Terre de l'homme

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De l’ambition, du fanatisme, de l’intolérance, de la vengeance : le piège de Blois

 

 

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                              Duc Henri Ier de Guise (1550 - assassiné à Blois le 23 décembre 1588)

 

Chaque siècle porte en lui-même sa part de progrès, de conquêtes, de découvertes, de destructions, de conflits, de troubles variés, euphémisme quand il s’agit de génocides visant à l’appropriation de territoires convoités auxquels s’ajoutent des relents racistes, une détermination au service d’ambitions et de gloire personnelles que sous-tendent les traits paranoïaques d’un ego surdimensionné emporté dans une folie quasi démoniaque.

Il y a, maintenant, cinq siècles, le gentilhomme Michel de Montaigne, bien calfeutré dans sa tour où il tâchait de se faire oublier, dont le sort décida autrement, penché sur sa table, écrivant ses Essais, apercevait à travers sa fenêtre la cour de son castel et les champs alentour : il avait le souvenir toujours présent des massacres de la Saint Barthélemy et, quelques semaines plus tard, ceux de Bordeaux à deux pas de chez lui : il avait connu et côtoyé tous les acteurs responsables de ces génocides avec lesquels il sut, habilement, rester en contact sans être disqualifié :

« Notre bâtiment et public et privé est plein d’imperfections : mais il n’y a rien d’inutile en nature, non pas l’inutilité même (même pas l’inutilité en elle-même), rien ne s’est ingéré en cet univers qui n’y tienne place opportune. Notre être est cimenté de qualités (manières d’être) maladives : l’ambition, la jalousie, l’envie, la vengeance, la superstition, le désespoir, logent en nous, d’une si naturelle possession que l’image s’en reconnaît aussi aux bêtes...Les vices y trouvent leur rang et s’emploient à la couture de notre liaison (à tisser les liens sociaux) comme les venins à la conservation de notre santé (les poisons utilisés dans la médecine ancienne)...il faut laisser jouer cette partie (rôle) aux citoyens plus vigoureux et moins craintifs qui sacrifient leur honneur et leur conscience comme ces autres anciens sacrifièrent leur vie (les héros romains comme les Scipions) pour le salut de leur pays. Le bien public requiert qu’on trahisse et qu’on mente et qu’on massacre : résignons cette commission (abandonnons cette charge) à gens plus obéissants et plus souples. » (ESSAIS Livre III « De l’utile et de l’honnête »)

 

Certes, si les limites pour tout bon citoyen sont, allègrement, franchies sans vergogne, elles l’ont été, aujourd’hui comme hier, sans scrupules ni pudeur ni regrets au service d’entreprises de destructions, d’éliminations d’adversaires devenus des obstacles et d’innocents sans distinction, selon la formule célèbre : « Tuez-les tousDieu reconnaîtra les siens. » prononcée par le légat du pape lors du sac de Béziers, pendant la guerre contre les hérétiques autour de 1210.

Ainsi, de celui qui lança à ses troupes galvanisées « Alea jacta est » (Jules César, avant de franchir le Rubicon, simple cours d’eau sans danger), ainsi d’Hitler lançant ses blindés à l’assaut de la ligne Maginot et ses Stukas en piqué avec leurs sirènes hurlantes, mitraillant les foules sur les routes ensoleillées de France et de l’exode en juin 1940, ou de cet autre diabolique qui extermina grande partie de son peuple et la plupart des cadres de son armée dans une folie idéologique et meurtrière...

Mais, l’extrait du texte que je cite, fait allusion à l’imbroglio dangereux dans lequel se trouve plongé notre génie et philosophe périgourdin, imbroglio ou plutôt risques imprévisibles quand on croise de tels sanguinaires auteurs de ces massacres perpétrés dans tout le pays pour la suprématie d’une religion en 1572 et du règlement de comptes qui s’ensuivit le 23 décembre 1588, l’assassinat du chef du parti catholique Henri de Guise et de son frère le cardinal Louis II de Lorraine, perpétré au château de Blois par le roi Henri III dans la chambre royale, par des spadassins à sa solde, « les Quarante-cinq », alors que le roi se tenant à l’écart attendait l’exécution, pendant les Etats Généraux, les derniers avant les très fameux de 1789.

