruction publique qu’il lira et fera lire, trois jours durant à la tribune de l’Assemblée.
L’éducation nationale devient la marotte de l’évêque. L’« immense machine » de Charles-Maurice vise à remplacer l’ancien système d’éducation en ruine, depuis deux ans. Son plan est à la fois précis et pratique, logique et structuré, révolutionnaire et visionnaire dans certains de ses aspects.
Pour lui, l’école primaire doit être gratuite, les enfants sont libres de choisir leurs études dans les collèges ; les spectacles, les fêtes et les arts font partie intégrante de l’éducation, les maîtres sont élus, chaque chef-lieu de département devra avoir une bibliothèque publique.
Au sommet d’un édifice fortement hiérarchisé et contrôlé par un corps permanent d’inspecteurs, Charles-Maurice propose de créer à Paris, un Institut national divisé en plusieurs classes. Daunou en 1795 puis Bonaparte en 1803 concrétiseront l’idée.
L’instruction doit être progressive, des écoles de cantons aux écoles de départements, et complète : « Physique, intellectuelle et morale. » Elle a pour but de perfectionner « l’imagination, la mémoire et la raison ».
Les femmes ne sont pas bien traitées. « La maison paternelle vaut mieux à l’éducation des femmes. »
Les 216 pages de son Rapport font de son travail sur l’éducation, l’un des plus importants qu’il ait jamais entrepris. Mirabeau l’a sans doute inspiré. Mme de Staël y aurait mis la main, Cabanis, Dupont de Nemours, Lagrange, Lavoisier, Condorcet, Monge, Laplace, Vicq d’Azir ont été consultés.
Malheureusement, Charles-Maurice arrive trop tard. L’Assemblée nationale constituante ferme ses portes, le 30 septembre 1791. Le 25, les 35 articles du décret d’application de son projet sont ajournés par les députés et renvoyés à la prochaine législature. Talleyrand en sera irrité.
Dans l’immédiat, il doit se contenter d’un succès d’estime. André Chénier lui écrit son admiration. Les journaux, le journal de Paris, la Chronique de Paris, accueillent avec transport ce sublime projet. Le club des Jacobins qui n’aime pourtant pas l’auteur, vote le 30 septembre, un hommage à l’ouvrage. Charles-Maurice est suffisamment content pour se faire représenter par Mme Adélaïde Labille-Guiard dans un portrait au pastel « tenant à la main des papiers sur lesquels, il est écrit : Liberté des cultes, et éducation nationale. Charles-Maurice veut laisser à la postérité, l’image du libéral et du modéré, alors que se ferme une page de la Révolution avec la dissolution de l’Assemblée constituante.
La roue tourne.
En quittant l’Assemblée, Talleyrand est inquiet.
Les derniers mois de la Constituante sont marqués par la tentative de fuite du roi, le 21 juin 1791.
C’est une période de scission entre les patriotes :
ceux qui restent monarchistes (Lafayette) et ceux qui estiment que la France doit devenir une République, notamment Robespierre.
Maintenant, les voies de l’influence et du pouvoir sont de plus en plus étroites. Cependant, Charles-Maurice pense à mettre un de ses vieux amis aux affaires. Qui de Choiseul, de Lauzun ou de Narbonne l’emportera. C’est Narbonne qui devient ministre, le premier, grâce à Mme de Staël.
Louis de Narbonne
Tout réussit à celui qui passe pour être le fils naturel de Louis XV. Il a été grâce à sa mère, Françoise de Chalus, le chevalier d’honneur et le protégé de Madame Adélaïde, la sœur aînée du Bien Aimé.
Françoise de Chalus, maîtresse de Louis XV et mère de Louis de Narbonne
Il a commandé deux des plus beaux régiments de l’armée, Angoumois puis Piémont, avant même que n’éclate la Révolution. Sans être beau, il plaît aux femmes. La vicomtesse de Laval a été sa maîtresse, avant d’être celle de Charles-Maurice. Elle finira par vivre avec lui après la Révolution. Pour l’heure, Mme de Staël l’aime passionnément. Elle a déjà un enfant de lui et en aura bientôt un second. Elle rêve de faire de ce brillant général, libéral et fidèle au roi, un ministre et un héros. À force d’intrigues, elle le fait nommer ministre de la Guerre.
Avec Charles-Maurice, elle a pour lui un plan : sauver le roi, en fortifiant l’armée saignée par l’émigration.
En effet, l’émigration est importante : il faut réconcilier le roi et la noblesse : opération difficile.
Dans les premiers mois de 1792, presque toute la famille Talleyrand a quitté la France.
Sa mère s’est réfugiée à Tournai. Son oncle l’archevêque a obtenu, non sans mal, dès le mois de juillet 1791, ses passeports pour Spa, où il dit vouloir prendre les eaux qu’exige son état de santé. Il réside successivement à Aix-la-Chapelle, Weimar, et Brunswick. Il sera à Bruxelles en août 1792 où il célébrera la messe de la Saint-Louis, cinq jours après la prise des Tuileries.
