Terre de l'homme

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Découverte de lieux héroïques : la liberté

 

 

Capture d’écran 2022-06-08 à 20

 

                                                                 Bombardier Armstrong AW38

 

Nous étions courant juin, autour de cinq ou six heures de l'après-midi, lorsque j'entendis brusquement, dans les airs, au-dessus de moi, un formidable vrombissement puis un second et un troisième. Instinctivement, je m'étais blotti contre un tronc d'arbre, au bord d'un ruisseau où je pêchais des écrevisses qui me pinçaient les doigts alors que je  tentais d'en attraper.

C’était la première fois que des avions en rase-motte, passaient, ainsi, chez nous ;  juste le temps de les entrevoir et, déjà, ils disparaissaient derrière les petits coteaux qui barraient l’horizon. Plus tard, certains n’hésitèrent pas à dire qu’il s’agissait de bombardiers anglais, des « Armstrong AW38 Whitley », venus déverser leurs bombes au-dessus de la poudrerie de Bergerac.

Déjà, vers le mois de mars, en pleine nuit, un grand fracas sous nos fenêtres m’avait réveillé : une longue colonne de chars allemands avait déchiré le silence habituel de la nuit, pendant plusieurs heures, avec des arrêts fréquents : la guerre s’était infiltrée dans notre petit univers tranquille car, jusqu’alors,  nous n’en avions des échos que grâce à des gens de passage, des maquisards locaux ou de régions limitrophes, des rumeurs ou des bulletins/annonces radiophoniques que l’on ne percevait pas toujours distinctement, à travers notre vieux poste TSF « Téléphonie Sans Fil ou Télégraphie Sans Fil », par la voix du speaker qui s’éteignait doucement, pour reprendre progressivement, en ondulations plus ou moins audibles. Le soir venu, tard dans la nuit, la voix nous parvenait lointaine, toujours identique, débutant par la formule : « Ici Londres, les Français parlent aux Français. », la voix de Maurice Schuman.   

 

 

Capture d’écran 2022-06-08 à 20

 

                                                                      Poste TSF

 

 

 Plusieurs passages de ces bombardiers eurent lieu : on les saluait juste le temps d’agiter les bras ; et, une fois, la nuit tombée, le spectacle d’un embrasement rougeoyant à l’horizon s’offrait à nous derrière les collines.

 Ma mère ne manquait, à présent, aucun des bulletins et attendait, avec impatience, le jingle musical annonçant le speaker : depuis plusieurs soirs, il laissait entendre l’éventualité d’un débarquement des troupes alliées en Normandie et, au soir du 4 juin 1944, j’entendis son exclamation : « Ça y est, ils arrivent. » Le speaker venait de prononcer le message tant attendu par la résistance française : « Les sanglots longs des violons de l’automne bercent mon cœur d’une langueur monotone. » Message complété le lendemain et qui signifiait à la Résistance qu’elle devait saboter les voies ferrées allant vers la Normandie.

Et puis, elle me dit : « Souviens-toi, ce sont les drapeaux de nos alliés que je viens d’étaler :  américain, anglais, canadien, australien, russe ; ils vont libérer la France et ton père sera, bientôt, de retour parmi nous. »

 Par bribes, les jours suivants, il se disait que les Américains avaient sauté sur Sainte-Mère l’Eglise, que des barges, bourrées de soldats, avaient déversé des troupes sur les plages normandes, qu’un port artificiel se montait à Arromanches, qu’au cours de cette nuit mémorable du jour J, des commandos britanniques arrivés en planeurs s’étaient emparés du pont de Bénouville, un fait de guerre audacieux et réussi.

Les informations étaient de plus en plus détaillées et précises : une armada gigantesque jamais vue dans l’histoire, s’était présentée devant le littoral normand et la bataille faisait rage. L’événement était sans précédent mais attendu impatiemment, sur ces plages de Normandie alors que l’ennemi se préparait plus au nord, vers le Pas-de-Calais. La traversée, disait-on, avait été quelque peu mouvementée à travers le Channel car le temps n’était pas aussi calme que prévu et, c’est par un petit matin blafard et froid, le 6 Juin 1944, que la puissante armada alliée, à peine visible dans la brume, se préparait à cette confrontation inédite, avec appréhension mais avec la foi déterminée de faire triompher la liberté sur la barbarie.

Dans le film « Le jour le plus long », ce long lever du jour dans cette brume qui opacifie l’horizon et l’inquiétude des Allemands, dans leur casemate, sont perceptibles. Discernant mal ce qui se passe, les communications étant mauvaises, ils essaient de déchiffrer les vagues ombres trompeuses à l’horizon, tantôt rassurés tantôt angoissés jusqu’au moment où des embarcations par myriades, à peine visibles, sortent de la brume, déclenchant un mouvement de panique avant que ne se déchaîne le feu nourri de l’artillerie et le fracas des explosions.

