Terre de l'homme

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Le théâtre de la Nauze est revenu sur 6 décennies de scènes. Volet n° 1

 

Ce 22 octobre, la salle des fêtes est pleine à craquer. Les organisateurs avaient dû inviter plusieurs personnes à reporter au lendemain, leur venue à "Revers de décors" de Jean-Pierre Martinez.  Sylvain Garrouty, le technicien du son, obtenait un silence parfait du public. Son géniteur, Dominique Garrouty, l'artisan de l'éclairage, plongea la salle dans l'obscurité. Seul un cercle lumineux sur le rideau laisse prévoir que l'on devait attendre une forme "d'introït". Non, ce n'est pas un grand prêtre qui surgit mais Pierre, invisible. Le metteur en scène de Sagelat théâtre de la Nauze, prit la parole  Gravement, il s'exprima dans un calme olympien sur la turbulence de 1960. Elle prit la forme d'une grande pétition citoyenne, portée par le C.N.A.L. du 13 février au 29 mai 1960, sur le fondement de l'école laïque, pilier de la République. Elle fit germer l'Amicale laïque de Sagelat.  

 

" De l'audaceencore de l'audacetoujours de l'audace ".

 

Le tocsin qu'on va sonner n'est point un signal d'alarme, c'est la charge sur les ennemis de la patrie. Pour les vaincre, il nous faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace, et la France sera sauvée !

François Danton naquit à Arcis-sur-Aube le 26 octobre 1759, il fut guillotiné le 5 avril 1794 (16 germinal an II) à Paris. Il alla à l'échafaud sur la charrette qui emporta Camille Desmoulins et le poète Philippe Nazare Fabre. L'inoubliable envolée culte du 2 septembre 1792 du député de la Seine, pour tous, est ramenée à "… de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace… "

 

Oui, il en fallait de l'audace, non dans le champ turbulent du Palais Bourbon mais dans l'humble pays "nauzérois", pour avoir la détermination de se lancer et de promouvoir une vie culturelle dans une bien petite localité qui n'avait pas la moindre salle, publique ou privée, pour servir de fonts baptismaux laïques d'une troupe théâtrale. Andrée Teilhaud,  figure de proue que personne n'oublie, eut ce cran pour secouer les forces vives et sceller, aux côtés de celles et ceux qui l'ont suivie, la pierre blanche de la première marche. 

 

 

Pierre Petit

 

Pierre Petit, Image © Vanessa Braud

 

 

C'est Pierre Petit, le doyen masculin des comédiens de la Troupe de Sagelat qui, le premier, monta sur scène.

 

Pierre était bien "crana"*. On aurait dit le sous-préfet impérial dans sa grande tenue, comme celui que Daudet imagina " M. le sous-préfet a mis son bel habit brodé, son petit claque, sa culotte collante à bandes d’argent et son épée de gala à poignée de nacre " pour se rendre à La Combe-aux-Fées. 

Tout naturellement, l'espace de quelques minutes,  il redevint Perdican. Perdican c'est Musset, c'est nous, c'est un homme qui fait le mal sans être méchant, qui souffre, qui doute, s'égare dans ses rêves, s'épuise à la poursuite d'un insaisissable bonheur. Pierre fut désigné à l'unanimité, plus un soutien externe enthousiaste, par le collectif théâtral pour revenir sur ce début scénique et pour rendre hommage aux comédiens disparus.

 

 

Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : Tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde, une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : “ J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. ”
Acte II, scène V, On ne badine pas avec l’amour, Musset, 1834.

 

C'est un autre Pierre, Pierre Castets, le metteur en scène du Théâtre de la Nauze, qui a choisi cette déclamation capitale de la pièce, pour rendre hommage à Bernadette Dubois, la première comédienne de la Troupe de Sagelat, qui vient de nous quitter au mois d'août. Bernadette était Camille. Elle était la cousine de Perdican et, manifestement, éprise de lui. Elle avait cependant reçu une éducation stricte dans un couvent et elle souhaitait jurer fidélité à Dieu.

Pierre, avec émotion, reprit la tirade qui fit vibrer la salle en 1961. C'était son pathétique hommage à Bernadette, certainement, mais aussi à tous les comédiens de la troupe qui nous ont quittés. Le premier, Paul Albenque, fut victime d'un dramatique accident, le 18 août 1969. Le dernier, Alain Petit, le frère cadet de Pierre, monta sur les planches à 15 ans. Il s'échappa le 10 octobre. Depuis le 13, il repose dans le petit cimetière de Bouillac.

 

Oui, il fallait de l'audace pour  oser aller, sur les pas de Gérard Philipe et de Suzanne Flon, jouer, deux ans après ces comédiens d'exception, "On ne badine pas avec l'amour".

 

Gérard Philipe Suzanne Flon On ne badine pas avec l'amour Musset Jean Vilar TNP 1959 Gérard Philipe (Perdican) et Suzanne Flon (Camille) dans On ne badine pas avec l’amour. Mise en scène de Jean Vilar au TNP (1959). © Studio Lipnitzki/Roger-Viollet

 

 

 

Le second volet, probablement samedi ou dimanche, sera les premiers pas scéniques de "Sagelat  théâtre de la Nauze" avec "Revers de décors". Le troisième volet sera la présentation du bureau de "Sagelat théâtre de la Nauze".

 

* Crana, prononcer cronot, terme occitan. Il veut dire élégant, stylé, fringant. En fait, c'est quasiment intraduisible.

 

Pierre Fabre

 

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Dans le sas de "Terre de l'homme"… ou sur le point d'y entrer.

 

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27/10/2022
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