Terre de l'homme

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Enfance

 

  

Françoise Maraval, par deux fois, a quitté "son" Périgord natal. Une première fois, elle partit pour faire carrière, une carrière plutôt brillante, dans l'Administration de la Poste ; puis, elle est revenue pour se ressourcer quelques années.

À nouveau, elle s'est échappée pour  être proche des siens.

Pour Françoise, cypriote de cœur, ce sont ses racines qui parlent. En novembre, elle a ému le lectorat avec, matricule 14360, l'histoire de son grand-père, durement interpellé par la Guerre de 14. Il était chaisier à Saint Cyprien.

 

Aujourd'hui, elle nous conte l'histoire de son aïeule dont l'enfance fut marquante. Un billet chargé d'émotion dont la tendresse, certainement, va toucher le lectorat.  

 

    

Françoise Maraval

 

 

 

 

L'enfance de Grand-mère Yvonne

 

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Nous habitions à 50 m de chez mes grands-parents maternels.

 

J’allais les voir, tous les jours, avant de partir en pension à Belvès. Mon grand-père Achille était peu loquace, ma grand-mère Yvonne était gaie, elle aimait parler et j’étais son public préféré. De la fenêtre de sa cuisine, elle m’appelait " Françoise, j’ai fait un millas, tu en veux ?" Elle ne se trompait pas : j’accourais. Mémé avait un don pour faire la cuisine. Son gâteau de farine de maïs, de citrouille, de pommes ou de prunes d’ente, cuisait dans le four de la cuisinière à bois. Il était croustillant sur le dessus et moelleux à l’intérieur. Il fallait se restreindre car nous aurions tout mangé.

Mais,  nous avions un péché mignon en commun: " les  frottes".

 

En fin d’après-midi, elle allait chercher  sa miche, chez M. Lamarche, notre boulanger. Le pain était encore chaud et, à le voir, on devinait la croûte épaisse et croustillante qui nous attendait. La plupart du temps, nous nous contentions d’une " frotte " au beurre ; mais, si Mme Tabanou de Lussac était descendue au village et avait apporté son fromage blanc, quelle chance !!! Avec une grappe de raisin blanc du jardin : un vrai régal. Le partage de cette gourmandise s’accompagnait toujours d’un autre partage, celui de l’évocation de son enfance.

 

Yvonne Bailly est née à neuf heures du soir le 8 octobre 1894, au lieudit des Géraud, commune de Saint-Rémy, canton de Villefranche-de-Lonchat. Son père Jean Bailly était tuilier, compagnon du Tour de France, sa mère Anna Tronche assumait la charge d’une petite métairie qui abritait la famille. Bientôt, deux petits frères sont arrivés : Moïse et Clément. La vie y était rudimentaire et, très vite, il a fallu qu’Yvonne se rende utile .

 

                            

À l’âge de 6 ans, elle a commencé à travailler en dehors de la maison !!! Son père ne voulait pas de bouche inutile à nourrir. Il s’était mis d’accord avec un couple d’éleveurs de chèvres, séjournant à un bon kilomètre de là. Tous les matins, elle partait de bonne heure en suivant un chemin vicinal bordé de grands arbres et tapissé d’ornières dans lesquelles ses petits sabots s’enfonçaient. Elle avait peur et ses oreilles à l’affût du moindre craquement de branche, surveillaient.

 

Les éleveurs l’accueillaient gentiment. Lui, un grand rouquin s’amusait de la voir si petite et déjà responsable. Son épouse préparait pour Yvonne, un grand bol de lait de chèvre bien chaud et un morceau de pain, puis l’homme l’accompagnait à la bergerie et faisait sortir les bêtes. Yvonne appelait "Blanchette", la meneuse, et toutes les autres suivaient. Le lieu de pâture pouvait changer, c’est l’homme qui décidait.

                                                                                                                                      

Elle surveillait le troupeau d’une douzaine de chèvres. Par mauvais temps, elle pouvait se réfugier dans une borie avec les biquettes. À midi, la patronne lui apportait  du pain et un morceau de fromage. Yvonne trouvait des pommes, des noix, des châtaignes, des nèfles, des prunes sauvages sur le pâturage, elle pouvait les manger et en mettre dans ses poches  En fin de journée, l’homme arrivait, c’était l’heure de rentrer. La petite avait droit à un bol de soupe et un bol de lait. Elle ramenait pour la maisonnée, un bidon de lait de chèvre. Elle avait gagné sa journée ...et allait directement au lit, l’unique lit de la famille.

 

Quand Moïse a eu 6 ans, Jean Bailly voulut lui donner une éducation. Il fallait qu’il aille à l’école. La famille alla s’installer à Montpon . Mais, qu’allait-on faire d’Yvonne ? Très vite, il trouva à la placer… À l’âge de 8 ans, elle est entrée en apprentissage comme personnel de maison chez M. et Mme R... horloger-bijoutier à Montpon.