 

 

Capture d’écran 2022-06-08 à 20

 

                                                      Cimetière d'Omaha Beach

 

Quarante-cinq ans après, je regardai, avec émotion et admiration, la grande étendue sablonneuse d’Omaha Beach « Bloody Omaha » qui s’étalait devant moi, où tant de jeunes soldats américains, sortis des barges, étaient tombés fauchés par les balles des mitrailleuses allemandes et dont le sang teinta de rouge, ce beau sable blanc, l’imprégnant à jamais. Une plus belle journée que celle du jour J et je m’imaginais ces troupes sautant par vagues, dans une eau glacée, jusqu’à la taille et aux épaules, des soldats avançant vers le bord, déséquilibrés par la houle, le fusil porté à bout de bras, s’allongeant, tirant, ne se relevant pas, ballottés par les vagues. Passé la petite dune pour accéder au cimetière, des croix blanches à perte de vue s’étalent à l’ombre des magnifiques pins maritimes, des allées blanches bordées d’une pelouse parfaitement entretenue, nous sommes en territoire américain ; des bouquets de fleurs ont été déposés sur des tombes, le silence règne sur ce lieu sacré, à peine un petit vent emporte « deçà, delà, » des feuilles mortes et le léger bruit des vagues rythme le temps qui s’écoule.

 

 

Capture d’écran 2022-06-08 à 20

            

                                                                            La pointe du Hoc

 

Après avoir quitté Omaha Beach non sans émotion, je me trouve devant la terre bouleversée et creusée par les obus de la pointe du Hoc. Là aussi, les combats ont fait rage. Le 2ème bataillon de rangers américains réussit à prendre pied sur le site au prix de lourdes pertes. Je m’avançai au bord de la falaise verticale de 25 à 30 m de haut qui plonge ses pieds dans l’océan car c’est là, à partir du bas, que les soldats dans l’eau glacée et malgré leur barda et leurs armes, parvinrent à gravir la paroi en se hissant à l’aide de grappins. Beaucoup dévissèrent, fauchés par des balles mais certains purent s’infiltrer dans des anfractuosités de la paroi rocheuse ou des encoignures, parvenant, ensuite, au sommet et s’emparant du blockhaus.

 

 

Capture d’écran 2022-06-08 à 20

 

                                                                    Pegasus Bridge

 

 

Maintenant, voici un site stratégique non moins héroïque que les précédents, bien que moins meurtrier toutefois, l’authentique pont de Bénouville qui franchit le canal de Caen à la mer, rebaptisé Pegasus Bridge du nom de l’emblème qu’affichaient les parachutistes britanniques : le cheval ailé Pégase, fils de Poséidon et de la gorgone Méduse, chargé de porter les éclairs et le tonnerre sur l’Olympe.

Un des hauts-faits du jour J réalisé par les commandos britanniques, arrivés là en planeurs, en pleine nuit, sans avoir alerté les sentinelles allemandes et j’apercevais les roselières des marécages, tout près du pont métallique, où les planeurs s’étaient posés, le premier à 0h16, Oh17 puis Oh18 soit au total 90 hommes. Vers midi, les combats se poursuivaient dans les alentours et le « piper », Bill Millin, franchit fièrement le tablier du pont, accompagné d’un bataillon écossais aux sons de la cornemuse.

Puis, j’allais vers ce café Gondrée, au bord du canal, jouxtant le pont, maintenant monument historique, pour y déguster une bonne bière et examiner les souvenirs ici rassemblés.

Aujourd’hui, voilà qu’une guerre dévastatrice embrase l’Europe dont on n’aurait guère imaginé qu’il en serait ainsi, il y a quelques mois, conflit voulu et déclenché par un dictateur cruel et froid, menaçant, saura-t-on faire preuve d’autant de courage et de détermination que ces jeunes soldats venus de pays semblables au nôtre, décidés à sacrifier leur vie au nom de la Liberté, décidés à écrire ton nom :

                                    Sur les champs sur l’horizon

                                    Sur les ailes des oiseaux et sur le moulin des ombres

                                    Sur chaque bouffée d’aurore, sur la mer, sur les bateaux

                                    Sur la solitude nue, sur les marches de la mort

                                    J’écris ton nom. (Liberté Paul Eluard)

          

 

Jacques Lannaud

 

 

 

PS : Il est bien regrettable que les médias ne fassent pas plus de cas de cet événement majeur pour la liberté et la démocratie, alors qu'un dictateur impitoyable menace nos libertés et n'a qu'un seul but, vaincre les valeurs qui nous ont permis de vivre, jusqu'à  maintenant,  en paix.

 

                                       

 

 

  

 

 

  

 

 



10/06/2022
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