Terre de l'homme

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CHARLES-MAURICE TALLEYRAND-PÉRIGORD par Françoise Maraval (suite)

CHARLES-MAURICE TALLEYRAND-PÉRIGORD SOUS LA GRANDE RÉVOLUTION
 
 
La fête de la Fédération s’est déroulée au Champ-de-Mars. Charles-Maurice a été choisi pour y faire la messe. Elle était prévue à midi, elle commencera à quatre heures : il a fallu attendre que l’immense cortège des fédérés, parti de la Bastille, précédé de bataillons d’enfants et de vieillards, arrive au Champ.
L’estrade est bondée, des grenadiers font la haie au son des tambours, trois prêtres en aube blanche, l’écharpe tricolore à la ceinture, escortés d’une centaine d’enfants de chœur armés d’encensoirs encombrent un peu.
 
 
The Festival of the Federation (celebrating the
 
 
La fête de la Fédération au Champ-de-Mars, le 14 juillet 1790
 
La messe est suivie du serment civique prêté par La Fayette et repris par les députés de l’Assemblée nationale, la municipalité de Paris, les fédérés et tous les spectateurs. Le roi et le dauphin prononcent le leur, ensuite. On chante le Te Deum.
 
Le lendemain, Charles-Maurice écrira à son amie Adélaïde de Flahaut. Les serments prêtés à l’occasion de cette »bouffonnerie du Champ-de-Mars « n’ont, à ses yeux, aucune valeur.
« Après tous ces serments que nous avons faits et rompus, après avoir tant de fois juré fidélité à la Constitution, à la loi et au roi, toutes choses qui n’existent que de nom, qu’est-ce qu’un nouveau serment signifie ? »
Les serments sont autant de fictions politiques dont on use par commodité , selon les circonstances.
Le 13 janvier 1791, présentant son élection prochaine, au conseil du département de la Seine, il donne sa démission de l’évêché d’Autun. L’obligation de résidence faite par la nouvelle Constitution ne lui permet pas de concilier ses anciennes fonctions épiscopales avec celles d’administrateur de la Seine. Il n’en informe pas le Saint-Siège.
Vu de Rome, et du point de vue canonique, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord
demeure l’évêque d’Autun. Son clergé ne le pleure pas. Par contre, la municipalité d’Autun le voit partir avec regret ; car, à défaut d’avoir été un bon évêque, il n’a cessé de s’intéresser au bien-être de ses fidèles. Faute de soigner les âmes, il s’est occupé de leur pain quotidien.
Dans l’immédiat, les exigences de la constitution civile du clergé et le refus de la
plupart des évêques, de prêter serment, lui font reprendre du service, sans doute bien à contrecœur. L’opposition d’une très forte majorité du haut clergé à une constitution civile qui retire des mains du roi, la nomination des évêques désormais élus, et des mains du pape, l’investiture canonique remise aux seuls évêques ayant prêté serment, crée une situation inextricable dont les députés de l’Assemblée nationale aimeraient bien se sortir.
En acceptant de consacrer, à la demande des autorités concernées, les premiers évêques constitutionnels nouvellement élus, Charles-Maurice se range du côté du plus fort , du côté de l’opinion publique révolutionnaire ; mais, il prend des risques en même temps, non pas avec sa conscience, mais avec les partisans de l’ancien clergé qui peuvent lui faire un mauvais sort.
Le 23 février 1792, alors qu’il vient de consacrer en l’église de l’Oratoire Saint-Honoré, les nouveaux évêques du Finistère et de l’Aisne, il disparaît sans laisser de trace.
Pour la première fois, Charles-Maurice a peur !
En rentrant chez elle, son amie, Madame de Flahaut, trouve dans une enveloppe blanche, le testament de son évêque. Elle a cru qu’il était résolu de se suicider.
En avouant dans ses Mémoires, avoir consacré deux évêques, Charles-Maurice commet un mensonge par omission. Il ne dit pas qu’en un mois, alors qu’il n’est plus évêque, qu’il procéda à la confirmation canonique de quatorze autres évêques et d’un archevêque, Gobel, à Paris. En cela, il est « le père » de la nouvelle Église constitutionnelle et le seul à avoir pris ce risque. Tous les autres s’y sont refusés, à commencer par son oncle, l’archevêque de Reims.
Les foudres pontificales ne vont pas tarder à arriver. Dans un premier bref, dans lequel le pape traite la constitution civile du clergé d’un assemblage d’hérésie, qui date du 21 mars 1792 et arrivera à destination, le 26.
Après le 31 mars 1792, il ne consacrera plus de nouveaux évêques. Ce qui n’empêche pas le pape de le poursuivre de plus belle. Dans un second bref, daté du 13 avril, « Charles, évêque d’Autun », est accusé de « parjure »et de « sacrilège » et déclaré « suspens de tout exercice de l’ordre épiscopal ». S’il ne se rétracte pas, le pape lui promet encore l’anathème et, sanction suprême, l’excommunication.
Poursuivi par Rome, Charles-Maurice doit aussi se défendre à Paris contre ceux qui
l’accusent d’affairisme. Et oui ! La Révolution est une »affaire d’argent » ; ses revenus ecclésiastiques se sont évanouis. Faute d’indemnités, sa place de député à l‘Assemblée nationale ne lui rapporte rien, au moins officiellement, et ce ne sont pas les 4 000 livres de son siège au conseil de la Seine qui le font vivre.
C’est pourquoi Charles-Maurice cherche à faire des affaires ; mais, en plus, il a la passion du jeu. Discrète sous la monarchie, elle devient publique, comme tout le reste sous la Révolution. Les journaux prêtent à Charles-Maurice, des gains énormes et le plus souvent fantaisistes, jusqu’à 500 000 livres en une soirée.
On raconte que le soir de la Fête de la Fédération, il aurait fait sauter deux banques de jeu et il écrit :
« Je reviens... de chez Madame de Laval lui montrer l’or et les billets. J’en étais couvert ; mon chapeau, entre autres, en était plein.....Remarquez, c’était le 14 juillet ». Il était encore évêque et venait de célébrer la messe en public.
 
