Démocratie et... tribulations, par Jacques Lannaud
Buste de Périclès portant l'inscription « Périclès, fils de Xanthippe, Athénien. » Marbre, copie romaine d'après un original grec de 430 av. J.-C. environ.
La liberté étant la base fondatrice de la Démocratie, il est évident que c’est par la conquête du peuple face à un pouvoir fort qui le bâillonne et lui impose sa soumission, qu’il a été possible de renverser l’ordre établi.
L’idée de démocratie fait son chemin dans cette Grèce antique, comme nous le rappelle Pierre Fabre, dans un contexte où règnent plutôt tyrannie et règlements de comptes entre territoires dits polis, aux superficies limitées et souvent séparées les unes des autres, par le relief tourmenté du pays, se voyant obligées de composer devant les menaces de plus en plus fréquentes des ennemis perses ou les ambitions rivales des principales d’entre elles qui dominent par leur puissance ou leur rayonnement.
Secouées par les chamailleries incessantes et guerres picrocholines, elles devront choisir, se résigner ou se rallier à l’une ou l’autre des deux grandes cités :
Sparte qui brillait par sa redoutable armée d’hoplites, des fantassins formés dès le jeune âge, garçons et filles, à l’art du combat et aux maniements des armes, soumis à un régime rigoureux moral et physique entièrement consacré à la Cité et à sa défense.
Athènes, la cité à la notoriété basée sur sa civilisation avancée rayonnante, culturelle, artistique, ses philosophes, mathématiciens, architectes de génie bâtisseurs des temples de l’Acropole, sculpteurs, dont l’influence va se répandre dans le bassin méditerranéen, mer Egée et Cyclades et au-delà : ayant fondé des comptoirs un peu partout, y compris sur la côte anatolienne à vocation financière et commerciale, ceux-ci fructifiaient en même temps que s’amplifiaient ces « colonies athéniennes » liées à la cité-phare par la langue et les affaires.
Tout naturellement, Athènes, plus fragile militairement que Sparte, va former une alliance dite « Ligue de Délos » face à l’ennemi commun mais, aussi, face à la Ligue du Péloponnèse animée par Sparte pour mieux rester maître de l’Attique et des polis ralliés et de la situation maritime pour porter secours et aide à ses autres alliés.
Grâce aux contributions financières récoltées, Athènes va se doter d’une flotte de guerre déjà entreprise par son grand chef militaire, Thémistocle, impériale et composée de redoutables trirèmes car elle avait un monopole : elle disposait des experts en architecture navale, avait une expérience reconnue en matière de batailles sur mer et la main d’œuvre abondante pour construire et diriger cette importante flotte que la Ligue finança en grande partie.
De cet univers compliqué, agité et menaçant, va sortir la notion de démocratie dont les citoyens athéniens de souche comprendront toute l’importance et la nouveauté.
Pendant trente-six ans, de 546 à 510 av. J.C., Athènes connut la tyrannie exercée par Pisistrate et ses fils Hipparque et Hippias, à laquelle mettra fin un corps expéditionnaire spartiate qu’avait suggéré l’oracle d’Apollon à Delphes qui, invariablement, lui répondait : » Libérez Athènes. »
Après cela et sous l’influence de Clisthène de la famille des Alcméonides, dont est issu Périclès, est mis en place un système de fédéralisme démocratique basé sur les dèmes, villages de l’Attique où les citoyens reconnus pouvaient participer à certaines instances avec le Demos, peuple d’Athènes, groupes de citoyens masculins natifs des dèmes ou quartiers de la ville.
On peut dire qu’en 508 av. J.C., Athènes était devenue en pratique une démocratie en y mettant les restrictions que l’on sait, qui l’apparentait à un système mixte avec un parfum d’élitisme, démocratisation qui restait limitée aux citoyens masculins de souche de ces villages et d’Athènes dont les femmes étaient exclues ainsi que toutes les populations étrangères ou métèques vivant là depuis des années.
Une assemblée, l’Ecclésia, à laquelle tous les citoyens peuvent participer, un Conseil de magistrats, l’exécutif, un tribunal, l’Helliée, de 6000 citoyens tirés au sort, le pouvoir législatif, la Boulée, de 500 citoyens qui votent les lois préparées par l’Ecclésia.
