Terre de l'homme

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La rose de l'Alhambra - épisode 11 - par Françoise Maraval

11

 

 

Aranjuez,

 

 

 

Résumé des épisodes précédents :

 

 

Isabelle, fille aînée de viticulteurs du Bas-Languedoc, Arthur et Marguerite Garrigue, par son mariage avec Miguel de Almanzar, est entrée dans une riche famille espagnole de la région de Valencia.

L’unique propriétaire des lieux, Luciana Ferrero, a dû se résigner à épouser son voisin Juan de Almanzar, faute de prétendant. Ce dernier, intéressé par l’« affaire » proposée par son futur beau-père, Luis Ferrero, partage désormais la vie de Luciana et se trouve à la tête de l’orangeraie sans en être propriétaire. Il a rempli son contrat : un enfant est né de cette union, c’est Miguel, l’enfant chéri de Doña Luciana. La maîtresse des lieux fait régner sur ses terres un ordre monacal, surveillant ou faisant surveiller ses sujets, les ouvriers agricoles du domaine de l’orangeraie. Conservatrice et profondément religieuse, elle exige leur présence à la messe, le dimanche, dans la petite chapelle de la propriété.

Une rivale amenée par son fils a su trouver sa place dans l’immense demeure et a provoqué quelques bouleversements à l’ordre établi.

L’épidémie de choléra, déclarée , à l’origine, dans la région de Valencia, les épargne grâce à l’application des gestes barrières et aussi grâce à la vaccination. Un incendie gigantesque ravage l’oliveraie voisine. Après avoir participé activement à éteindre le feu, Miguel de Almanzar recueille la petite Olivia Alvarez devenue orpheline. Juan junior et Olivia s’aiment mais Don Miguel s’oppose à leur mariage. Ils décident donc de partir...

 

Juan junior et Olivia, la jeune métisse, ont quitté la propriété familiale des Almanzar. Le fils a acheté la complicité d’une de ses connaissances de Bárriana et, munis de peu de bagages, ils se sont glissés hors de la propriété. La décision avait été mûrement réfléchie, ils attendaient seulement que l’occasion se présente. Avant son départ pour Madrid, le père, Miguel de Almanzar, avait pourtant confié à son fils, la direction de l’exploitation dans une passation de pouvoirs solennelle.

 

À Valencia, Juan et Olivia ont pris deux billets aller pour le train de Madrid et ils sont descendus à Aranjuez. Juan avait une adresse, celle d’un ancien copain du petit séminaire de Valencia qui travaillait maintenant pour le journal local. Ses articles traduisaient son appartenance à la gauche républicaine, avec çà et là, une pointe de communisme. Esteve Tome, tel était son nom, les a accueillis chaleureusement et leur a indiqué une auberge aux prix modérés, au cœur de la vieille ville.

Leur chambre était plus que modeste et le manque de chauffage paralysait complètement Olivia : nous sommes encore en hiver, en ce début de mois de mars 1903. Mais, le plus important était que Juan trouve du travail. Le jeune homme a assez d’argent pour assurer leur sécurité pendant, peut-être, un mois, si tout se passe bien.

 

Le couple parcourait les rues de la ville et ouvrait grand leurs yeux, à la recherche d’une affiche, d’un indice qui pourrait correspondre à leur recherche d’emploi. Esteve passait les voir, le soir, à l’auberge ; et, un soir, il était plus enjoué que d’habitude car il brandissait un journal avec une annonce intéressante : on recherchait des jardiniers expérimentés pour entretenir la roseraie du « jardin du Prince », au cœur du vaste éden de la ville.

Son grand-père, Juan senior, avait planté des rosiers sous les endroits les plus ombragés du patio de la grande demeure et, très tôt, il avait su intéresser son petit-fils à leur entretien. Dès l’adolescence, l’« abuelo » (le grand-père) lui avait confié le sécateur , si bien que le petit-fils avait pris rapidement la relève sous la surveillance de l’ancien.

Juan de Almanzar senior aimait ses roses et leur parlait avec amour. Elles avaient reçu les prénoms des dames et demoiselles de la famille. La rose velours, d’un rouge qui tire sur le violet, avait pris le nom de « Luciana » ; mais, attention à ses nombreuses épines !

 

 

 

La rose Luciana

 

La rose Isabella, d’un rouge éclatant, dégageait un parfum puissant que l’on pouvait humer sans avoir besoin de se pencher sur ses pétales.

La rose blanche, la rose immaculée, la rose Maria, était destinée à la Vierge Marie. Chaque semaine, elle ornait en généreux bouquets, l’autel de la petite chapelle, dédié à la mère de Jésus.

 

Pour sa petite-fille, Maria-Isabella, il avait choisi une rose, rose pâle, d’une beauté délicate et pour Olivia, la jeune métisse, il avait voulu une rose de plusieurs tons.