À l’Assemblée nationale, on se préoccupe de moralité. Bailly, le maire de Paris, s’indigne. Un certain abbé Mulot tonne à la tribune contre « les 3 000 maisons de jeu qui se sont ouvertes, successivement, dans la capitale. Le 21 juillet 1791, les députés votent contre ce fléau public, une belle loi qui ne servira à rien. Charles-Maurice n’est pas le seul coupable.
Mirabeau, Le Chapelier que l’on nomme « Chapelier-Biribi » à cause de son goût pour ce jeu, sont des habitués des tables parisiennes. On voit l’ancien évêque d’Autun au Club des échecs, au pavillon de Hanovre sur les boulevards, à la Chancellerie d’Orléans, tenue par le vicomte de Lambertye, rue d’Artois, aux cercles du Palais-Royal. On l’entraperçoit, surtout, dans la pénombre des salons de ses amis et amies où l’on joue furieusement, ceux d’Adélaïde de Flahaut, de la comtesse de Montesson, et de la vicomtesse de Laval. Là, Charles-Maurice joue surtout au whist, qu’il affectionne particulièrement. En 1791, Morris note dans son journal « Sa passion pour le jeu est devenue extrême ». Et puis, le whist est éminemment aristocratique. C’est le jeu de la cour.
Dans ce milieu, il y rencontre très souvent son ami de toujours : Mirabeau. Il y a bien longtemps, ils étaient voisins, rue de Bellefeuille et ils ont appris à s’apprécier. L’orateur de l’Assemblée nationale a, lui aussi, d’importants besoins d’argent : d’abord, il faut qu’il paye ses écrivains, ses faiseurs de discours, et qu’il les paye bien ; mais, aussi, Mirabeau aime faire bombance et, en grand seigneur, il invite, il invite et il invite. Il lui faut beaucoup de monde autour de lui. L’argent est pour lui la préoccupation de chaque instant.
Talleyrand-Périgord est fasciné par le parcours de son ami Mirabeau.
Débauché et libertin, Honoré Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, multiplie les frasques.
Il s’échappe de l’armée, ce qui lui vaut une première incarcération à l’île de Ré. Il va se battre en Corse puis épouse une riche héritière dont il ne tarde pas à se séparer ; son père le fait interner à Manosque, puis au château d’If et, enfin, à Pontarlier. Le régime de semi-liberté et la fréquentation des salons l’amènent à séduire une jeune femme mariée. Il s’enfuit avec elle à l’étranger.
Condamné par contumace à la peine de mort pour rapt et adultère, il doit rentrer. Son amante, qu’il appelle Sophie, est expédiée au couvent. Lui entre au fort de Vincennes, le 7 juin 1777. Là, pendant ses 42 mois de détention, il écrit les fameuses « Lettres à Sophie » ainsi qu’un « Essai sur les lettres de cachet et les prisons d’État ». Il a l’occasion, aussi, d’en venir aux mains avec un autre libertin graphomane, incarcéré comme lui, le Marquis de Sade.
À sa sortie, ruiné, il doit vivre de sa plume en publiant des libelles. Voyageant à l’étranger, il a l’occasion de rencontrer le roi de Prusse, Frédéric II le Grand. En 1786, pour se débarrasser de ce querelleur permanent, Talleyrand avait manœuvré auprès du roi pour l’envoyer à Berlin, en observateur secret. Mais, il n’a jamais pu y obtenir une charge officielle.
 