Ses frères et cousins de la branche aînée, Élie, prince de Chalais, et Adalbert de Périgord ont suivi. Boson, son cadet, est à Coblence. Archambaud sera le dernier à partir, peu après Charles-Maurice. Seul, le demi-frère aîné de son père, l’autre pied-bot de la famille, le comte de Périgord, refusera de quitter Paris, estimant sa place auprès du roi.
En janvier 1792, les velléités guerrières de Narbonne contre l’empereur d’Allemagne, Léopold II, donnent à Talleyrand l’occasion de tenter, pour la première fois, sur le terrain, son rêve de toujours : un rapprochement avec l’Angleterre et la mise en œuvre d’une solide alliance politique et commerciale entre les deux royaumes. Il quitte Paris le 15 janvier 1792, muni d’une lettre de recommandation du ministre des Affaires étrangères, Valdec de Lessart, pour Grenville, son homologue à Londres. Lauzun, qui porte le titre de duc de Biron, depuis la mort de son père, l’accompagne. Sa connaissance des milieux d’opposition à Londres lui sera utile. Biron qui vient d’être nommé lieutenant général, est chargé par Narbonne d’un achat de chevaux pour la remonte de l’armée.
La France propose de céder Tobago ; mais, aussi, elle propose d’accorder aux Anglais, des « avantages considérables dans l’île Bourbon (aujourd’hui île de la Réunion). En échange, un prêt de 50 millions de livres entre l’Angleterre et la France, suivi d’un autre en Hollande, gagé sur la Caisse d’escomptes et sur celle de la Compagnie des Indes, mettrait un terme au déséquilibre des changes entre les deux pays, qui ne fait que s’accentuer depuis le début de la Révolution, gênant les industriels anglais et favorisant la contrebande.
En outre, l’Angleterre et la France renonceraient d’un commun accord et par traité , pour la première à son alliance avec l’empereur, pour la seconde au vieux « pacte de famille » qui la lie à l’Espagne.
Le jour de son retour à Paris, le 10 mars 1792, Valdec de Lessart est mis en accusation à l’Assemblée, sur la pression des Girondins. Tout le ministère tombe, y compris Narbonne. L’accession aux Affaires étrangères de Dumouriez marque les débuts d’une nouvelle diplomatie en rupture avec celle de la cour. Dumouriez cherche l’alliance de l’Angleterre pour pouvoir porter ses coups contre l’empereur.
Charles-Maurice retourne à Londres, le 28 avril 1792. La cour de Saint-James, déjà très froide à son égard lors de sa première présentation en janvier, lui est hostile.
La dégradation de la situation, la chute du ministère girondin, le 13 juin, la journée du 20 juin et les violences exercées contre le roi aux Tuileries freinent toute la partie financière, coloniale et commerciale des discussions avec les ministres anglais.
Le remplacement de Dumouriez au ministère des Affaires étrangères ramène Charles-Maurice à Paris, dans les premiers jours de juillet 1792.
Au final, ses deux missions sont peu fructueuses.
Revenu à Paris, le 8 juillet , Charles-Maurice prend la mesure de la gravité de la situation.
Depuis le 20 juin, le conseil et le directoire du département de la Seine sont en conflit ouvert avec la maire de Paris, Pétion, qui a couvert les émeutes. Les députés de la Législative demandent la suspension de Louis XVI.
Le roi de France, devenu roi des Français depuis la Constitution de 1791, perd ses pouvoirs lors de la journée du 10 août 1792, quand les patriotes fédérés, provenant de toutes les régions de France, donnèrent l’assaut sur le château des Tuileries, résidence royale depuis le retour du roi à la fin de l’année 1789.
Plus que le 14 juillet 1789, le 10 août 1792 est une date fondamentale dans l’histoire de France car elle marque véritablement la fin de la monarchie, confirmée légalement par le 21 septembre 1792, date de l’avènement de la première République française.
Trois jours plus tard, le roi déchu est emprisonné avec sa famille dans la prison du Temple à Paris.
Alors que ses amis sont arrêtés comme Louis de Narbonne et Liancourt, ou massacrés comme le duc de La Rochefoucauld, l’ex-évêque d’Autun multiplie les certificats de bonne conduite auprès des autorités qui comptent et qui ont puissance de vie ou de mort.
Le 28 août, la commune de Paris lui délivre un sauf-conduit, signé de six administrateurs.
« Nous, administrateurs et commissaires de la commune de Paris, certifions qu’il n’y a eu en notre comité de surveillance, aucune déposition contre M. Talleyrand, ci-devant évêque d’Autun, ex-député de l’Assemblée constituante. Délivré par nous, administrateurs, pour servir et valoir ce que raison. »
Charles-Maurice a peur… Il envoie au Conseil exécutif provisoire une note dans laquelle il plaide sa cause et manifeste le désir de servir « utilement, La République française à Londres.
Le 7 septembre , il quitte Paris avec son précieux « laissez-passer » en poche, signé par Danton.
Françoise Maraval
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