 

 

 

 

La rose Olivia

 

Il avait planté d’autres rosiers, très beaux, dont il n’avait pas avoué le nom et, parmi eux, il devait y avoir la rose Paquita, du nom de la mère de son fils naturel Pedro, mais là était son secret.

 

Juan de Almanzar s’est présenté au bureau d’embauche pour faire suite à l’annonce du journal local. Il s’est trouvé face à un jury de spécialistes et il a été pris à l’essai pour un salaire très modeste. La pertinence des réponses données aux questions posées a étonné les jardiniers qu’il avait en face de lui ; mais, plus encore, il a suscité la curiosité de ces messieurs car il était venu en habit puisqu’il n’avait pas fait suivre ses tenues de travail.

L’argent dont Juan disposait, s’envolait à une vitesse folle. La chambre de l’auberge, les repas, l’achat des habits de travail, toutes ces dépenses étaient une nouveauté pour eux et, pour la première fois, ils mesuraient la valeur de l’argent. Il fallait tenir jusqu’à la première paie.

 

Il comprit qu’il ne s’en sortirait pas sans aide, alors il prit la décision suivante, celle d’écrire à son contact de Bárriana. Le complice devait remettre une lettre au grand-père présent sur le marché. À la vue de cette supplique envoyée par la chair de sa chair, l’« abuelo » faillit fondre en larmes. Le lendemain, il trouva un prétexte pour revenir au village et ayant pris contact avec le copain fidèle à son petit-fils, il lui remit une somme importante ponctionnée dans le « bas de laine » qu’il avait tenu à avoir à portée de main en cas d’imprévu. Le jeune de Bárriana devait remettre l’argent en main propre et, pour cela, le voyage Valencia-Aranjuez lui était offert.

 

Le grand-père était fier de la confiance qu’il inspirait à son petit-fils, à tel point qu’il n’arrivait pas à cacher sa joie et son envie de chantonner, toute la journée, était difficile à maîtriser. Il ne fallait pas qu’à partir de son comportement, il soit pressé de questions par son fils et sa belle-fille. Juan junior avait cru bon de dire qu’il s’agissait d’un emprunt et que l’aïeul serait remboursé à la majorité d’Olivia qui disposerait, alors, de la vente du domaine de ses parents.

 

À la vue d’une somme pareille, Olivia et son mari tremblaient de reconnaissance en pensant au grand-père. Ils n’étaient plus seuls et ce soutien allait les aider à envisager la vie autrement. Olivia vendait des petits napperons qu’elle avait confectionnés au crochet, une marotte que sa nounou lui avait communiquée dès son plus jeune âge. Elle les vendait à la sortie de la messe et cette situation désespérait son mari, le nouveau jardinier. Avant la réception de la somme envoyée par le grand-père, elle n’avait plus de quoi acheter le fil.

 

Une nouvelle vie allait commencer pour eux. Ils allaient pouvoir faire face aux dépenses courantes avec la paie de Juan, définitivement embauché en qualité de jardinier ; et, pour améliorer leur confort, ils puiseraient dans la réserve du grand-père. Primo, il devait trouver un vrai domicile.

Améliorer leur confort ! Juan, devenu ouvrier, comprenait de plus en plus la vie de ces pauvres malheureux issus du peuple et il se surprenait d’être en accord sur de nombreux points avec le journaliste Esteve Tomé. En quittant l’orangeraie et la maison familiale où, certes, le travail faisait partie de la vie quotidienne, ils avaient fait un grand saut dans le vide, dans un monde inconnu. Il faut maintenant que les fugitifs fassent appel à leur maigre relation pour trouver un logement salubre. Une fois de plus, c’est l’ami journaliste qui a trouvé la petite merveille. Une grande pièce unique, suffisamment éclairée, avec un poêle à bois et un évier en pierre. On accédait à leur domicile grâce à une lourde porte en bois, cloutée de toute part et qui faisait penser à une porte de château fort. L’ensemble venait juste d’être badigeonné au lait de chaux, seule une fenêtre avait besoin d’être changée. Ils ont trouvé des meubles d’occasion qui, astiqués et restaurés, ont constitué les premières pierres de leur petit patrimoine. Toujours au cœur de la vieille ville, le nid d’amour de Juan et d’Olivia se trouvait à deux pas du « jardin du Prince ».

 

C’est dans cette nouvelle et rassurante demeure que l’enfant de l’amour a été conçu. Depuis plusieurs mois, ils avaient fait du chemin et avec de la patience et du travail, ils étaient fiers de leurs conditions de vie d’aujourd’hui. Certes, ils n’oubliaient pas leur magicien de grand-père qui n’avait pas hésité à les aider ; d’ailleurs, ils ne tarderaient pas à lui rendre son prêt puisque Olivia approchait de sa majorité. Pour cela, il fallait se rendre chez le notaire de Bárriana, détenteur de l’héritage des Alvarez.

 

 

Françoise Maraval

 

 

 

 

 

arbre généalogique Saga La rose de l\\\'Alhambra

 

 



08/02/2024
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