Patrimoine culturel : de la convoitise à la prédation
C'est avec beaucoup d'intérêt que j'ai lu le réquisitoire d'Alain Lamour à l'encontre d'André Malraux, jugé par Françoise Maraval avec la même sévérité.
J'avais entendu parler du comportement au Cambodge de celui qui devait devenir ministre, du côté surfait et théâtral du rôle qu'on lui prête dans la résistance ; mais, je ne mesurais pas à quel point ses comportements nous éloignaient de la légende qu'il s'était construite.
Les témoignages de première main d'Alain Lamour ne laissent pas planer le doute mais je lui sais gré de mettre au crédit d'André Malraux, son talent d'écrivain et son action en faveur de la culture.
Mais, point n'est besoin d'aller dans le sud-est asiatique pour trouver des comportements préjudiciables au patrimoine culturel.
Le Périgord découvre au XIX ème et début du XXème siècle, la richesse de son patrimoine archéologique et préhistorique. Des pionniers F. de Jouannet, T. de Mourcin, l'abbé Audierne à Lartet, Denis Peyrony et l'abbé Breuil, les préhistoriens s'emploient à faire de la préhistoire une véritable science. Mais ces découvertes ouvrent des appétits. En l'absence de règlementation, on fouille à tout-va, sans précaution, on vend fossiles et silex à de riches amateurs soucieux de se constituer une collection pour leur cabinet de curiosités.
Otto Hauser
Un nom est à retenir, Otto Hauser, professionnel et spécialiste dans le commerce de l'art, arrive en Dordogne en 1898, attiré par les découvertes qui se multiplient. Il s'installe aux Eyzies, achète des terrains, organise des fouilles et en achète les produits à bas prix pour les revendre à prix d'or au musée de Berlin. Il était sur le point de détacher de la paroi, le célèbre saumon de l'abri du poisson, quand, en 1912, les autorités, alertées par Denis Peyrony, mettent fin à ce vol et à ce vandalisme. En 1914, à la déclaration de guerre, un fort sursaut de nationalisme et d'anti-germanisme obligent Otto Hauser, Suisse Allemand, à quitter précipitamment Les Eyzies.
la pierre de Rosette la frise du Parthénon
Malraux, Otto Hauser : deux personnages qui prirent quelques libertés avec le patrimoine culturel ; mais, que dire de la spoliation des oeuvres d'art en temps de guerre et de colonisation et qui sont le fait des Etats et de leurs armées.
Anglais, Français, Allemands...n'épargnent pas l'Afrique. Le bilan des spoliations et destructions est connu de tous mais, aujourd'hui encore, l'Angleterre refuse de restituer à la Grèce la frise du Parthénon et à l'Egypte la pierre de Rosette qui permit à Champolion de déchiffrer les hiéroglyphes. La France conserve une partie des 500 tableaux volés pendant la campagne d'Italie ; l'Allemagne en dépit de demandes constantes de l'Egypte, refuse de rendre le célèbre buste de la reine Néfertiti, archétype de la beauté féminine, au visage le plus célèbre après celui de la Joconde.
Le buste de Néfertiti
Mais, la plus grande spoliation est à mettre au débit de l'Allemagne nazie, spoliation surtout à l'encontre des juifs et des francs-maçons. Cette confiscation a un bilan : entre 100 000 et 400 000 oeuvres d'art et ouvrages dérobés. Elle a des bénéficiaires : Hitler qui veut construire un musée à Linz, sa ville natale, les dignitaires nazis dont Goering et des milliers d'Allemands qui profitent d'un système totalement corrompu.
Hermann Göring
L'Allemagne nazie a une certaine conception de la culture : il y a l'art qui célèbre la beauté de la forme éternelle aryenne et la laideur des arts dégénérés, produits des races inférieures. Le 18 juillet 1937, une longue liste d'artistes dégénérés est établie ( Max Ernst, Paul Klee, Picasso....). 20 000 oeuvres d'avant-garde sont retirées des musées, 730 d'entre elles sont exposées pour susciter l'aversion du public.
exposition des arts dégénérés - Munich (1937)
Autodafé
En 1947, une commission de restitution est créée, aidée en cela par la politique allemande de réparation des crimes du national socialisme. Il est des restitutions dont la force symbolique exige un dialogue d'Etat à Etat. Ce fut le cas, en 2002, de la remise par la France à l'Afrique du Sud, de la dépouille de la Vénus Hottentote, Sud-Africaine réduite en esclavage, exhibée dans des expositions internationales pour les difformités de son corps. Objet de curiosité malsaine de son vivant, elle devient à sa mort un objet d'étude, déposé successivement au Jardin des Plantes puis au musée du Trocadéro en 1878 et enfin au Musée de l'homme en 1937. Elle était le symbole d'une Afrique opprimée et qui souhaitait retrouver sa dignité.
La Vénus hottentote
Les gouvernants, depuis le mécénat de François Ier, ont toujours établi un lien étroit avec la culture et l'art pour conforter leur pouvoir. Deux exemples nous éclaireront : le 17 août 1661, le surintendant aux finances, Fouquet, signe sa perte en offrant au roi Louis XIV, une réception fastueuse dans son château de Vaux le Vicomte, qui surpasse Versailles encore en construction. Humilié, Louis XIV met Fouquet en prison pour le reste de ses jours.
Château de Vaux-le-Vicomte
Dans les années 1930, les Nazis se mettent en quête du Graal dans le cadre de la recherche de l'héritage et des traditions de la prétendue "race allemande". Otto Rahn, ami d'Himmler, se rend dans ce but au château cathare de Monségur. En 1940, Himmler lui-même, chef de la SS, va en Catalogne à l'abbaye de Montserrat dans l'espoir de trouver la trace de la coupe qui a recueilli le sang du Christ.
Cette quête absurde de preuves censées justifier la suprématie de la race aryenne, ne pouvait aboutir qu'à un échec.
Nous avons en France, des hommes d'Etat plus raisonnables mais toujours soucieux de marquer leur mandat dans le domaine de la culture et des arts.
C'est le Général de Gaulle qui crée en 1957, le ministère des affaires culturelles et met à sa tête, André Malraux.
C'est Georges Pompidou avec le centre national d'art et de culture (Beaubourg).
C'est François Mitterrand avec le Grand Louvre, la nouvelle BNF et l'opéra Bastille.
C'est enfin Jacques Chirac avec le musée du quai Branly.
Nous sommes nombreux à ne pas posséder d'oeuvres d'art de grande valeur mais nous y avons accès via nos musées, bibliothèques et archives. Comme tout un chacun, j'ai une petite bibliothèque où se trouvent deux choses qui n'ont pas une grande valeur marchande mais qui, pour moi, n'ont pas de prix et dont je ne saurais me séparer : la 3ème édition de Neufchatel de l'Encyclopédie de Diderot en 39 volumes (1778), tout le savoir du siècle des Lumières, et une feuille de laurier Solutréeene, sommet de l'industrie lithique en préhistoire.
Chacun d'entre nous a son petit jardin secret, si modeste soit-il.
PS :
Erreur judiciaire : Guillaume Apollinaire fut emprisonné en 1911 pour le vol de la Joconde, avant d'être finalement blanchi.
Pierre Merlhiot
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