Terre de l'homme

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Un conte de Noël de Jean Vézère

Ce conte de Noël a été écrit en 1956 par Jean Vézère, nom de plume de Mademoiselle Vergnaud, (1877-1978), écrivain poète, née et décédée au Bugue. Ses articles, chroniques, nouvelles, études littéraires et artistiques ont paru dans les journaux locaux du Limousin. Elle a publié près d’une quarantaine de romans au tirage honorable.

Daniel Simon,  qui nous avait déjà fait découvrir Jean Vézère dans le blog, nous fait, aujourd'hui, partager ce conte de Noël.

 

LE MISSEL DE TANTE DELPHINE

Conte de Noël

 

Le grand carillon de Noël résonnait gaîment sur Le Bugue et ses alentours, tandis qu’Aristide Malivert, vieux célibataire aux ressources plus que modestes, achevait son maigre repas, dans la petite maison de la Grand’Rue que lui avait léguée sa tante Delphine.

Il vivait seul, n’étant aidé pour tenir son ménage, qu’une ou deux heures, chaque matin, par une vieille femme du Calvaire, la Grégoriotte. Comme sa solitude lui pesait, ce soir ! … En cette veille de fête, où toutes les familles se réjouissaient, il se sentait affreusement triste.

Un coup léger fut frappé à la porte. Une charmante enfant de seize ans, entra dans la salle mal éclairée par une lampe à pétrole. Ses cheveux d’or semblaient rayonner un peu de soleil.

--- Parrain, dit-elle, je viens vous inviter, de la part de Grand-père. Vous viendrez avec nous à la messe de minuit, puis nous réveillonnerons tous ensemble. Nous sommes six, vous ferez le septième. Il y aura des huîtres, des saucisses truffées, les vins que vous aimez, et une bûche de Noël au chocolat, dont vous vous lècherez les doigts …

---C’est bien tentant, Fanchette ; mais, je suis vieux, il fait froid, j’aime à me coucher tôt et je ne vais jamais à la messe, l’hiver …

--- Et peu souvent, l’été !... Mais, cette fois, vous viendrez car, à minuit, votre petite Fanchette, pour la première fois de sa vie, doit faire un solo, dans un cantique de Noël. Et vous ne viendriez pas l’entendre ? … Ecoutez-moi, parrain : je sais que vous n’êtes pas riche, que vous n’avez qu’une petite retraite, que vous vous privez, certainement, chaque année, pour m’offrir quelque chose au 1er janvier. Eh bien, cette année, je ne veux pas de cadeau, mais venez avec nous, cette nuit … Voilà ce qui me fera le plus plaisir …

Elle est partie, envoyant un baiser, du bout des doigts. Tout attendri, le vieux garçon murmure :

--- Je ne peux refuser ce que me demande si gentiment cette bonne petite. Elle a le cœur de son grand-père, mon excellent ami, mon seul ami …

 

 

 

 

                                                      Eglise du Bugue

 

Dix heures du soir. Aristide Malivert a revêtu son costume le moins usé, il brosse soigneusement son pardessus râpé, cherche un foulard, des gants de laine. Et voici que ses yeux s’arrêtent sur un vieux livre, un gros missel, relié de cuir brun, placé sur l’étagère, au-dessus de la commode, le missel de tante Delphine. Et, aussitôt, lui revient à l’esprit, une scène qui s’est passée ici même, dans cette chambre, il y a quinze ans ; Tante Delphine, moribonde, l’appelait près de son lit, lui faisait ses recommandations dernières :

--- Aristide, mon enfant, tu es mon unique neveu, mon seul héritier. Demain, cette maison, bien petite et un peu délabrée, mais toute meublée, pourvue de linge solide et de provisions diverses, sera ton bien ; à toi, mon bois de Mortemart, ma vigne de Malmussou, mon pré de la Barde. Tout ce que je possède, t’appartiendra. Mais, avant de te quitter, je tiens à te dire ceci : mon cher enfant, tu m’as souvent désolée par ton indifférence religieuse, toi, élevé si chrétiennement. Pendant les vacances, tu viens quelquefois à la messe avec moi, le dimanche, et, je le crains, uniquement pour me faire plaisir ; mais, lorsque tu regagnes ton poste à Bordeaux, tu ne fréquentes guère l’église, j’en suis à peu près sûre. Ecoute ce que te demande celle qui t’a presque servi de mère, qui t’a beaucoup aimé … Quand je n’y serai plus, promets-moi que tu rempliras régulièrement tes obligations de chrétien et que, le dimanche, à la messe, tu ouvriras parfois mon vieux missel, pour y lire des prières qui élèveront et réconforteront ton âme. Prends le livre qui est là, sur l’étagère, au-dessus de la commode. Considère-le comme une relique. Ne t’en dessaisis jamais …

