De belles gens. Suite n° 16. Saga de Françoise Maraval
DE BELLES GENS
Chapitre XVI
1916, espoir et déceptions
Nos permissionnaires de la fin 1915 ont plusieurs caractéristiques en commun, en dehors de la guerre elle-même : ils sont dénutris, très fatigués et manquent de sommeil. La guerre était installée maintenant depuis de longs mois. A l’arrivée des leurs, les cuisinières avaient mis les petits plats dans les grands. Elles connaissaient les points faibles de leurs hommes et ceux-ci avaient fait honneur à leurs plats préférés. En temps normal, ils mangeaient, ils dégustaient et souvent il ne leur venait pas à l’idée de remercier le cordon-bleu qui avait préparé le repas. Pendant les permissions, chaque bouchée a été un émerveillement et les papilles gustatives, toujours là , goûtaient comme jamais la finesse et l’abondance du festin.
Henri L., Arthur et Achille ont su trouver les mots justes et affectueux pour louer le savoir-faire de ces dames et leur perspicacité quant au choix des menus. Ils sont repartis réconfortés et la musette pleine de spécialités du pays.
Ils ont été pressés de questions sur le contenu de la ration du soldat. A lui seul, le mot « ration » n’annonce pas un repas de banquet périgourdin. La nourriture est l’une des premières préoccupations de nos hommes. Les cuisines sont à l’arrière du front et au sein de chaque compagnie, un soldat est désigné pour effectuer la corvée du ravitaillement.
La nourriture est froide quand elle arrive. La ration se compose de :
- 750 grammes de pain ou de 700 grammes de biscuit,
- 500 grammes de viande,
- 100 grammes de légumes secs ou de riz,
- du sel, du poivre et du sucre,
- du café torréfié.
Les repas sont arrosés d’une ration de vin importante.
Le soldat porte toujours sur lui une ration de combat composée de :
- 300 grammes de biscuits dit « pain de guerre »,
- 300 grammes de viande en conserve, le corned-beef.
La nourriture principale reste le pain. Mais quand il arrive à son destinataire, il est souvent dur.
Arthur et Marcel rêvent au pain blanc de la boulangerie Lamarche. Il sent bon, la farine de blé utilisée est de qualité, le savoir-faire de l’artisan et de son mitron s’est amélioré depuis la nuit des temps. On se met à apprécier des aliments qui, avant guerre, n’ étaient que simple évidence. Ce rituel de ne pas entamer un pain sans l’avoir signé d’une croix avec son couteau, prend tout son sens. Le profane bénit son pain, il est la base de l’alimentation, il est indispensable.
Le pain de chez Linol ou de chez Cramarégas, lui aussi, ravit toujours le client qui ne pourrait pas admettre qu’un boulanger fasse du mauvais pain.
Les familles nombreuses y ont des ardoises. On attend une rentrée d’argent pour payer, on paye une fois par mois, on attend la paye.
Arthur et Marcel ont plus de chance qu’Henri L. et qu’ Achille et surtout qu’Henri Destal en Allemagne. Quand ils sont de retour au dépôt, du bon pain les attend. Une belle miche de pain accompagne Emma au cours de ses déplacements à Limoges. Arthur partage le pain cypriote avec les copains.
Les soldats ont chacun un bidon d’un ou deux litres d’eau. Ils la font bouillir ou y jettent des pastilles pour la purifier.
La nourriture influe beaucoup sur le moral des troupes. La qualité de l’alimentation joue également sur l’état physique de nos soldats : les cas de dysenteries et de maladies intestinales sont fréquents.
La faim, la soif et le besoin de sommeil dominent la vie quotidienne des hommes des tranchées.
Les permissionnaires, repartis sur le front, laissent souvent des traces dans leur famille. Ainsi Emma se trouve d’être enceinte. L’événement est à la fois source de joie et d’inquiétude. L’avenir est incertain bien qu’Arthur se sente privilégié grâce à sa position d’ambulancier. Le Comité International de la Croix-Rouge a promu, auprès des États, la Convention de Genève de 1864 qui, en neutralisant les blessés, les hôpitaux et les ambulances, protège le soldat hors du combat et ceux qui lui viennent en aide.
