Terre de l'homme

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Et au loin coule la rivière Espérance - Saga de Françoise Maraval - épisode 67 (partie 2)

Le cours préparatoire

2e partie

 

Au cours préparatoire, je me suis découvert une grande passion pour l’Histoire de France.

Madame Fournet, l’institutrice, devait avoir l’art et la manière de nous l'enseigner. La matière m’intéressait tellement que, de retour à la maison, j’éprouvais le besoin de partager cet engouement avec mes parents. Le jour dédié à cet enseignement, à la sortie de l’école, mon père et ma mère m’attendaient dans la cuisine pour recevoir, à leur tour, la leçon d’histoire. Mon père était heureux et surpris de tant d’emballement pour la matière.

 

 

 

J’ai été particulièrement intéressée par le règne de Charles VI le Bien Aimé, roi très fragile. Mais, je le comprenais car il n’est pas facile de tenir son rang quand, de tous côtés, des hommes veulent prendre votre place. L’épisode du « Bal des Ardents » m’avait presque traumatisée et il fallait que je me débarrasse de cette charge émotionnelle en la partageant avec mes parents.

Le roi avait organisé un bal costumé, le 5 août 1392 et il était déguisé ainsi que cinq petits princes en « sauvages ». Le duc d’Orléans arrive avec quatre cavaliers munis de torches pour mieux voir le spectacle ; mais, hélas ! Une étincelle met le feu à l’étoupe du déguisement. Trois jeunes gens sont brûlés dans d’atroces souffrances.

 

 

 

 

Le roi est sauf mais, ayant tout vu, reste commotionné à vie et bascule dans la folie. Il régnera encore 30 ans, soutenu par les siens. J’ai suivi cet évènement avec une telle intensité que j’avais l’impression de l’avoir vécu.

 

Un autre personnage historique m’avait précédemment fascinée ; c’est Bertrand Du Guesclin. Issu d’un milieu noble très modeste et de surcroît provincial, ce Breton belliqueux et laid, mal aimé de sa famille, s’est fait remarquer par sa force d’esprit. Il se sent la vocation d’un guerrier et il attire l’attention en gagnant des tournois en Bretagne. Il est adoubé et prend comme devise « le courage donne ce que la beauté refuse ». Sa bravoure ne passe pas inaperçue dès le début de la guerre de Cent Ans. Pour les Anglais, il devient « le Dogue noir de Brocéliande ». Son ascension militaire est fulgurante ; si bien que le roi de France, Charles V, le nomme connétable de France, distinction suprême, jusque-là réservée à un membre de la famille royale. Elle lui est décernée en raison de ses innombrables qualités : bravoure, fidélité, désintéressement, enthousiasme, patriote avant l’heure. Du Guesclin devient une véritable légende.

Mme Fournet porte haut et fort, les valeurs de résistance et celles des serviteurs de l’État car son mari, Max Fournet, boucher au village, a été le chef de l’Armée secrète du secteur de Saint-Cyprien aux côtés d’André Trapy.

 

Je me suis découvert une vraie passion pour l’Histoire de France et mes parents sont impressionnés par l’importance que prennent chez moi, les valeurs morales des individus.

Avec l’aide de ma tante Yette, ils organisent pour moi une soirée dédiée à Bertrand Du Guesclin, un mercredi soir, au cinéma paroissial. En effet, un film en l’honneur du héros était sorti en 1948. Ma tante s’est débrouillée pour en obtenir les bobines. Pour moi, c’était la surprise totale.

J’ai retrouvé ce Du Guesclin, tel que la leçon de mon institutrice l’avait fait germer dans mon esprit. Horriblement laid ! Sur le livre d’Histoire de France de Mme Fournet, qu’elle faisait passer de main en main, le guerrier y était dessiné à la plume d’oie. À l’écran, il était exactement le même et ses exploits étaient sans fin. Quelle soirée formidable !