Madame a emmené Yvonne dans la cuisine où les gens de maison étaient rassemblés. L’enfant tremblante se sentait dévisagée de la tête aux pieds. Certains la regardaient avec commisération, d’autres avec curiosité ! Rose, la lingère, entraîna Yvonne dans la buanderie, remplit une grande bassine d’eau tiède. « Je vais te faire très belle » dit-elle. Elle aida la petite, de plus en plus tremblante, à se déshabiller. Quelle humiliation, se retrouver toute nue, cette situation ne lui était jamais arrivée ! Avec délicatesse, Rose a fait la toilette de l’enfant. Yvonne, à cet instant, a pris conscience de sa condition : elle, elle était sale, les autres étaient propres. Ses cheveux eux aussi ont été lavés et épointés. Elle regardait l’eau, elle avait honte.

Des habits avaient été préparés : " ce sont les anciens vêtements de mesdemoiselles Marguerite et Mathilde, les enfants de Madame. Tu as de la chance, ils sont en très bon état, elles  grandissent vite ". Yvonne a senti sur sa peau, la douceur de ses nouvelles chemises et de ses bas. Elle n’en croyait pas ses yeux, Rose lui passa une  robe, trop belle pour elle, pensa l’enfant, puis un tablier de devant. Aux pieds, elle fut chaussée de bottines. Ses cheveux ont été arrangés en tresses ramenées sur le dessus de la tête . Rose l’amena devant une grande glace ; pour la première fois de sa vie, elle se voyait : « alors, c’est moi !!!»  Elle avait déjà vu le bout de son museau dans le morceau de glace dont le père se servait pour tailler sa barbe. L’enfant fut amenée au salon ; Madame l’a regardée avec satisfaction et tendresse.

La première journée, elle n’a rien fait : l’épreuve avait été jugée assez traumatisante pour cette enfant. Rose l’a entraînée avec elle dans chacune  de ses allées-et-venues et, ainsi, Yvonne a découvert la maison. Maintenant, le personnel la regardait autrement. Revêtue des habits des demoiselles, elle était une autre petite fille et c’est, à ce moment-là, qu’elle comprit qu’elle était une enfant et que c’était un privilège. Cette métamorphose la troublait, lui tournait la tête. Le dimanche, elle était autorisée à aller voir sa mère et ses frères. Ils la dévisageaient, l’étudiaient, lui lançaient des remarques piquantes au sujet de sa nouvelle condition.

                                                                                                                                   

 Yvonne a fait son apprentissage à tous les postes de travail de la maison : lingerie, cuisine, ménage, courses, avec la bienveillance du personnel et la bénédiction de M. et Mme R. Elle est vite devenue autonome et son travail apprécié. Elle a appris à compter, à parler français mais elle ne savait toujours pas lire.

C’est une jolie cuisinière de 19 ans qui a fait tourner la tête à un jeune homme de passage, venu de Lanouaille avec un autre ouvrier tapissier. Le tapissier de Lanouaille avait très bonne réputation et il fallait refaire les fauteuils du salon. Achille et son confrère logeaient sous les toits et se restauraient à la cuisine. Tout de suite, le regard d’Achille s’est posé sur Yvonne. Elle avait 2 ans de moins que lui.

Ils se sont plu . Achille lui parlait de ses lectures, de son travail, de sa famille. Il lui parlait en français car les patois de Lanouaille et de Montpon sont très différents. Elle le trouvait intelligent, beau et travailleur. Pour Achille, Yvonne était une perle : elle savait tout faire dans une maison. Elle était souriante, toujours gaie, d’une grande amabilité. Toute la maisonnée l’aimait. Plusieurs semaines ont passé et Achille a dû repartir, le travail terminé. Il a dit à Yvonne qu’il reviendrait et qu’il demanderait sa main à son père. Il a tenu sa promesse . Ils se sont mariés le 25 juin 1914 à Montpon.

 

Ils se sont installés à Saint-Cyprien où vivait la sœur d’Achille : Angèle Lamaurelle . Ils ont eu 8 enfants : 7 filles et un garçon .

La suite, vous la connaissez. C’est le matricule 14360, c’est Achille le chaisier.

 

Ce récit m’a été fait plusieurs fois par ma grand-mère. Je l’ai toujours écouté avec intérêt. Je ne posais pas de question, par pudeur, par recueillement. Je comparais nos deux enfances. Mon milieu familial était modeste mais je ne manquais de rien et surtout pas d’affection. Quand je revenais à la maison, j’étais taciturne, je cheminais encore dans l’enfance de ma grand-mère. Ma mère lançait de temps en temps, cette phrase en parlant de moi, "  elle se prend pour une princesse ... ". Chaque fois, je pensais à ma grand-mère Yvonne.

 

Ps : Chez mes grands-parents, il y avait quelque chose qui intriguait tout le monde car cette chose n’avait rien à voir avec le mobilier très modeste de la maison : une magnifique pendule comtoise en merisier, élancée, élégante, décorée de fleurs joliment peintes et d’un balancier richement sculpté, une merveille … Il m’est arrivé de la remonter sous l’œil inquiet de mes grands-parents. Elle sonnait tous les quarts d’heure même la nuit. Elle ne dérangeait personne, tout le monde l’avait intégrée dans la vie quotidienne. Cette pendule était le cadeau de mariage de M. et Mme R.., destiné à leur regrettée petite cuisinière Yvonne. Mes grands-parents ont connu des passages de vie très difficiles mais il n’a jamais été question de se séparer de la pendule.

                                                                                                                                    

Françoise Maraval                                                                                                                                   

                                                                                                                                                                                                     

 

 



17/12/2020
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