La Convention de Genève, révisée en 1906, dénonce les violations aux règles édictées par la Convention de la Haye .
Le cercle de famille, lui aussi, ne sait pas s' il doit applaudir l’arrivée de « l’heureux événement » ou s' il doit s’en inquiéter. Mlle Tréfeil va pouvoir réaliser son rêve : devenir marraine. Jeantou ne comprend pas la joie d’Angélique ; il se sent trahi ! « Elle veut devenir la marraine de toute la famille ? On n’était pas bien comme ça ? ».
Pépé Jean a demandé à son petit-fils, s' il préfère un petit frère ou une petite sœur ! Jeantou a répondu :
- Pépé, j’ai le choix ? On ne peut pas voir ce qui se passe dans le ventre d’une femme !
- Mais comment sais-tu que le bébé est dans le ventre de ta maman ? C’ est elle qui te l’a dit ?
- Non Pépé, c’est Brousse. Il a déjà vu le ventre de sa mère gonfler et elle lui a dit qu’il y avait un bébé dedans. Mais pépé, pourquoi il s’installe là.
- Pour avoir chaud mon petit, pour que sa mère le nourrisse jusqu’à son terme.
- Pépé, comment il sort du ventre de sa mère, on le déboutonne ? J’étais dans le ventre de ma mère moi-aussi ? Et toi pépé, tu étais dans le ventre de ta mère ?
Alice, sur le pas de la porte de sa chambre, écoute la conversation et se retient de pouffer de rire. Son père embarquait dans ce genre de discussions, c’est impensable.
Le patriarche acquiesce d’un signe de tête aux interrogations de l’enfant et cherche du regard son épouse pour qu’elle vienne le sortir de ce mauvais pas car Jean comprend que son petit-fils en a encore sous le coude.
« Il est encore bien trop jeune pour qu’on l’informe de tout ça. » pense le pépé.
Maria propose une part de millas aux pommes et un bol de lait au miel et les deux gourmands oublient vite leur discussion…
Dans le haut de la ville,Yvonne souffre de nausées, tous les matins, et se demande ce qu’elle a, elle si solide. Anastasie a fait venir le médecin. Après auscultation, le docteur a annoncé à la jeune femme qu’elle est en bonne santé et qu’elle va être mère. Les deux femmes pleurent de joie. La naissance est prévue pour les alentours du 20 août. Achille va être si heureux : des enfants ! il en veut une pleine maison. Yvonne ne partage pas complètement les rêves de son mari. Elle aussi aime les enfants mais avec deux ou trois, elle sera comblée.
Elle se demande si elle va savoir leur donner tout l’amour dont ils auront besoin, elle qui n’a connu ni l’amour maternel, ni l’amour paternel. Sa mère et son père l’ont considérée comme une quantité négligeable, comme une moins-que-rien, comme un accident de la vie. Pas la moindre bise, pas un simulacre d’étreinte.
Elle dissipe vite ces mauvais souvenirs et la magie qu’elle opère sur les neveux et nièces d’Achille, la rassure.
Anastasie en a informé Achille sur le champ. Une belle carte arrive en retour, il y exprime son bonheur avec adresse et sous-entendu : il va être père. Il prend conscience de cette responsabilité qu’il remplira admirablement, sans aucun doute, si Dieu lui prête vie !
Au fait, la jeune maîtresse d’école, Henriette, est passée à la grande école. Ses élèves connaissent toutes les voyelles et toutes les consonnes et maintenant elle enseigne les syllabes.
- b et a, ça fait le son ba,
- c et o, ça fait le son co,
mais attention :
- c + a+ u, ça fait aussi le son co mais cela s’écrit cau. Non ce n’est pas une cause perdue...les élèves vont suivre.
Henriette a beaucoup de travail, d’autant plus que maintenant, elle va au catéchisme le jeudi matin!!!
Nous n’avons pas parlé de la solde des soldats. Les hommes de la troupe ne perçoivent pas de solde, le terme est réservé aux militaires de carrière, mais une prestation qui est communément appelée « le prêt » ; ne vous méprenez pas, le prêt ne doit pas être remboursé au sens où nous pourrions l’entendre, le terme découle tout simplement de prestation.