 

 

          Du Guesclin est nommé connétable de France par le roi Charles V

 

Nous avons au moins atteint le règne de Henri IV car je me souviens d’une anecdote à ce sujet. Mme Fournet a demandé à un élève « retardé » de répondre à la question suivante :

- « Michel, peux-tu me dire de quelle couleur était le cheval blanc d’Henri IV ? »

Le petit garçon n’en revenait pas ! Il était interrogé, lui, Michel ? Il n’arrivait pas à se tenir debout devant son pupitre. Je le sentais tremblant, perdu. Il ne répondait pas, cherchant, peut-être, une explication à ce questionnement inhabituel.

Au milieu des rires d’une partie de la classe, et donc du mien, la maîtresse a reposé la question en insistant où il fallait. Michel n’entendait rien mais il a tout de même répondu : Gris ? Marron ? Noir ? Les rires narquois redoublaient. La maîtresse a fini par donner la langue au chat. Blanc… Elle lui a expliqué que, dans la question, se trouvait la réponse.

De retour à la maison, j’ai raconté la mésaventure de Michel avec de la moquerie dans la voix et dans les yeux. Mon père avait changé de tête, dès le début de l’histoire mais il m’a laissée finir.

- « Tu n’as pas honte de te moquer de ce petit garçon qui s’est laissé déstabiliser parce qu’il a l’habitude d’être oublié dans un coin. Tu sais, Françoise, Michel sait beaucoup plus de choses que toi. Quand il rentre chez lui, après la classe, sa journée n’est pas terminée ; il a sa part de travail à la ferme. Ses chevaux ne sont pas blancs, c’est une couleur beaucoup trop salissante pour les travaux de la campagne. »

 

À partir de ce jour j’ai regardé avec des yeux neufs ce petit groupe dans lequel se trouvait Michel. Ils étaient largués. Les cours ne s’adressaient pas à eux mais aux moyens comme moi. Cela ne les a pas empêchés de faire de leur vie, une belle réussite. Michel a repris la ferme de ses parents, il a épousé une charmante Périgourdine, ils ont élevé leurs enfants, ont accompagné leurs Anciens jusqu’à leur

dernière demeure. Ses champs de maïs, de tabac, de luzerne, resplendissaient sur le bord de la Dordogne. Ses chevaux bruns et vaillants n’avaient pas de panache mais ils étaient très beaux.

Les vacances sont vite arrivées. À la rentrée, j’allais intégrer la grande école à l’autre bout du village. Filles et garçons, nous serons séparés. Cependant, je les retrouverai presque tous, au cours de catéchisme.

 

Pendant les vacances, je partageais mon temps entre le patronage, les sorties avec mes grands-parents maternels, les après-midi à jouer avec ma copine Soussou et quelques sorties extraordinaires.

Quand ma grand-mère Yvonne avait ses congés annuels, je l’accompagnais jusqu’à « Beauséjour » sur la route de Mouzens. Là, mon grand-père y cultivait avec amour, légumes et fleurs. Un gentil ruisseau serpentait entre la route et le jardin et nous pouvions franchir son fossé grâce à un petit pont fabriqué par Achille. Ce ruisseau était une mine d’or pour mon grand-père ; non seulement, il lui permettait d’arroser son jardin mais, en plus, il regorgeait de joncs. Depuis que son beau-frère, Henri Lamaurelle, était décédé, pépé Achille avait repris le métier de chaisier en plus de son travail à l’usine d’Allas-les-Mines. Il disait que ce jonc était d’une qualité exceptionnelle.

