Terre de l'homme

Terre de l'homme

Souvenir d'enfance IV par Jacques Lannaud

 

 

école autrefois

 

 

 

 

 

« Ce jour-là fut un des plus froids de cet hiver. De grand matin, les premiers arrivés dans la cour se réchauffaient en glissant autour du puits. Ils attendaient que le poêle fût allumé dans l’école pour s’y précipiter.

Nous étions plusieurs à guetter la venue des gars de la campagne. Ils arrivaient tout éblouis encore d’avoir traversé des paysages de givre, d’avoir vu les étangs glacés, les taillis où les lièvres détalent…Il y avait dans leurs blouses, un goût de foin et d’écurie qui alourdissait l’air de la classe quand ils se pressaient autour du poêle rouge. Et, ce matin-là, l’un d’eux avait apporté dans un panier, un écureuil gelé qu’il avait découvert en route. Il essayait, je me souviens, d’accrocher par ses griffes, au poteau du préau, la longue bête raidie…

Puis, la pesante classe d’hiver commença… »

 

Le Grand Meaulnes - Alain Fournier

 

 

 

Sortir du lit alors que la maison est froide, que la gelée a dessiné sur les vitres, arabesques, volutes, feuilles d’acanthe entrelacées scintillant aux rayons du soleil levant, blotti dans les couvertures et l’édredon, je tentais de gagner le maximum de temps pour rester dans le nid, bien au chaud, retardant le plus possible la toilette à l’eau froide rapidement faite.

Une fois dehors, le froid nous saisissait, pinçait les oreilles et le nez, on se hâtait d’entrer dans la salle de classe, se regroupant autour du poêle qui commençait juste à chauffer.

Aux murs, étaient accrochées de vieilles cartes de géographie aux teintes jaunâtres voire marron et racornies, représentant le relief de la France, les fleuves, les départements, chefs-lieux qu’on apprenait par cœur, des planches illustrées de plantes, d’arbres, d’animaux familiers ou sauvages, d’insectes… Le tableau noir central où, à tour de rôle, on allait pour réciter une fable de La Fontaine, faire une opération, corriger la dictée…

Le silence régnait, l’atmosphère studieuse envoûtait la classe où chacun semblait absorbé dans ses réflexions avant que les élèves soient interrogés à tour de rôle ou lèvent le doigt pour répondre.

Le(la) maître(esse) d’école jouissait de cette noble autorité de la connaissance, de la pédagogie, de l’instruction, à qui l’on accordait cette confiance et cette capacité de former de jeunes têtes, d’en faire des citoyens aux « têtes bien faites et bien pleines. » .

Les jeunes de la campagne, conditionnés à cette volonté de l’école publique et parentale, d’instruction et de formation, se pliaient à cette discipline, à cette exigence intellectuelle qui permit au pays de s’appuyer sur cette réussite sociale républicaine de citoyens instruits et compétents.

Qu’en est-il, aujourd’hui ? La démocratisation logique, les réformes ont bouleversé l’enseignement, l’autorité parentale s’est effritée, les influences extérieures ont pénétré le milieu scolaire, sont apparus des comportements spécifiques dus à des influences multiculturelles, le désordre, l’indiscipline se sont installés, inadaptations ou manque de suivis pédagogiques adaptés, difficile, dans de telles conditions, pour les maîtres d’imposer leur discours dans une classe perturbée.

La révolution numérique, ordinateurs, tablettes, smartphones ont remplacé les cartables volumineux et pesants d’autrefois et les livres scolaires ont vu leur épaisseur diminuer comme s’il s’agissait d’alléger leur contenu.

Encyclopédies, dictionnaires français ou langues étrangères sont à disposition d’un simple clic et les élèves des générations actuelles ne s’en privent pas : résolution de problèmes d’arithmétique, de géométrie, calculatrices performantes qui résolvent dans la minute des calculs complexes de tangentes, de cosinus, de figures géométriques, trigonométriques…à quand s’arrêtera le progrès, sûrement pas avec l’IA.

Nos jeux dans les cours de récréation, colin-maillard, cache-cache, barres, billes, l’élastique, corde à sauter, etc…sont-ils démodés ? d’une autre époque, nos amusements quand le soir, à la sortie, les grands avalaient leur goûter en vitesse, se précipitaient en courant vers le ruisseau dans le bas du vallon que l’hiver avait pris dans ses glaces.

Ils cherchaient à en éprouver la résistance. Alors, des intrépides, abandonnant leur gros sac scolaire, leurs gamelles, leur manteau d’hiver, leurs écharpes, leurs gros gants de laine, ôtant leurs grosses chaussettes, remontaient les pantalons le plus haut possible, gardaient les sabots de bois aux pieds et s’élançaient sur la surface glacée dans de courtes glissades ; puis, pour époustoufler les filles qui les observaient, s’enhardissaient, terminant pour certains de l’eau jusqu’aux genoux ou jusqu’aux fesses sous l’œil goguenard des demoiselles qui s’en amusaient, se moquaient d’eux poussant des cris d’Orfée, riaient à gorge déployée et, malicieusement, dissimulaient leurs accessoires vestimentaires.

Pour autant, rien ne les décourageait et, le lendemain, ils s’élançaient à nouveau ; quolibets, exclamations fusaient de part et d’autre.

Le silence de la classe me faisait, souvent, somnoler ; ou, l’esprit inoccupé, je vagabondais dans les sentiers, les champs, les labours, les foins, les moissons, les semailles, les vendanges…

A  la fin du siècle dernier, invités, ma mère et moi, par le maire du bourg et d’anciens élèves à une petite réception conviviale en l’honneur de leur ancienne maîtresse, le maire s’approche de moi et me dit : « On a essuyé nos culottes sur le même banc, tu t’en rappelles ? » et d’ajouter : « même qu’une fois, tu es parti de l’école, ta mère te cherchait partout et, finalement, tu faisais les foins, ça s’est terminé par des torgnolles. »

Bien sûr, je m’en souvenais, j’avais rencontré le passé.

 

Jacques Lannaud

 



12/10/2024
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