Le 2ème classe reçoit environ 25 francs par mois et cela en trois fois, tous les 10 jours, à terme échu. Il remplit une « feuille de journée » sur laquelle il indique sa position : première ligne, deuxième ligne, tranchées, arrière, repos etc ; au bout de 10 jours, les feuilles sont collectées. Le trésorier établit une « feuille de prêt » pour chaque soldat et en assure le paiement.
Un camion épicerie-quincaillerie, situé à l’arrière, à côté des cuisines, permet de faire quelques achats : par exemple, l’obtention du moulin à café pour moudre le café en grains, l’ouvre-boîte pour la conserve de corned-beef, la barbe à raser, du chocolat…
Nombreux sont ceux qui font des économies à partir de ces maigres revenus. Quand Emma a rendu visite à Arthur, la première fois à Limoges, elle avait prévu de lui laisser de l’argent, il ne l’a pas pris, il en avait assez !!! Achille, en permission à Saint-Cyprien, a eu la même réaction. Les familles compensent avec des colis et Emma avec ses visites mensuelles à Limoges.
La première permission de Marcel ne lui a été donnée que fin février 1916. Il s’est installé chez sa sœur, route du Bugue. Ils ont beaucoup parlé, ils avaient tellement de choses à se dire malgré leur correspondance régulière. Ils sont revenus sur la mort et l’enterrement d’Aline, la mère, tous deux désolés de l’absence des fils, sur le bonheur de savoir leur frère Henri vivant, malgré son lourd handicap et sa condition de prisonnier, sur les visites d’ Emma à Limoges et sur son état renouvelé de future mère, les inquiétudes des uns et les joies des autres. Ils ont bien sûr parlé de la forge. Emma a voulu présenter au maréchal-ferrant la comptabilité, il lui a ri au nez et lui a confirmé sa confiance absolue. Elle a donné des nouvelles d’Auguste, l’ancien de la forge et dit combien elle était contente de lui : il fait maintenant partie de la famille, au sens élargi du terme, puisque le patriarche le veut à sa table, chaque dimanche.
Marcel ne savait pas comment aborder la famille Maraval et cherchait quelques mots de réconfort au sujet de la mort d’André. Il a demandé des nouvelles d’Alice ; il redoute aussi leur prochaine rencontre car Emma lui rappelle chaque fois, dans ses lettres, que sa belle-sœur n’est pas guérie de son amour secret pour lui.
Février, c’est le mois idéal pour reconstituer les réserves de confits de canard, de manchons, de magrets, de pâtés, de cous farcis, de grillons et de tous les dérivés de ces volatiles. Il y avait grand monde sur la place des oies quand Jean Maraval a accompagné son épouse pour leurs achats annuels.
Le marché, place des oies, le premier lundi du mois
Pendant plusieurs jours, Maria et Alice ont dépecé les canards et reconstitué les provisions. Aujourd’hui dimanche, une soupe de carcasses de canard et ses bonnes miques rassemblent autour de la grande table, les habitués et un invité de marque : Marcel. Il est arrivé avec un bouquet de mimosas pour chacune de ces dames. C’est toujours à « la gravette » que fleurit le premier mimosa de Saint-Cyprien. Cette année, le coteau est magnifique et son parfum s’invite dans les maisons du voisinage.
Notre soldat est toujours aussi beau, il est droit comme un i et son charme habituel n’a pas pris une ride. Son regard, vert félin, séduit tout le monde. Alice le suit du regard mais lui ne la regarde pas. Il ne veut pas lui faire de mal et veut ne lui donner aucun espoir. Il offre à la tablée des sourires généreux qui font partie de son naturel. Ses pommettes, devenues saillantes, encadrent une bouche que l’on voudrait embrasser.
Alice, fort troublée, assure le service avec des mains tremblantes et n’arrive pas à se ressaisir. De temps en temps, elle lève les yeux en direction de Marcel. Le petit Jean installé à côté de son pépé, observe sa tante Alice. Il y a deux jours, il a entendu une conversation entre maman et l’oncle Marcel au sujet de sa tante.