 
Fichier:Boze - Honoré de Mirabeau.jpg
 
Honoré Mirabeau par Joseph Boze
Château de Versailles
 
Rebelle permanent, Mirabeau rejeté par la noblesse, se fait élire député du tiers état de la sénéchaussée d’Aix-en-Provence, en 1789, quand le roi convoque les états généraux. Pour cela, il utilise un subterfuge : il ouvre un commerce de draps dans la belle ville d’Aix. Sa fougue et sa détermination, lors de la célèbre séance du jeu de Paume, assoient définitivement sa réputation d’orateur et de révolutionnaire.
Il fait voter le principe de l’inviolabilité des députés.
Mirabeau suit un dessein précis : introduire en France, une forme de démocratie conforme aux principes de Montesquieu tout en respectant, comme en Angleterre, les prérogatives de la monarchie.
Mirabeau meurt prématurément à l’âge de 42 ans. Amis, cohabitant à l’Assemblée
nationale, fréquentant les mêmes cercles de jeu, quelle ne fut pas la stupeur de Charles-Maurice quand Mirabeau, sur son lit de mort, le fait appeler. On a d’abord pensé à un empoisonnement mais l’autopsie révèle que les lésions constatées ne sont pas celles d’un empoisonnement. Cet homme d’une constitution athlétique était un grand nerveux. On aurait pu dire que « s’il avait les muscles d’un Hercule, il avait les nerfs d’une femme vaporeuse et délicate ».
Depuis longtemps, en proie à de très violentes douleurs, il souffrait de coliques néphrétiques et aurait eu une éclipse cérébrale, deux ans avant. Le lendemain d’excès génitaux, il fut pris de douleurs atroces qui, abdominales, devinrent rétrosternales. Ces douleurs de type étau étaient accompagnées d’angoisse, de dyspnée, de frissons, d’un pouls imprenable. Elles évoluaient par crises de quelques heures, la nuit et s’amendaient au cours de la journée. La mort intervint le jour 6 au bout de 5 crises.
L’autopsie faite dans les jardins, dès le lendemain de sa mort, montre l’existence d’un épanchement péricardique d’une odeur infecte, dont une partie s’était coagulée, formant une épaisse membrane qui tapissait tout le péricarde et s’étendait sur la naissance des gros vaisseaux.
L’immense popularité de Mirabeau explique la vive émotion soulevée par sa mort. S’illusionnant sur son honnêteté, l’Assemblée lui fit l’honneur d’être inhumé en l’église Sainte-Geneviève, transformée pour l’occasion, en Panthéon des gloires nationales.
Il en sera exclu l’année suivante, après la chute de la monarchie, quand l’ouverture d’une « armoire de fer » découverte lors du sac du palais des Tuileries, le 10 août 1792, aura révélé sa correspondance avec le roi et les preuves de sa duplicité.
 
 
Fichier:Le squelette de Mirabeau sortant de l'armoire de fer.jpg
 
Caricature de Mirabeau sortant de l’armoire de fer
 
 
Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord est inquiet pour son avenir...
 
 
Françoise Maraval
 
 
 
 


26/05/2025
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