Terre de l'homme

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D’une bataille à l’autre

 

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La voie sacrée -   Photo association du musée de la voie sacrée

 

Les images d’une guerre impitoyable, de routes défoncées, de villages meurtris, rasés, de vastes étendues plates où la végétation a quasiment disparu, parsemées de trous d’obus, de destructions à l’infini d’immeubles, de maisons où la vie se déroulait simplement, de rues encombrées de véhicules divers, de tanks rouillés et avachis, éventrés, de gens hagards aux regards perdus ; images d’un autre temps, d’une autre époque, celles dont on nous parlait enfants, à travers des bribes de récits, elles étaient là devant mes yeux, se succédant sur l’écran, me rappelant cette irréalité barbare du passé, cet imaginaire que la mémoire d’enfant s’était forgé, à l’écoute des tragédies familiales, souvenirs lointains de la Grande Guerre 14-18.

Verdun, bataille dantesque, guerre des tranchées entre le 21 février et le 18 décembre 1916, Joffre, Mangin et Falkenhayn, des pertes jamais vues auparavant, des combats titanesques se succédant dans le froid, la neige, la pluie, le vent, dans des tranchées devenues des cloaques où les obus éclataient un peu partout et les balles sifflaient, des batailles brusquées, aux ailes, de Douaumont-Vaux (24/10/1916), de Louvemont-Beonvaux (15/12/1916), de la Côte 304...

Quelles que soient les perceptions que chacun de nous peut avoir ou a gardées en lui-même, de ce déchaînement de la violence, de l’enfer, de l’apocalypse, c’est un monument ancré dans les mémoires et pas seulement concrétisé par ces stèles qui ont fleuri dans toutes les cités et villages de France où l’on a inscrit la liste des disparus.

Et, si j’ose vous parler de cela, c’est bien parce que cette bataille qui a meurtri notre pays et s’est prolongée dans la mémoire au fil des générations, elle est de retour avec des images semblables, encore plus meurtrière, encore plus destructrice, menée par des hommes qui vivaient sans histoire dans des bourgades et des villes agréables où chacun se côtoyait, se saluait, se parlait, se rendait service, se souriait...

 

 

drapeau ukrainien

 

 

Backmout en Ukraine vit l’enfer depuis plusieurs mois. Quel profit pourra en tirer ce tyran amoral, impitoyable, pour qui les soldats ne sont que des pions, que de la « chair à canon » ; quel bonheur peut sortir de son idéologie paranoïaque et nationaliste, de son rêve de voir ce grand empire recommencé et son grand ennemi américain à genoux : il n’est pas porteur de bonheur mais du malheur de son peuple, des familles, des veuves, des mères. Quelle différence avec les tsars esclavagistes, avec ce tsar rouge bolchevik qui faisait rêver certains grands intellectuels de chez nous qui le voyaient en bienfaiteur de l’humanité.

 

 

bataille de Valmy

 

 

                             La bataille de Valmy (20 septembre 1792) par Horace Vernet (1826)

 

Sur la route menant vers ces lieux tragiques, je fais une halte : endroit symbolique et porteur d’espoir pour le peuple français qui s’est réveillé, l’Argonne se profile, le site de Verdun n’est plus très loin. Ici, le 20 septembre 1792, face au moulin de Valmy, je les imagine ces « sans-culottes », je les vois courir à toute vitesse à travers champs, nombreux se précipitant vers l’armée prussienne commandée par le duc de Brunswick, habillés de bric et de broc, en sabots, brandissant fourches, faux, bêches, râteaux, haches, poussant leurs clameurs ... Il faut sauver Paris et la Première République, les conquêtes toutes fraîches et fragiles de la Révolution, les libertés, l’abolition des privilèges, la démocratie... La révolution donne des ailes à ces manants, à ces paysans, à ce peuple de citoyens. La situation est grave, une armée de 150 000 hommes déferle dont 20 000 émigrés ; Longwy, Verdun ont capitulé, Paris est la prochaine étape, la débandade se fait sentir et des personnalités politiques quittent la capitale. Mais, un homme, un tribun à la voix forte, se dresse devant tout le monde à l’Assemblée et s’exclame :