 

 

 

Nous partions donc avec la brouette et nos chapeaux de paille. Mes grands-parents entraient dans le ruisseau, tout habillés, ils dégageaient les tiges de jonc et les déposaient délicatement sur le bord de l’eau. J’aimais les regarder travailler. Revenus sur le talus, mon grand-père aidait ma grand-mère à se débarrasser des sangsues qui étaient venues se coller à ses jambes et à ses cuisses et il les remettait délicatement dans l’eau. Ce spectacle me donnait des frissons et j’inspectais mes jambes à la recherche de quelques bestioles. Le chaisier triait le jonc et installait les plus belles tiges sur la brouette. Souvent, je voyais ma grand-mère faire pipi debout. La première fois, j’ai été offusquée :

- « Mémé, tu fais pipi dans tes culottes ? »

 

Mes remarques la faisaient rire. De retour à la maison, elle a sorti un linge de son armoire et elle l’a déplié devant moi : une culotte fendue ! Je n’en revenais pas. Quelle drôle d’invention !

 

 

 

Pendant ce temps, mon grand-père étalait le jonc dans la grande chambre du 1er étage. En séchant, il dégageait une odeur que j’adorais. Il fallait s’en occuper et le retourner souvent pour que le séchage soit plus rapide et qu’il ne moisisse pas.

 

Mon grand-père avait un autre chantier, celui des pailles. Il commandait des pailles brutes et, ensuite, il les teintait soit de couleur or, soit en rouge ou encore en vert. Il était habile, il allait très vite et les pailles se retrouvaient plus belles, les unes que les autres.

Pendant ces périodes-là, je ne sais pas où était ma tante Jeannette ; chez une de ses sœurs sans doute.

 

Il manque le bois pour faire l’armature. Son fournisseur était M. Touron de la gare. Je suivais mon grand-père à la scierie. Nous étions toujours bien accueillis : Mme Touron, derrière ses lunettes de myope et ses deux grands garçons. C’est Camille que je préférais. À cette époque, tout le monde était gentil.

Achille avait dans un recoin du bâtiment, un espace réservé à son stock de bois ; de très grandes planches calibrées à la demande de mon pépé, essentiellement du hêtre et du chêne.

Quand mon grand-père en manquait, M. Touron venait le livrer avec son petit camion qui marchait avec de la sciure de bois ; on aurait dit que cet engin sortait tout droit des studios de Walt Disney. Mon grand-père savait tout faire ! Je l’observais, dans sa cave, à faire naître des chaises, debout devant son établi. Il avait des tas d’outils qu’il avait rachetés à sa sœur Angèle Lamaurelle.

 

Ma grand-mère participait au paillage des chaises, le soir à la veillée. Le professionnel la surveillait de très près :

- « Yvonne, ton jonc n’est pas assez torsadé ! »

- « Mais ! Je vois que ce n’est pas assez tendu… »

 

Il était exigeant avec les autres comme il l’était avec lui-même.

Les paroisses étaient ses plus grosses clientes. Le nouveau vicaire, Gabriel Truchassout, lui avait passé des commandes et lui faisait de la publicité dans les communes alentour. En dehors des prie-dieu et de simples chaises, on lui demandait des bancs d’église.

 

L’abbé Truchassout était un jeune vicaire très dynamique, arrivé à Saint-Cyprien en remplacement de l’abbé Soustrougne nommé curé dans une autre paroisse. Il avait environ 35 ans. Le bruit circulait qu’il avait été prisonnier en Allemagne pendant la guerre et qu’il était natif du nord de la Dordogne.

Je le voyais au patronage, le jeudi, où il venait y dire la messe et il repassait l’après-midi pour emmener les grands garçons courir la campagne.

Cette année 1951, l’année de mes 7 ans, accompagnée de ma mère, j’ai participé pour la première fois au pèlerinage diocésain de Lourdes pour le 15 août, fête de la Vierge Marie. L’abbé avait tout organisé et deux cars de pèlerins sont partis de Saint-Cyprien. Régis Monribeau était le propriétaire du car dans lequel j’étais et l’autre car venait de Belvès. Ma tante Yette était responsable du premier car et l’abbé du second. Je me souviens de la bonne humeur qui y régnait pendant le voyage. Nous avons beaucoup chanté et nous avons beaucoup prié. À mi-chemin, à l’endroit choisi à l’avance par l’abbé, nous avons pique-niqué dans la joie et dans la bonne humeur : un énorme pique-nique. Je devais être la plus jeune et j’étais suivie de près par mon voisin, Jean-Marie Gomez, venu avec sa mère, Séverine.

