Terre de l'homme

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La rose de l'Alhambra- épisode 9 - par Françoise Maraval

 

 

La régence de la reine Marie-Christine,

 

 

Résumé des épisodes précédents :

 

Isabelle, fille aînée de viticulteurs du Bas-Languedoc, Arthur et Marguerite Garrigue, par son mariage avec Miguel de Almanzar, est entrée dans une riche famille espagnole de la région de Valencia.

 

L’unique propriétaire des lieux, Luciana Ferrero, a dû se résigner à épouser son voisin Juan de Almanzar, faute de prétendant. Ce dernier, intéressé par l’« affaire » proposée par son futur beau-père, Luis Ferrero, partage désormais la vie de Luciana et se trouve à la tête de l’orangeraie, sans en être propriétaire. Il a rempli son contrat : un enfant est né de cette union, c’est Miguel, l’enfant chéri de Doña Luciana. La maîtresse des lieux fait régner sur ses terres un ordre monacal, surveillant ou faisant surveiller ses sujets, les ouvriers agricoles du domaine de l’orangeraie. Conservatrice et profondément religieuse, elle exige leur présence à la messe, le dimanche, dans la petite chapelle de la propriété.

Une rivale amenée par son fils a su trouver sa place dans l’immense demeure et a provoqué quelques bouleversements à l’ordre établi.

L’épidémie de choléra déclarée , à l’origine, dans la région de Valencia, les a épargnés grâce à l’application des gestes barrières et aussi grâce à la vaccination.

 

 

La mort du roi Alphonse XII provoqua un choc profond dans le pays. Des voitures se croisaient dans tous les sens pour prendre la route du Pardo. Le cercueil avait été transféré au palais royal où la chapelle funéraire y était installée ; elle fut visitée par des milliers de personnes. Le 29 novembre, il fut emmené au monastère de l’Escorial où il fut enterré.

 

 

           

 

                         Le site royal de Saint-Laurent-de-l’Escorial

 

La mort du monarque provoqua également une grande inquiétude parmi les élites politiques, devant la perspective de la régence de la jeune et inexpérimentée épouse du roi, Marie-Christine d’Autriche, âgée de 27 ans. Elle était enceinte et l’espoir de la naissance d’un fils calmait un peu les esprits. Le gouvernement craignait un pronunciamiento républicain (un putsch) ou une insurrection carliste ou encore les deux, simultanément, si bien que les troupes furent mises en alerte. La Bourse s’effondra.

 

On conseilla à la régente d’appeler Sagasta pour former un gouvernement. Le leader libéral accepta, au cours d’une réunion tenue à la présidence du gouvernement, avec la médiation du général Martínez Campos qui sera improprement connue sous le nom de pacte du Pardo. Le 27 novembre au soir, au palais royal, la régente María Cristina reçut le serment du nouveau gouvernement présidé par Sagasta et, devant lui, elle prêta serment sur la Constitution.

L’accès au pouvoir du parti libéral, définitivement constitué, et sa longue gestion gouvernementale contribua à consolider le système politique.

 

 

 

Tableau de Francisco Jover y Casanova y Joaquim Sorolla (1897)

« Prestation de serment sur la Constitution par la reine Marie-Christine » : le 30 décembre 1885. C’est Cánovas qui tient l’exemplaire de la Constitution sur lequel la reine prête serment. En bas et à droite, se trouve le général Martínez Campos.

 

Pendant ce temps, en ce début d’année 1886, la huerta de Bárriana a été réveillée par un crépitement inhabituel. Tous ont découvert dans le ciel, une lueur orangée et un rideau de flammes au-dessus de la colline de « la Esperanza ». L’orangeraie des Almanzar est limitée à l’ouest par la colline en feu, l’oliveraie des Alvarez. C’est le flanc ouest qui brûle. Avec les moyens du bord, les seaux qui servent à la cueillette, les hommes et femmes du domaine des Almanzar sont partis, à pied, rejoindre l’oliveraie et une chaîne humaine s’est formée à partir du fleuve Turia. C’est le surlendemain, au matin, que l’incendie a été circonscrit dans l’oliveraie, avec l’aide des « bomberos », les sapeurs-pompiers, pourtant bien fatigués en raison de leur nouvelle responsabilité, le ramassage des corps cholériques trouvés çà et là et leur mise en terre ; car, le choléra sévit toujours, bien qu’ en régression grâce à la vaccination qui est enfin acceptée.