Ainsi, un commencement de société démocratique se met progressivement en place, un système fédéral à trois étages, dème-tribut-polis, composés de ces groupes de citoyens : ethnos, gens de même souche, genos désignant les familles, clans, castes et tribus selon le droit du sang, démos, citoyens selon le droit du sol, un choix sélectif, peut-être, mais qu’on le veuille ou non, la gouvernance n’a plus rien de tyrannique ou autocratique mais plutôt d’un régime participatif entre plusieurs milliers de citoyens.
A ce sujet, l’historien athénien Thucydide (460-395 av. J.C.) écrit dans son ouvrage, La guerre du Péloponnèse : « C’est par nous-mêmes que nous jugeons les questions politiques et que nous y réfléchissons comme il convient. Il ne peut être acceptable que le citoyen appartienne à un parti qui lui dicterait un choix ; le seul vrai parti est le bien commun. »
Et, plus tard, Périclès, dans un de ses discours qu’il avait l’habitude de prononcer devant une foule de personnes, soit sur la colline du Pnyx face à l’Acropole soit sur l’Agora, déclarait pour sa part :
« Notre constitution politique n’a rien à envier aux lois qui régissent nos voisins : loin d’imiter les autres, nous donnons l’exemple à suivre. Du fait que l’Etat, chez nous, est administré dans l’intérêt de la masse et non d’une minorité, notre régime a pris le nom de Démocratie. En ce qui concerne les différents particuliers, l’égalité est assurée à tous par les lois ; la liberté est notre règle dans le gouvernement de la république. »
La démocratie directe telle que la pratiquera Périclès, est une avancée certaine, elle est, peut-être, risquée mais le tribun qu’il était, savait se faire entendre car il était » d’un désintéressement absolu et sans attenter à la liberté, il contenait la multitude qu’il menait, n’ayant acquis son influence que par des moyens honnêtes, il n’avait pas à flatter la foule et pouvait lui tenir tête. »
L’influence de la civilisation athénienne et de sa gouvernance démocratique se prolongera dans nos sociétés après bien des siècles d’obscurantisme, de pouvoir absolu, de libertés contraintes et ce n’est que fin du XVIIIe siècle, avec la philosophie des Lumières, que l’idée sera reprise par la Révolution française, le 25 septembre 1792, la République est proclamée « une et indivisible » par les députés de la Convention. Mais elle ne pourra s’imposer et on devra attendre la IIe République de 1848 abattue par le coup d’Etat de Napoléon III. Avec la chute lamentable du Second Empire, la démocratie incarnée par la IIIe République s’imposera finalement.
Aujourd’hui, mélange d’autorité et de parlementarisme, notre démocratie semble bloquée. Notre système est pris en défaut et, normalement, la négociation devrait se dérouler entre partis démocrates pour imposer la loi de la liberté et de la souveraineté démocratique Nos rouages institutionnels se bloquent trop facilement, nos représentants semblent timorés à la perspective de devoir se plier à un marchandage et à des concessions inévitables. C’est pourtant leur intérêt de faire fonctionner la démocratie car les forces anti-démocratiques sont toujours présentes pour en profiter : le seul vrai parti, disait Thucydide, c’est le bien commun.
Dans la Grèce antique, malgré une démocratie moins développée mais tout aussi fragile face aux autocrates, aux tyrans, à Sparte, au régime militaire, les démocrates athéniens appliquaient la loi de l’ostracisme à tout individu qui osait s’attaquer ou fomenter des troubles contre le régime de la liberté : l’Assemblée athénienne, alors, si les faits étaient avérés, prononçait le bannissement de ces fauteurs de troubles très souvent d’origine aristocratique, pour une peine de 10 ans. Le père de Périclès, lui-même, en avait fait les frais.
La démocratie française, compte tenu des attaques anti-démocratiques et réitérées, ferait bien de s’interroger sur la nécessité de mesures de ce type à insérer dans la Constitution même .
Jacques Lannaud
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