Nini est amoureuse de Jeantou. Ils vont à l’école ensemble et avant de se séparer pour rejoindre leur école respective, elle lui fait un poutou sur la joue. Brousse dit que l’amour, c’est sur la bouche !!!
L’enfant se demande pourquoi Alice n’embrasse pas tonton Marcel puisqu’elle l’aime. Il va en parler à pépé . Il attrape son grand-père par le cou et lui parle dans le creux de l’oreille :
-Elle est amoureuse de tonton Marcel.
Le patriarche s’étonne : ce petit, décidément, lui pose des problèmes.
- Qui est amoureuse, petit ?
- Tata Alice.
Jean Maraval regarde discrètement sa fille. Elle n’est pas naturelle, elle est nerveuse et quand elle regarde Marcel, le père voit que sa fille ne peut pas dissimuler sa souffrance.
Marcel parle maintenant des usines de Montbéliard. Il s’y rend régulièrement et parfois à Sochaux, Il les a visitées ; c’est impressionnant et le bruit y est insupportable.
Les nouvelles du front ne sont pas bonnes. Les journaux annoncent une offensive dans le secteur de Verdun, le 21 février. A 7h15, l’artillerie allemande a déclenché un bombardement d’une puissance inouïe. Les canons ont écrasé les tranchées françaises, détruit les nœuds ferroviaires, les dépôts et les routes à l’arrière. Cette violence a surpris les Français. Plus d’un million d’obus sont tirés par les Allemands, le 21 février. A 17 heures, la première vague d’assaut a attaqué, sur un terrain bouleversé et méconnaissable. Contre toute attente, les soldats allemands se heurtent à de petits groupes de combattants français rescapés qui, bien qu’isolés et abrutis par l’artillerie, ralentissent la progression allemande. Toutefois, l’armée française ne parvient pas à acheminer des renforts, en raison de la destruction des voies de communication occasionnée par les bombardements ennemis. A partir du 24 février, la progression allemande s’accélère et permet la prise sans combat du fort de Douaumont, le 25 février 1916. Les Allemands sont alors à 6 km de Verdun.
La permission de Marcel est passée comme un éclair, il a dû rejoindre son escadron.
la voie sacrée
Fonfon note sur son cahier d’écolier qu’à partir du 26 février, 3000 camions ravitaillent quotidiennement le front. Du côté allemand, le terrain que leur artillerie a endommagé, ralentit l’acheminement de leurs renforts et de leur ravitaillement.
Ce ralentissement de la progression allemande donne du temps aux Français pour se ressaisir, en commençant par une réorganisation du haut commandement. Le 26 février, le général Pétain prend le commandement de la IIe armée. La route qui relie Verdun à Bar-le-Duc devient opérationnelle. On réarme les forts de la région qui offrent des abris sûrs pour les fantassins et constituent d’excellents observatoires pour l’artillerie. Pétain adopte un système de relève des unités qui permet de limiter l’usure de la troupe. L’armée française ne recule plus et son artillerie installée sur les hauteurs du Mort-Homme et de la côte 304 délivre des tirs d’une redoutable efficacité.
Les efforts fournis par l’armée française et les choix tactiques permettent aux Français de résister pendant que les Allemands piétinent.
Pétain lance en ordre général : « Courage ! On les aura ! ».
La généalogie de la rédactrice
André Maraval et Marie Borde décédèrent en 1915.
Famille : Bailly Familles : Marchive, Lamaurelle
D
Tronche Anna X Bailly Jean Marchive Jean X Anastasie Fousal
1867 1869 18 41-1913 1850
Yvonne : 1894
Marchive Angèle X Lamaurelle Henr Clémen : 1902 1886 1882
Henriette : 1909 Mo
Moïse : 1906 Jeanne : 1910
Michel : 1912
Louis : 1917
Micheline :1920
.
Bailly YvonneX Marchive Achille
1894 1892
Yette : 1916
Aimée : 1919
Clémence : 1921
Jean : 1923
Marthe : 1925
Hélène : 1928
Raymonde : 1929
Jeannette : 1938
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