« Pour les vaincre, Messieurs, il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace et la France est sauvée. »

Le cri de Danton stoppe l’esprit défaitiste parisien. Sur le champ de bataille, les trois armées de Rochambeau, La Fayette et Luckner se sont rejointes, les généraux Dumouriez et Kellermann prennent la tête de cette armée improvisée. Après quelques escarmouches et dissipation du brouillard, elles vont faire face à l’armée prussienne. Kellermann ordonne à ses troupes organisées en colonnes, d’attaquer à la baïonnette, l’artillerie française fait feu de tout bois, l’ennemi surpris tergiverse tandis que la clameur des sans-culottes et des soldats monte dans les airs. L’armée prussienne interloquée hésite, Brunswick tourne les talons. La Révolution est sauvée, l’abolition de la royauté en bonne voie.

 

 

voie sacrée

 

 

Voie Sacrée, mémorial du kilomètre zéro se trouvant à Bar le Duc. Inauguré le 21 août 1922, par Raymond Poincaré. Source : GNU Free Documentation License

 

Mais, poursuivons ; bientôt, apparaît cette voie, cette artère stratégique qui relie Bar-le-Duc à Verdun, numérotée RD1916 et qui permit à l’armée française de tenir bon, de février à décembre 1916, face à une armée allemande offensive.

C’est la Voie Sacrée, ainsi baptisée par Maurice Barrès. Elle va jouer un rôle crucial dans la bataille. Grâce à cet itinéraire, le front français sera alimenté en permanence par un flux continu, impressionnant, en hommes, nourriture, munitions, armes, matériel et personnel de santé, infirmeries de campagne, évacuations des blessés et des morts. Car, il faut aussi répondre à la stratégie adoptée, celle de renouveler fréquemment et en grand nombre les soldats du front. Longue de 57km, 2, le trafic va perdurer jour et nuit durant tous les mois, empierrée, entretenue par des soldats qui comblaient trous et ornières sous les roues des camions. Au cours de l’été 1916, 90 000 hommes, 50 000 tonnes de munitions et autres approvisionnements par semaine, passèrent sur cette route sans discontinuer, 6000 à 8000/ jour, 70 des 95 divisions françaises participèrent à la bataille de Verdun, un camion toutes les 13’. Compte tenu  de cette file continue de véhicules, aucun arrêt n’était possible, tout incident traité sur le champ avec déviation immédiate sur le bas-côté de tout véhicule en difficulté ou vers le fossé.

 

 

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Dans cet enfer, l’offensive allemande fut stoppée, Verdun ne tomba pas et le front ne fut pas percé. L’historien britannique John Keegan écrivit alors « Les Français avaient compris à juste titre, qu’il s’agissait de les obliger à quitter le terrain de façon humiliante, à moins de prolonger par une terrible boucherie. Les Français optèrent pour la boucherie. »

Les pertes, en effet, furent de 160 000 tués et disparus du côté français, plus de 140 000 du côté allemand plus 200 000 blessés de part et d’autre.

 

 

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                                                La voie sacrée en 1916 - Getty-Heritage Images 

 

Aujourd’hui, Backmout est comparable à un nouveau Verdun, peut-être plus meurtrier du côté russe et, malgré cela, les Russes s’acharnent, envoient de continuels renforts, s’ appuient sur des milices privées et mafieuses, mais la courageuse et intelligente résistance ukrainienne force notre admiration. Comme à Verdun, reculer serait, sans doute, ressenti comme une humiliation à leurs yeux et un grand espoir donné à l’ennemi russe.

 

L’Europe joue là une partie importante de sa cohésion et doit, le plus vite possible, renforcer en moyens indispensables, ces valeureux soldats qui se battent pour la démocratie et, donc, pour cette Europe qui nous tient à cœur.

 

Jacques Lannaud

 

 

 



13/03/2023
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