De belles gens. Suite n° 26. Saga de Françoise Maraval
DE BELLES GENS
Épisode 26
Le début de l’année 1918
Résumé de l’épisode précédent :
Marcel blessé est arrivé à l’hôpital de Limoges. Son état de santé est préoccupant mais avec l’aide de sa sœur Emma et de toute la famille Maraval, il va reprendre goût à la vie.
Henri, le deuxième frère d’Emma est prisonnier en Allemagne.
Arthur, son mari, après avoir été passé au 50ème RI de Périgueux, est bûcheron à Saint-Cyprien pour le compte de l’armée.
Le jeune Jeantou, revenu de l’hôpital de Bordeaux, a la jambe gauche immobilisée, en attendant la consolidation de cette dernière.
Achille Marchive, venu en permission pour avoir contracté le paludisme en Macédoine, est reparti rejoindre l’armée d’Orient.
Angèle Lamaurelle vient d’avoir son quatrième enfant, pendant que son mari est toujours dans le secteur de Verdun.
1918 : une nouvelle année commence… Que va-t-elle nous réserver ?
Achille, notre 2ème classe de l’armée d’Orient, venu en convalescence pour cause de paludisme, est reparti en Macédoine. Les 30 jours de repos qui lui ont été accordés, lui ont permis de se reposer et de se « remplumer » car il était arrivé à Saint-Cyprien, en état de grande fatigue et d’une maigreur spectaculaire. Il est passé du 37ème colonial au 7ème colonial. Son régiment est proche de la Boucle de la Cerna.
Les enfants sont la joie des familles Lamaurelle et Marchive. Les grandes, Henriette et Jeanne, 10 et 9 ans, entourent les petits, Yette un an et demi et Louis 4 mois. Yvonne fait toujours des ménages chez Dubernard, les voisins, et elle est demandée en cuisine pour des « extras ». Sa belle-mère a reçu une commande de la part de monsieur le curé Loubet : une nappe d’autel. Elle crochète la dentelle qui va entourer la nappe. Ses doigts courent du crochet au coton, ce qui étonne ses petites-filles admiratives.
Angèle a accepté la proposition qui lui a été faite de monter un étal de poissons, tous les vendredis. Elle s’installe sous le clocher et cette affaire marche bien. En plus des barils de morue séchée et salée et ceux de sardines fumées que l’on peut trouver, tous les jours, dans les épiceries du bas de la ville, les Cypriotes apprécient le poisson frais, du poisson de mer. Elle a fait les frais d’une glacière installée dans l’atelier et un jeune de 15 ans, le petit Labrunie, lui aide au transport du matériel, des blocs de glace et des poissons. Son étal est à 100 mètres de chez elle et, le vendredi matin, les poissons, prêts à la vente, reposent sur un lit de glace. A onze heures, tout est vendu. Angèle a pris soin de garder, dans la glacière, du poisson destiné à sa maisonnée pour les repas du vendredi et du samedi. C’est Yvonne qui le prépare, forte de son expérience de cuisinière, acquise chez M. et Mme R. à Montpon. Tout le monde se régale.
Puisque l’on parle des anciens patrons d’Yvonne, ces derniers lui ont fait parvenir une poussette d’occasion, des habits de petites filles et des jouets pour Yette. Achille était présent à la réception et a tout de suite remercié. Yvonne, très fière, a rajouté un mot à la lettre de son mari.
Dans le bas de la ville, on s’accommode de la situation.
Marcel vient régulièrement à Saint-Cyprien. Emma va toujours le chercher en train. Désormais, il porte un appareil en métal qui lui maintient le bras et l’avant-bras droit, presque perpendiculairement. Il peut mieux se redresser et ainsi son bras ne se balance plus dans le vide. C’est comme une cage garnie d’un épais tissu de laine qui protège le membre. Il est bien conçu car Marcel n’a pas besoin d’aide pour l’enlever le soir et pour le remettre le matin.
Alice est toujours aux petits soins pour son homme. Elle a trouvé à la pharmacie, une lotion pour lui frictionner la tête, les jours où il ne va pas chez le barbier. Marcel ne se laisse pas aller : quand il est chez Emma, dans la journée, avec son neveu Jeantou, il apprend à écrire de la main gauche. Autrefois, il avait une belle écriture ; tant pis, si maintenant, il a une écriture d’enfant. Sans se couper, il se rase de sa main valide. Toutes ces remises en cause le rendent fier du résultat.
Avec son neveu Jeantou, ils entonnent souvent « la chanson de Craonne », la chanson que les soldats mutins de 1917 chantaient à gorge déployée. L’air est emprunté à une valse à succès « Bonsoir m’amour » de Charles Sablon-1911.
Adieu la vie, adieu l’amour,
Adieu toutes les femmes.
C’est bien fini, c’est pour toujours,
De cette guerre infâme,
C’est à Craonne, sur le plateau,
Qu’on doit laisser sa peau,
Car nous sommes tous condamnés
C’est nous les sacrifiés !
…………………………………………
Ceux qu’ont le pognon, ceux-là reviendront,
Car c’est pour eux qu’on crève.
Mais c’est fini, car les troufions
Vont tous se mettre en grève.
Ce sera votre tour, messieurs les gros
De monter sur le plateau,
Car si vous voulez la guerre,
Payez-la de votre peau.
