Ce 4 octobre 1958 fut une discrète mais triomphale journée d'un "césarisme" pondéré.
René Coty, le second et dernier président de la IVème République, personnage d'une exquise délicatesse, affable, authentiquement républicain, "bourgeois plébéien", débonnaire, humble et retenu, dut s'effacer pour ouvrir le champ à un successeur qui piétinait d'impatience. Pour beaucoup, ce dernier n'avait pas du tout l'intention de se limiter, stricto sensu, au rôle de respectueux et sage gardien du sanctuaire républicain. Il ironisa à l'envi sur l'inauguration des chrysanthèmes.
Tous les deux ont connu la Guerre de 14, le premier, dans l'atroce théâtre de Verdun, comme homme du rang, le second, ancien Saint-Cyrien, comme officier.
Quelques 63 ans après, j'ai la parfaite souvenance de l'aparté du cours d'histoire du 4 ou du 6 octobre 1958, du merveilleux pédagogue que fut Jean Delbès, sur les remparts de Belvès. Cet enseignant, d'un humanisme affirmé, était profondément marqué par son séjour en captivité. il aspirait plutôt à devenir professeur de mathématiques*, a ouvert une parenthèse sur les dates historiques. En substance, il disait "quand un accident de la circulation se produit, celui-ci survient à une date". Aussi regrettable qu'il soit, ce n'est pas une date historique. A contrario, le 4 octobre 1958, pour lui, fut une journée historique parce que cette date est une date constitutionnelle de la République. Le professeur poursuivit. Pour lui, la VèmeRépublique n'était qu'une lointaine réplique de la IIIèmeRépublique qui, à mon humble sens, semblait avoir ses faveurs. Avec le recul du temps, je suppose qu'il devait, dans son esprit, sertir les moments positifs de celle-ci, le suffrage universel masculin qui balaya le suffrage censitaire, l'École laïque, gratuite et obligatoire**, la Séparation de l'Église et de l'État portée par Jean Jaurès et Émile Combes, le retour dans l'Hexagone de l'Alsace et de la Lorraine, et l'odyssée du Front populaire.
Merci Jean Delbès de nous avoir émerveillés lors de vos délicieux cours. Ceux-ci étaient dispensés avec une excellente pédagogie qui rimait avec passion et, si j'osais le dire, avec une horizontalité qui tranchait avec de sévères verticalités de certains de vos collègues.
P-B F
* Jean Delbès, après son retour de captivité, étaya son riche cursus pédagogique pour devenir professeur de mathématiques.
** Jean Delbès commença sa carrière d'enseignant comme instituteur. Dans l'enseignement laïque, il était de bon ton, alors, de réaffirmer que Jules Ferry fut le promoteur de l'école laïque, gratuite et obligatoire. Les héritiers des Hussards noirs de la République ont toujours occulté les images sombres de colonisateur de Ferry, son odieux stéréotype de différenciation ethnique et son approbation du massacre des communards.
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Le 28 septembre 1958, le corps électoral s'est résigné à voter le basculement de régime. Cette transformation métamorphosa notre instable République d'essence parlementaire en un régime présidentiel, tutoyant la monarchie absolue. Nos aînés, dont l'immense majorité n'avait pas lu le texte constitutionnel, peut-être sans s'en rendre compte, précipitèrent l'essence démocratique et parlementaire du régime dans un enfouissement... peut-être irréversible.
Nos parents et aînés venaient, par leur vote, d'acter la fable de La Fontaine Les Grenouilles qui demandent un roi . Dans cet apologue, La Fontaine (1621-1695) imite Esope et Phèdre qui avaient écrit une fable ("Ranae Regem petierunt" = " Les Grenouilles qui demandent un Roi ") pour calmer les Athéniens lassés de leur tyran.
Le 28 septembre 1958, ce n'était point la liberté qui guidait les pas des citoyens mais la lassitude du peuple de voir que les gouvernances s'enlisaient dans l'incapacité de résoudre l'immense problématique du moment. Elle trouvait son équation sur les deux rives de la Méditerranée. Notre pays, qui était interpellé par une colonisation puis une décolonisation bi-séculaire, ne s'était pas ému, à sa juste mesure, de la Guerre d'Indochine. Dans cette péninsule asiatique, seuls les militaires de carrière et les volontaires, un peu aventuriers et casse-cou, partaient dans ce guêpier. Pour l'Algérie, nos côtes sont séparées de l'Afrique seulement par 750 à 1 000 km. Force fut d'admettre que le contingent envoyé, là-bas, pour une mission impossible, émouvait, à juste titre, l'ensemble de la population.
Un peu à regret, le président Coty se résigna à appeler un homme providentiel pour mettre de l'ordre. Ce messie ne manifestait pas d'excessive considération affective pour les partis, même pour ceux qui lui ouvraient la route. Il voulait installer un pouvoir fort, surpassant les équilibres géométriques du parlement.
Cette nouvelle constitution, plébiscitée le 28 septembre, dite du 4 octobre 1958, promulguée le 5, s'inscrit dans le long listage de 14 constitutions que compte notre pays, depuis 1789.
La France, depuis la grande Révolution, a connu 14 constitutions (trois sous la Révolution, trois sous le Consulat et l’Empire, deux chartes plus la Constitution de 1815 dite des « Cent-jours », puis les constitutions de 1848, 1852, 1875, 1946 et 1958), auxquelles il faut ajouter, d’une part les constitutions non appliquées (celle de 1793), d’autre part les simples modifications d’une Constitution initiale (1802 et 1804)... Sans omettre des périodes sans constitution, comme le gouvernement révolutionnaire de 1793-1794, ou les gouvernements provisoires (1848, 1870). Certains régimes, enfin, ont connu des évolutions non écrites (le Second Empire, « libéral » à partir de 1860, la « Constitution Grévy », transformant la IIIe République à partir de 1879). Notons que l'État français n'avait nul besoin de constitution pour affirmer sa vassalité à un tyran raciste et démoniaque.
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