 

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                                                Henri III (1551 - assassiné le  23 décembre 1589)

 

Un historien sur place, raconte : « Montaigne a pu être à Blois non l’instrument mais l’objet de quelque intrigue. Le duc de Guise le connaissait d’ancienne date ; il appréciait sa valeur et savait son dévouement, sinon au roi du moins à la royauté ; il a pu tenter de le rattacher à sa cause car il s’appliquait sans cesse à recruter des partisans aux dépens du roi. Peut-être, fit-il auprès de Montaigne les mêmes démarches qu’auprès de De Thou. », magistrat réputé, ami de Montaigne, premier président du parlement de Paris qui s’opposa à la Ligue catholique du duc de Guise et s’était rallié « au panache blanc d’Henri IV : il n’approuvait pas les différends que le duc de Guise avait avec le roi et s’entourait des gens les plus corrompus du royaume.

Responsable direct du massacre de la Saint-Barthélemy, Guise était un chef ambitieux, farouche, fanatique et intolérant. Face aux tergiversations du roi et de sa mère Catherine de Médicis toujours louvoyante, il décide de frapper fort pour mettre fin à l’ambition rampante des huguenots dont le chef l’amiral de Coligny était bien vu de la reine-mère pour son côté conciliant et apaisant face à cet adversaire redoutable que craignait même son camp.

 

 

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                     Amiral Gaspard II de Coligny par François Clouet  (1519 - assassiné le 24 août 1572)

 

Guise, fort de la puissance du parti catholique et de son physique altier, avait posé ses conditions au roi : proscription absolue de la Réforme dans toutes les provinces, rétablissement de l’Inquisition et, pour lui, lieutenance générale du royaume : un diktat de vainqueur. Dans Paris assiégé par ses troupes, il fait dresser des barricades, alors qu’il était interdit d’accès à la capitale. Autrement dit, il veut faire plier le roi. Mais tandis que le pouvoir lui échappe, celui-ci quitte Paris sous les yeux des Ligueux, flanqué de sept ou huit gentilshommes, et gagne à bride abattue Chartres où va le rejoindre Montaigne.

Malgré ses doutes sur les capacités du roi à gérer de telles situations et quelque peu admiratif des coups d’audace de Guise, notre Périgourdin ne plaisante pas, cependant, avec le principe de légitimité et demeure fidèle à la royauté sinon à Henri III. Il était à l’aise avec tous ces protagonistes et, après la Saint-Barthélemy, avait intercédé entre Guise et Navarre, lesquels avaient appris à se connaître dans leur jeunesse, au cours de scolarités communes, menant ensemble une vie d’adolescents. Au point que le futur Henri IV ne rejetait pas la religion catholique et son « copain » se disait tenté par la confession d’Augsbourg, le manifeste de Luther.

Pendant ce temps, la duchesse de Montpensier, sœur du Chef de la Ligue, se pavanait dans les couloirs du château de Blois avec une paire de ciseaux en or destinés « à raser le roi avant de l’enfermer dans un couvent. »

Il y avait, sans doute, de quoi être outré de ce comportement des Guise et Henri III, personnage pâlot, fit montre d’un esprit plus avisé qu’on ne le pensait, ayant mijoté sa vengeance en silence, en attirant Guise dans un guet-apens dont il ne se doutait pas, ni personne, ni même la propre mère de l’intéressée Catherine de Médicis.

Le 23 décembre 1588, de bonne heure, le roi fait savoir qu’il veut s’entretenir avec Guise et son frère le cardinal Louis II de Lorraine dans « son vieux cabinet. » Le chef de la Ligue, en pourpoint gris, se présente seul, ne se sent pas très bien après une nuit éprouvante passée « avec une dame assez commune du royaume (Mme Sauvé). » Il monte l’escalier fameux du château, pénètre dans la pièce et, aussitôt, est transpercé de coups de poignard, par Quinze spadassins cachés derrière une tenture. Le duc de Guise, au physique impressionnant, s’écroule au pied du lit dans une flaque de sang. Le roi sort, alors, de sa cachette et « donna un coup de pied sur son visage, disant tout haut : « Mon Dieu qu’il est grand ! Il paraît encore plus grand mort que vivant. »

Voilà où le fanatisme, l’intolérance, l’aveuglement et la vengeance ont conduit le chef de la Ligue, un des grands responsables de la Saint-Barthélemy.

 

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                                           Henri IV (1553 - assassiné le 14 mai 1610)

 

La porte était, désormais, largement ouverte au futur roi de France, Henri IV, qui après avoir fait soumission, dira à la cantonade : « Paris vaut bien une messe. »

Montaigne, soulagé, regagnera sa chère tour et accueillera plus tard dans son domaine « nostré Henri » regagnant son Aquitaine.

 

Montant lentement les marches de l’escalier donnant accès aux chambres et pénétrant dans la chambre du roi, je ressentis comme un frisson et je regardai le fleuve majestueux qui, imperturbablement, suivait son cours.

 

Jacques Lannaud

 



21/02/2022
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