Le bilan est lourd : tout le flanc ouest de la colline est carbonisé ainsi que son sommet. Au milieu, la maison d’habitation n’est plus qu’une ruine calcinée. L’enquête révélera que l’incendie a dû partir, simultanément, de plusieurs endroits. On pense tout de suite à une vengeance. Mais, plus grave encore est le bilan humain. Le propriétaire des lieux, Enrique Alvarez, est mort dans l’incendie de la bâtisse en voulant récupérer des papiers dans les étages. Il venait d’être veuf, son épouse ayant été victime du choléra. Il reste une petite fille de trois ans, un tout petit moineau, blottie dans les bras de sa « mama » cubaine.

 

Au petit matin, Miguel de Almanzar, attristé de voir cette enfant dévastée par la vision apocalyptique qu’elle a subie, décide de la conduire, accompagnée de sa nounou, dans sa demeure. Isabelle a essayé de la cajoler, de la rassurer mais Olivia tremblait de tous ses membres, tout en se cramponnant au cou de sa domestique, la tête enfouie dans son opulente poitrine. Le sort de l’enfant ne peut être décidé sur le champ, on avisera plus tard.

Les jours suivants, à la huerta de Bárriana, Doña Luciana est de plus en plus agitée. Elle a entendu des bruits inhabituels aussi bien à l’intérieur de la maison qu’à l’extérieur ; et, contaminée par cette agitation, une attaque cérébrale finit par la terrasser, le premier avril 1886. Miguel, son fils, découvre chez le notaire, ses vœux post-mortem : elle veut être enterrée dans la petite chapelle et rejoindre le caveau familial auprès de ses parents. Dans son testament, elle demande que ce soit l’archevêque de Valence qui vienne dire la messe des morts et elle lui a réservé, pour l’ensemble de ses œuvres, un pécule non négligeable. C’est le petit abbé qui est chargé de faire la démarche auprès de l’archevêché. L’archevêque ne peut pas prendre de risque, le choléra étant toujours là.

L’enterrement, au lieu d’être en grande pompe, sera un enterrement modeste, digne d’une chrétienne qui a demandé à appliquer le message des évangiles. C’est le petit abbé qui dit la messe des morts. La petite chapelle est pleine à craquer et certains devront rester sur le perron.

Un lunch de tapas est servi sous les arcades du patio. Il semble que les ouvriers agricoles, malgré les circonstances, soient plus détendus que le jour de l’arrivée des jeunes mariés en 1878. On sent une assemblée de personnes soudées par le travail, par la chance qu’ils ont eu d’échapper au choléra et par le grand élan de solidarité qui les a amenés, sans se poser de questions, à combattre le feu du voisin.

Le soir même, Juan de Almanzar quitte le domaine et va rejoindre la femme qu’il aime, dans les cabanons de l’aire de maraîchage. Il a rempli son contrat, il est grand temps qu’il pense à lui.

 

Le notaire de la famille Almanzar a entamé des recherches pour trouver de la parenté à la petite Olivia Alvarez. Par le bouche à oreille, les papiers ayant été brûlés, il a eu connaissance de la présence de Doña Alvarez, mère du propriétaire de l’oliveraie, à Valencia. Les pourparlers ont révélé que la mère et le fils étaient en froid, la mère ayant rejeté son fils parce qu’il avait épousé une mulâtre de Cuba. Le fils n’avait pas échappé aux obligations militaires et avait dû partir dans les colonies américaines. Il s’était marié à la Havane et avait ramené son épouse en Espagne.

Doña Alvarez ne voulait pas entendre parler de sa petite-fille : elle n’admettait pas de ce sang-là dans sa famille.

 

Miguel et Isabella de Almanzar décidèrent, donc, d’accueillir définitivement chez eux, Olivia et sa « mama » cubaine. Ils achetèrent la propriété de l’enfant, seule héritière, et le notaire lui ouvrit un compte dont elle disposera à sa majorité.

 

La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre : la reine Marie-Christine a accouché d’un héritier mâle, le 17 mai 1886. Il sera le futur roi Alphonse XIII.

 

 

 

 

Françoise Maraval

 

 

 

 

 

                                                                 

 

 

 

 



18/01/2024
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