……………………………………………
Auteur anonyme
En 1917, pendant ses déplacements pour approvisionner le front, Marcel avait entendu cette chanson antimilitariste et en avait retenu les paroles. Dans la cuisine d’Emma, les deux compères la chantent quand ils sont seuls et à voix basse, c’est leur secret. Jeantou aime cette chanson interdite et il est fier de la partager avec tonton Marcel, ce sacrifié de la guerre.
Henri écrit régulièrement. Il est détaché dans un « kommando » de travaux publics. Ils partent tous les matins et ils rentrent le soir, au camp, encadrés par des gardes armés. De temps en temps et même de plus en plus souvent, Henri est retenu au camp pour creuser des tombes dans le cimetière des prisonniers. Les morts ont souffert de dénutrition jusqu’à l’épuisement total. Depuis peu, ils sont de
plus en plus nombreux. Les colis envoyés par Emma, lui arrivent incomplets et éventrés. Il a été appelé au bureau central : il n’a pas le droit de dessiner. Les Allemands ont balancé le carnet à dessin et les fusains dans une immense corbeille qui recueille tout ce qui a été saisi. Ils ne veulent pas que des croquis témoignent de la vie dans les camps.
La fabrication des paillasses
Photos prises par les Allemands
A Saint-Cyprien, l’armée a envoyé à l’entreprise Lajuniras, l’entreprise forestière où travaille Arthur, un magnifique camion Berliet d’un tonnage étonnant. Le patron a décidé que le conducteur serait Arthur. Le Cypriote est doublement content : la conduite, pour lui, est moins fatigante que le métier de bûcheron et, en plus, il est fier au volant de cet engin. Le bois est emmené jusqu’à la gare du Buisson, pour y être chargé dans les trains de marchandises. Arthur va y faire des rencontres qui lui serviront plus tard.
En ce début d’année 1918, le jeune Maurice Janot, l’héritier de l’hôtel de la Poste, est en permission.
Arthur et Marcel ont grand plaisir à le retrouver dans la petite salle à manger de l’hôtel et de quoi parlent-ils ? de la guerre...
Quand Marcel est à Saint-Cyprien, Emma a le temps de se reposer. La forge est vendue : elle n’a plus de raison de prendre le chemin de la « gravette ». Elle avait mis de côté, ses revues « l’Illustration » et en les reprenant, elle se rend compte que, pendant toute la guerre, l’actualité culturelle est intense. Les articles sur la littérature, la poésie, le théâtre, foisonnent. Il en est de même pour la musique, le music-hall, l’opéra. Le cinéma est en plein essor et les expositions de peintures et de sculptures ravissent les amateurs. Cette riche vie artistique se retrouve dans tous les pays d’Europe.
Le jeune Fonfon rentre le soir, fatigué par son apprentissage au garage Veyssière. Il est moins assidu à tenir son « cahier de guerre » ; néanmoins, il note, en ce début d’année :
- Les Bolcheviks lancent une offensive sur Kiev et s’emparent de la ville, le 7 février, après une forte résistance ukrainienne.
- Le 11 janvier, la France rejette les propositions de paix du gouvernement soviétique et condamne « le pouvoir usurpateur » instauré en Russie. Le comité central du parti bolchevique décide d’adopter la proposition de Trotski, de cesser la guerre sans signer la paix ! ?!!!
- Le 23 janvier, le 3ème congrès pan-russe des Soviets proclame la création de la RSFSR ( République socialiste fédérative soviétique de Russie) et la création de « l’armée rouge ».
- En France : l’aviation allemande lâche 14 tonnes de bombes sur Paris.
Sur le plan de l’économie, on note la création des comptes courants et des chèques postaux.
- Le 10 février, Léon Trotski, le commissaire du peuple aux Affaires Étrangères, ordonne la démobilisation générale sans pour autant signer « la paix d’agression », à la suite de quoi l’Allemagne décide de reprendre les hostilités sur le front russe.
- Le 13 février, face à l’avancée allemande, Petrograd est mis en état de siège et la mobilisation révolutionnaire est décrétée.
Les puissances centrales envoient un ultimatum à la Russie et font part de leurs nouvelles exigences :
- cession de la Lettonie et de l’Estonie.
- évacuation de l’Ukraine et de la Finlande.
Le gouvernement bolchevique finit par céder.
Enfin, le 3 mars 1918, est conclue la désastreuse paix de Brest-Litovsk avec l’Allemagne et ses alliés : l’Autriche-Hongrie, la Turquie et La Bulgarie.
La Russie renonce à la Pologne, à la Lituanie, à la Courlande, reconnaît l’indépendance de la Finlande et l’Ukraine, s’engage à évacuer la Livonie et l’Estonie, cède Kars, Batoum et Ardahan à l’Empire Ottoman, accepte de verser une indemnité de six milliards de marks-or et de livrer des céréales à l’Autriche-Hongrie.
La Russie d’Europe se trouve ramenée à ce qu’était le grand-duché de Moscovie, avant l’avènement d’Ivan le Terrible au XVIe siècle.
Les socialistes révolutionnaires protestent contre leur gouvernement car ils considèrent qu’il a signé une capitulation.
Les Allemands rentrent dans Kiev et réinstallent la Rada, le parlement ukrainien.
Ces derniers tirent partie du cessez-le-feu et de la paix de l’Est pour redéployer leurs troupes à l’Ouest et porter leur ultime effort sur le front français.
Françoise Maraval
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