Terre de l'homme

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La rose de l'Alhambra - par Françoise Maraval - chapitre 6

6

 

Rivalité,

 

Doña Luciana était d’humeur chagrine. Elle trouvait que l’attitude de son fils vis-à-vis de sa jeune épouse, n’était pas digne d’un homme, d’un vrai. Pour elle, un homme ne doit pas montrer ses sentiments et à ses yeux, son fils se ridiculisait à laisser voir qu’il était épris de sa femme. Elle se sentait évincée et ne pouvait s’empêcher de regarder sa bru avec mépris et lui faisait comprendre que la maîtresse de maison, c’était elle, Luciana Ferrero-de Almanzar. Les deux femmes ne pouvaient communiquer que par le regard. Isabelle prenait grand soin de montrer qu’elle avait du respect pour sa belle-mère, une personne sûrement de qualité puisque son fils, Miguel, lui témoignait attention et tendresse. La famille Garrigue avait conseillé à sa fille de se retrancher derrière un voile de patience. Alors que la bru avait le sourire et le rire faciles, la belle-mère était tout en raideur. Son regard dur pouvait faire peur mais Isabelle pensait que, grâce à son apprentissage du « valenciano », une communication chaleureuse pouvait s’établir.

 

Les deux hommes de la maison rassuraient, chaque jour, Isabelle, qui était bien déterminée à ne pas se laisser faire. Il lui fallait trouver un créneau bien à elle, dans lequel sa belle-mère refuserait d’entrer. Dès la soirée d’accueil à la huerta, à la propriété, Isabelle avait trouvé que le côté humain et social qui régissait la vie à « la cave des Belles Demoiselles » était, ici, absent. Luciana rabaissait ses gens de maison et, bien plus encore, les ouvriers agricoles. La nouvelle arrivée, au contraire, voulait bâtir quelque chose avec eux, elle voulait se rapprocher d’eux.

 

Un matin, après son cours de valenciano, elle s’est engagée dans le chemin qui mène au quartier des femmes, la maison que Miguel lui avait fait entrapercevoir, à travers la rangée d’orangers et de figuiers. Les cuisinières ont été surprises de voir la doña se présenter sur le pas de la porte d’entrée de la cuisine, avec un sourire éclatant. Ne sachant pas parler leur dialecte, hormis quelques mots récemment appris, elle a su pourtant se faire comprendre. Elle a visité la cuisine, elle a soulevé les couvercles des faitouts et des marmites, elle a senti le fumet qui s’en dégageait.

 

 

 

                                     Paysanne de Vincent Van Gogh (1885)

 

 

On lui a proposé une tasse de café et, sans le montrer, Isabelle notait tous les points qui avaient besoin d’être améliorés et ils étaient nombreux. Elle a voulu tout voir : le réfectoire, la buanderie, les dortoirs.

 

 

 

                                            Les dortoirs des femmes

 

Elle a su remercier ces dames avec des « gracias » chaleureux.

 

Au retour, Doña Luciana l’attendait sur le perron et lui a adressé, sans doute, des reproches auxquels elle n’a rien compris, mais le ton sur lequel cela a été dit, en disait long.

 

Au déjeuner, la maîtresse des lieux a dénoncé sa belle-fille :

- Elle a osé s’aventurer toute seule chez les peones. Elle s’est abaissée et a ainsi abaissé tout le reste de la famille. On ne va pas se promener chez les gueux.

Miguel a dit à sa mère qu’il se chargeait de tout expliquer à son épouse et Juan de Almanzar a prié sa femme de changer de ton. Doña Luciana a quitté la table, en emmenant son petit abbé qui se voyait privé d’un repas prometteur.

 

Les Ferrero, comme les Almanzar, pensaient qu’en donnant un toit à leurs ouvriers agricoles, c’était bien suffisant. Ils étaient habitués, depuis toujours, à vivre dans de bien plus mauvaises conditions. Isabelle a su démontrer à son mari, avec douceur et diplomatie, que l’Espagne avait du retard au niveau social ; et, qu’un jour ou l’autre, le mécontentement conduirait à la révolution ; c’est elle, Isabelle, qui déciderait des changements à apporter et elle en assumerait la dépense avec son propre argent. Elle a exposé à son mari, ce qu’elle avait déjà en tête. Don Miguel de Almanzar n’avait pas prévu tous ces chamboulements et ne savait pas comment présenter les choses à sa mère pour qu’elle ne fasse pas de l’esclandre.

 

Or, Isabelle avait toutes les cartes en main, elle allait pouvoir les distribuer à sa guise car elle était porteuse d’un héritier. La joie, suscitée par cette nouvelle, annoncée à table, a rempli tous les cœurs ; et, on a pu voir passer dans le regard de Luciana, une lueur de tendresse quand elle a regardé son fils. Tout était désormais permis à la future maman ; car, il ne faut, jamais, au grand jamais, contrarier une femme enceinte.

 

Puisqu’elle le voulait, il a été décidé qu’Isabelle prendrait donc en charge les travaux et les achats liés à l’amélioration du quartier des femmes. L’ensemble a été assaini et badigeonné au lait de chaux, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur ; la grande cheminée a été conservée et restaurée : elle est devenue imposante et seigneuriale. Elle a été associée à une grande cuisinière à bois qui a attiré tous les regards, des regards surpris, émerveillés et reconnaissants envers cette Française qui apportait des cadeaux au monde du travail.

Le réfectoire a fait peau neuve et la buanderie réaménagée pour soulager le travail des lavandières. Quant au dortoir, les lits métalliques, là depuis plus d’un siècle, ont été carrément remplacés ainsi que leurs matelas devenus minables.

 

Don Miguel de Almanzar a compris qu’au quartier des hommes, on attendait la même chose. C’est lui qui a assumé les dépenses et il a été décidé que les bâtiments seraient badigeonnés et inspectés, tous les ans.

 

Isabelle, désormais, Doña Isabella, avait trouvé sa place dans le domaine de la famille Ferrero-Almanzar et quelle place ! Elle avait su conquérir le cœur des ouvriers agricoles et celui de son beau-père qui se reconnaissait encore en eux ; et, cela, elle le devait en partie au trésor qu’elle portait en son sein. Isabelle allait avoir 22 ans. Elle avait fait du chemin depuis qu’elle avait trouvé sur son chemin, ce bel Italien. Elle l’avait oublié. Comment ne pas reconnaître la chance de pouvoir fonder une famille avec l’homme qui l’a choisie et qui venait de la révéler en tant que femme. Elle l’aimait d’un amour infini.

 

 

Françoise Maraval

 

 

 

 

 

Rappel : aujourd'hui, dimanche 26 novembre, se tient à Saint-Cyprien Le salon du livre de culture occitane (salle des fêtes de 9H30 à 13H) où Françoise sera présente pour son livre "Et au loin coule la rivière Espérance"



24/12/2023
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