 

Hélas !... Le missel de tante Delphine est toujours là, depuis quinze ans, sur l’étagère, au-dessus de la commode. Aristide ne l’a jamais ouvert. Il n’a tenu aucun compte des derniers vœux de la mourante. Que le ciel lui pardonne !... Il en a même voulu à la défunte de ne pas lui avoir laissé un plus gros héritage. A lui, la vieille maison de la Grand’rue, c’est vrai, et le bois de Mortemart et la vigne de Malmussou et le pré de la Barde ; mais, outre cela, il avait espéré mettre la main sur un bon bas de laine. Et qu’avait-il trouvé ?... A peine l’argent nécessaire pour couvrir les frais des funérailles. Or, tante Delphine, pendant un quart de siècle, avait joui d’une rente viagère fort rondelette que lui avait laissée son mari. Extrêmement rangée et dépensant peu pour elle-même, qu’avait-elle bien pu faire de tout cet argent ?... Elle était charitable, trop charitable ! Son souci constant était de soulager la misère … Parbleu ! Son argent lui avait servi à se faire, dans le Ciel, un beau trésor, dont son pauvre hère de neveu ne verrait jamais la moindre piécette …

Cependant, ce soir – est-ce par une inspiration venue du Paradis, où tante Delphine prie pour lui ? – pendant qu’Aristide Malivert boutonne son pardessus, l’envie lui vient de prendre le vieux missel et de l’emporter à l’église, pour obéir, une fois dans sa vie, aux suprêmes recommandations de la défunte.

--- Pauvre tante, murmure-t-il … La seule personne au monde qui m’ait vraiment aimé ! …

                                                        -x-x-x-

 

Dans l’église étincelante de lumières, ornée de draperies, de plantes vertes et de fleurs, Fanchette vient de chanter le fameux solo :

Bergers, bergers, voici l’étable, hâtons le pas …

Rien qu’en voyant la pauvre étable,

Je sens déjà battre mon cœur …

Aristide ouvre le vieux missel, le feuillette … Qu’est-ce que ces deux pages collées ensemble et fortement retenues, l’une contre l’autre par une bande gommée ? Du bout de l’ongle, le vieux garçon essaye de les séparer, sans y parvenir.

--- Bah ! se dit-il, nous verrons ça demain.

-x-x-x-

 

Il est tard, le lendemain, lorsqu’Aristide s’éveille. Le menu du réveillon fut magnifique et tout à fait charmants l’entrain et la cordialité des convives. On ne s’était séparé qu’au petit jour.

Encore ensommeillé, le vieux garçon descend à la cuisine pour préparer le café noir de son petit déjeuner. Il passe dans la salle à manger pour y chercher du sucre. Le missel de tante Delphine, qu’il a posé sur la table, en revenant du réveillon, attire son regard.

--- A propos !... Ce vieux livre, que recèle-t-il ? Quelque fleur fanée, rapportée d’un pèlerinage à Capelou ou à Fontpeyrine ?...

 

 

 

 

                                           Notre-Dame de Fontpeyrine

 

Il fend les feuillets collés l’un à l’autre et découvre un rectangle de papier, sur lequel il déchiffre, avec peine, quelques lignes d’une fine écriture, presque effacée :

« Mon cher Aristide, si tu as tenu compte de mes dernières recommandations, voici ta récompense : décloue le velours grenat qui recouvre le siège du fauteuil Voltaire de la salle à manger, et tu trouveras les économies que ta vieille tante a faites pendant plus de vingt ans, en pensant à toi … »

Aristide n’en lit pas davantage. Vite, un ciseau, des tenailles …

--- Ah ! s’écrie-t-il, ce vieux fauteuil où, depuis tant d’années, j’ai pris l’habitude de lire mon journal et de faire la sieste, ce fauteuil, qu’en un jour de pénurie, je fus sur le point de vendre à mon ancien camarade d’école, le bon antiquaire Rigal, qu’est-ce qu’il peut bien contenir, ce voltaire de velours grenat ? …

Il s’affaire, il se hâte …

--- Ah !... Voilà la cachette !... Voilà ! Voilà !

Il retire du rembourrage un petit sachet de cuir et le vide sur la table. Des pièces d’or tintent gaiement … des louis … des napoléons …

--- Comme il y en a ! Comme il y en a !… Une vraie petite fortune !... Pauvre tante Delphine !... Ah ! Si j’avais su !... Si j’avais su !...

Au dehors, le soleil perce les brumes du matin, l’air est plein du chant des cloches qui célèbrent avec allégresse, le grand jour de la naissance du Sauveur.

 

 

 



27/12/2023
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