Terre de l'homme

Terre de l'homme

D'une saison à l'autre

les 4 saisons

 

Les Quatre Saisons : série de tableaux peints par Giuseppe Arcimboldo en 1563, en 1569, en 1572 et en 1573.

 

Dès le début de la vie, la roue du temps tourne sans arrêt du printemps à l’été, de l’automne à l’hiver, étapes successives qui rythment la vie sujette à cette loi d’airain contre laquelle on bute inexorablement sans pouvoir s’en affranchir.

S’en insurger, s’en plaindre ? Rendons-nous compte plutôt que la fatalité nous rattrape sous la forme d’une démographie galopante, de sorte que le compteur s’emballe et que nous franchirons d’ici peu le chiffre de 10 milliards d’humains et que la courbe exponentielle va continuer de monter. Jusqu’où ? Sujet capital, sujet d’inquiétudes mais les moyens existent de maîtriser cette croissance continue dont on connaît le risque, celui d’une planète qui sature avec le cortège des perturbations climatiques, de pollutions de toutes sortes, le manque d’eau, les épidémies etc.…Nos sociétés de l’abondance, de l’hyperconsommation et du gaspillage sombreraient-elles dans la pénurie, le chacun pour soi, la loi de la jungle, après avoir connu ce degré de civilisation et ce niveau de vie sans précédent ?

Les épidémies de peste, de choléra, de charbon, les maladies infectieuses qui ravageaient les populations ne sont plus qu’un souvenir lointain quoique l’épidémie du Covid a révélé combien nous sommes fragiles et à la merci de virus qu’on aurait le plus grand mal à maîtriser ; bien qu’aujourd’hui, nous sommes plutôt exposés aux maladies engendrées par nos modes d’hyperconsommation : cancers, diabète, maladies cardio-vasculaires, obésité, sédentarité, manque d’activité...

Ne noircissons pas trop le tableau et constatons, malgré tout, que nous vieillissons de plus en plus vieux, de sorte que l’âge moyen de vie chez l’homme est autour de 79-80 ans et chez la femme, 88-89 ans, chiffres jamais atteints auparavant. D’ici une vingtaine d’années, la France pourrait compter plusieurs milliers de centenaires, réussite certaine de notre appareil médical, sanitaire et social et défi à relever en ce qui concerne la prise en charge par une société qui s’essouffle.

La vieillesse n’est-elle pas une étape naturelle que l’on devrait accepter comme telle plutôt que de s’en inquiéter ? Vieillir dans les conditions d’aujourd’hui, n’a plus rien à voir avec les conditions qui régnaient, autrefois, que ce soit sur le plan de la santé, du social ou des possibilités de maintien de l’état physique ou intellectuel. De nos jours, des conditions optimales permettent de se maintenir en bonne forme, sachant que notre corps comme notre esprit ont autant besoin l’un de l’autre : cultiver son jardin, pratiquer des activités physiques et intellectuelles sont de bon aloi.

Mais les facteurs de risques nous guettent, engendrés par de mauvaises habitudes de consommation qui confinent à des addictions et nous savons que la philosophie épicurienne de certains consiste à ne se priver de rien et de braver le risque. A ces questions, comme celle d’entendre dire qu’on est là pour profiter de la vie sans se soucier du reste, révèle le degré de désinvolture qui peut régner dans ces sociétés de l’abondance et de l’hyperconsommation.

Bon nombre de nos concitoyens âgés consacrent leur temps libre au service de la collectivité. Notre société tient en place parce qu’elle a une histoire, un passé et ceux qui détiennent cette expérience de la vie, un vécu, la réflexion, une vision des hommes et de leurs comportements, ce sont les anciens qui, par l’apport de leurs connaissances, de leur sagesse et leur maturité, contribuent à maintenir l’équilibre sociétal.

Ce n’est pas, non plus, faire outrage aux personnes âgées que de dire que la société a besoin de sa jeunesse, de sa vivacité, de ses initiatives, de sa créativité, de son entreprise.

Souvenons-nous de cette vieille image d’un vieillard impétueux, coléreux, gémissant sur son sort, Don Diègue dans le Cid de Corneille, s’exclamant :

Ô rage ! Ô désespoir ! Ô vieillesse ennemie !

N’ai-je donc tant vécu que pour cette infamie

Et ne suis-je blanchi dans les travaux guerriers

Que pour voir en un jour flétrir tant de lauriers ?

Mon bras trahit donc ma querelle et ne fait rien pour moi ?

 

C’est du théâtre, de la grande tragédie qui va révolutionner cette aristocratie engoncée dans ses coutumes du XVIIe siècle : image bien révolue d’un vieillard qui veut venger son honneur, n’hésitant pas à demander le secours de son fils Rodrigue pourtant promis à l’hyménée avec Chimène, la fille de son ennemi le comte Don Gomes, aussi âgé que lui, entraînant ces jeunes gens dans un imbroglio qu’il aurait dû assumer. Ce coup de tonnerre dans les lettres françaises de l’époque a gardé son prestige grâce à des vers splendides et ces envolées lyriques.

La révolution d’aujourd’hui, c’est celle du bien vieillir dans sa peau et dans son esprit, celle de participer aux activités physiques et intellectuelles, à la vie associative ; mais, je nuancerai cela en rappelant un autre rôle tout naturel et spécifique, ô combien apprécié, celui des grands-parents avec leurs petits-enfants, leur lien de complicité unique et d’affection mutuelle. L’art d’être grand-père ou grand-mère est un moment unique que la vie nous offre et il faut s’en saisir.

 

Relisons ce poème délicieux de Victor Hugo :

Jeanne était au pain sec dans le cabinet noir

Pour un crime quelconque et, manquant au devoir,

J’allai voir la proscrite en pleine forfaiture,

Et lui glissai dans l’ombre un pot de confiture

Contraire aux lois. Tous ceux sur qui, dans ma cité,

Repose le salut de la société,

S’indignèrent, et Jeanne a dit d’une voix douce :

Je ne toucherai plus mon nez avec mon pouce ;

Je ne me ferai plus griffer par le minet.

Mais, on s’est récrié : -Cette enfant vous connaît ;

Elle sait à quel point vous êtes faible et lâche.

Elle vous voit toujours rire quand on se fâche.

Pas de gouvernement possible. A chaque instant

L’ordre est troublé par vous ; le pouvoir se détend ;

Plus de règle. L’enfant n’a plus rien qui l’arrête.

Vous démolissez tout. - Et j’ai baissé la tête,

Et j’ai dit : Je n’ai rien à répondre à cela,

J’ai tort. Oui, c’est avec ces indulgences-là

Qu’on a conduit toujours les peuples à leur perte.

Qu’on me mette au pain sec. Vous le méritez certes,

On vous y mettra. Jeanne alors, dans son coin noir,

M’a dit tout bas, levant ses yeux si beaux à voir,

Pleins de l’autorité des douces créatures :

Eh bien, moi, je t’irai porter des confitures.

 

L’art d’être grand-père

 

Jacques Lannaud

 

 

 

 



27/09/2023
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