À Lourdes, nous logions dans un hôtel, un hôtel pour les filles et un autre pour les garçons. Nos chambres étaient plutôt des dortoirs et tout se passait bien. Le lendemain, l’esplanade de la basilique de Lourdes, noire de monde, m’est apparue immense et il s’en dégageait une ferveur qui montait tout droit vers le ciel. Après la messe, nous avons fait la queue pour aller nous incliner devant la grotte, à l’endroit même où la Vierge est apparue à Bernadette Soubirous. Nous avons touché le rocher !

 

 

 

                 La basilique de Lourdes au milieu de la verdure et le gave de Pau

 

L’après-midi, nous avons assisté à l’ensemble des manifestations ; et, le soir, pour rien au monde, il ne fallait manquer la procession aux flambeaux.

Le lendemain matin, nous avons assisté à l’office et nous avons fait une partie du chemin de croix sur les genoux. Mlle Despont avait du mal à avancer et il a fallu la relever ; nous avons fini le périple à pied. L’après-midi, nous avons visité la maison de Bernadette Soubirous, la petite fille qui avait eu la chance de voir la Sainte Vierge, puis la visite du château fort de Lourdes était au programme. Comme tout le monde, je me suis sentie toute petite face à l’ours qui garde les lieux ; après quoi, nous avons déambulé dans les rues à la recherche de la médaille miraculeuse à offrir à ceux qui n’ont pas pu venir. Il y avait tellement de boutiques et tellement de médailles qu’il était difficile de faire un choix. Maman m’a aidée à prendre la bonne décision ; je voulais en offrir une à mémé Yvonne, à pépé Achille, à Jeannette, à la petite Mathilde Souletis, à Vié Roye et à moi-même. Il y en avait des minuscules d’un joli bleu qui brillaient au soleil. Revenues sur le site de la grotte, nous avons rempli des petites gourdes d’eau bénite, une pour mémé Yvonne, l’autre pour nous.

 

Il a fallu prendre le chemin de retour mais en faisant un détour par le cirque de Gavarnie. Les cars nous ont laissés au pied des Pyrénées et l’ascension a été facile. C’était très beau, je n’avais pas encore vu de montagne. En haut, pendant que nous admirions le paysage, Mlle Despont nous a raconté l’histoire de Ramuntcho et de Gracieuse et les grands ont entonné une très belle chanson :

Montagnes Pyrénées vous êtes mes Amours,

Rien n’est plus beau que ta vallée…

Redescendus, nous avons trouvé une aire pour le pique-nique, il était moins animé que celui de l’aller. Sur le chemin du retour, nous avons fait une halte au Rocher de la Vierge à Biarritz, nous faire réveiller par les claques des vagues qui s’étaient brisées sur le roc et nous avons admiré le panorama.

Le trajet du retour a été silencieux ; j’ai dormi.

C’est un peu triste quand nous nous sommes séparés en arrivant devant chez Régis Monribeau, le propriétaire du car. J’étais fière de distribuer les petites médailles à mes grands-parents et amis.

 

Avec le patronage paroissial, je suis revenue à Lourdes, tous les ans, jusqu’à mes dix-huit ans. La dernière fois, le chauffeur, toujours le même, le fidèle Régis, nous a emmenés avec sa propre voiture : nous étions cinq pèlerins.

 

 

 

 

arbre généalogique FM 1

arbre généalogique FM 2

 

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Demain : ce blog rappellera l'urgence de réservations pour la soirée du 16 juin "Tous les rêves partent de la Gare d'Austerlitz".



11/06/2023
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