Terre de l'homme

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Étienne Lacombe, un écologiste, bien avant l'heure. Hommage aux enseignants des écoles post-scolaires agricoles.

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Etienne Lacombe

 

 

Un peu de l'histoire familiale de Robert Lacombe*, le doyen masculin d'une riche -en nombre- génération de cousins. Deux cousines plus âgées en 1914 et en 1916 avaient ouvert le lignage des Fabre du Coustalet. Il naquit le 23 mai 1918 au Coustalet, à Sagelat. Les Lacombe, alors, habitaient à Pagot, leur demeure familiale de Loubéjac. Pour la toute petite histoire, un jour, au début des années 70, alors qu'il cherchait à se ressourcer dans ces collines loubéjacoises, nous rencontrons un pur autochtone qui ne le connaissait point et, quand il se présenta à lui, spontanément, s'exclama "Lacomba de Cassanhaud" soit Lacombe de Cassagnaou.

 

Nous n'avons point pensé à demander à ce personnage que pouvait bien désigner Cassagnaou. Était-ce un surnom, peu probable, le nom d'un ancêtre ou, plus vraisemblablement, le nom d'un lieudit qui traîne dans son étymologie le "casse" soit le chêne. Robert a bien regretté d'avoir oublié de questionner ce brave interlocuteur.

 

Firmin -dit André- Lacombe et Jeanne -dite Adrienne- Fabre, en 1946

 

Eugène Lacombe et  son épouse, Jeanne Fabre, en 1946.

 

Robert a passé son enfance à Sauveterre-la-Lémance où ses parents étaient aubergistes.  Son père Eugène Lacombe** qui était appelé André en famille,  le soir, abandonnait l'auberge familiale pour aller conquérir les cinéphiles. Il alternait entre Villefranche, Belvès, Siorac, Monpazier, Le Buisson et, naturellement, Sauveterre. Il avait commencé avec des films muets. Pour les séances de Belvès, son beau-frère, qui était facteur, tenait la caisse. Son épouse, Adrienne***, qui, à l'état-civil, s'appelait Jeanne, restait à la taverne qui, le soir, était quasi-déserte. La maîtresse des lieux préparait les ingrédients du lendemain. À midi, la clientèle ouvrière remplissait l'auberge et une belle-sœur venait l'assister.  

Quand Robert atteignit l'âge d'accéder à la classe de sixième, il alterna entre le domicile de Sauveterre et Belvès où il venait d'entrer à l'École primaire supérieure, site scolaire qui, plus tard, prit le nom de collège et de lycée. Il avait donc un pied-à-terre chez la tante Berthe qui, elle, officiellement, s'appelait Marthe. Elle était gouvernante de la maison de Robert Deladrière****, un notaire parisien, qui recevait ses relations à Belvès au 17 de la rue Foncastel.

Robert Deladrière,  républicain convaincu, un agnostique notoire, fut, en 1904, l'adversaire d'André Déjean de Fonroque qui, lui, ne pêchait pas par un républicanisme ardent et s'imposa comme l'édile conservateur incontournable jusqu'en 1942.

Robert s'adaptait fort bien à cette vie compliquée qui l'amenait à suivre son père pour les séances nocturnes de cinéma et à découvrir Belvès, le soir, en oubliant de dire à sa, à notre, tante qu'il parcourait les rues pour apercevoir quelque jeunesse.

 

Premier et unique normalien de sa génération.

Quand vint l'âge de tenter l'admission à l'École normale, Robert échoua d'un cheveu. Comment a-t-il fait pour se retrouver normalien à Rouen... cela relève du mystère. Dans la famille, il était admis que la Seine inférieure, devenue Seine-maritime en 1955, avait ouvert ses portes à des candidats non retenus.

Robert devint donc instituteur dans le Pays de Caux, par simplicité on disait à Fécamp. Parmi ses premiers élèves, il eut les enfants de pêcheurs de l'École primaire du port de cette commune côtière.  Au début, avant sa prise de fonction fécampoise, il intervint dans plusieurs villages de la périphérie de ce gros bourg. Personne n'a su garder le listage de ces éphémères pérégrinations.

Robert, strictement agnostique comme il se doit, naturellement anticonformiste, apporta, souvent avec humour, une note nouvelle très affirmée dans la famille. Sur ce rameau l'idéal de la Libre Pensée faisait école et les valeurs jauressiennes étaient l'évidence même. Là on n'était pas peu fiers d'avoir emboîté le pas du Front populaire et salué les avancées acquises sous la houlette de Léon Blum.

 

 

Mariage Robert et Henriette

 

Clairac 1946. Le mariage civil d'Henriette et de Robert.

 

Après la Libération, Robert noua une idylle avec Henriette, une fille unique de maraîchers bien implantés à Clairac. Henriette Lebe naquit à Clairac le 28/11/1921, elle décéda dans la même localité le 19/9/2003.

 Les Lebe qui leur vie durant ont été de de grands militants laïques, soutenant toutes les manifestations en lien avec l'école et malgré le travail pénible de leurs champs, ils ne refusaient jamais d'aller donner un coup de main quand il y avait une fête des écoles, faire des corbeilles entières de merveilles, participer au maximum pour que cette école puisse fonctionner le mieux possible,  instruire et inclure tout le monde. Ils étaient contents que leur fille ait épousé un instituteur.  Lorsque Michèle est entrée à l'École Normale, ils en ont été très fiers. 

L'écart entre le Pays de Caux devint une équation à résoudre. 

 

L'oncle André, qui était pratiquement un petit notable assez satisfait de sa réussite commerciale, temporisait dans ce tumulte. Adrienne savait que son jeune frère, mon père, pouvait éventuellement, chez nos voisins immédiats, croiser Yvon Delbos, alors ministre de l'Éducation nationale. Elle lui demanda de lui en toucher deux mots pour savoir si son fils, isolé en Normandie, pouvait voir le soleil dans les hautes terres de Gascogne. Mon père détestait ce "commerce" et si, accidentellement, il pouvait apercevoir le ministre, c'était avec son ami et voisin pour des parties de chasse mais, certainement pas, pour quémander une faveur. Les règles de l'Éducation nationale sont, par ailleurs, sérieusement diligentées par les instances qui n'ont pas pour habitude d'ouvrir des passe-droits.

 

Robert

 

Henriette Leve

 

 

 

Le pays fraîchement libéré, les jeunes époux, qui avaient une sainte horreur du régime de Vichy, se plaisaient à se recueillir sur les lieux de mémoire du Débarquement.

 

Toutrès

 

Le moulin à vent de Toutrès

 

Que s'est-il passé, nulle trace écrite ne nous éclairera mais Robert quitta le Pays de Caux et vint piquer sa tente à Toutrès, un tout petit village du Marmandais proche de Tombebeuf. Ce village, avec son décor de moulin à vent, aurait pu servir de scène cinématographique. Après Toutrès, ce fut un passage à Saint Geyrand puis, au gré des vœux, Clairac.  Là, le ménage, qui avait pour aînée Michèle, prit de la consistance  avec Yves, Michel et enfin Yvette. Là, le parcours devint compliqué et le couple se défit.

Robert et Henriette se séparèrent, certes le plus calmement possible. Robert resta enseignant comme il se doit.

Robert prit l'école agricole de Port Sainte Marie, il remplaça X. Capdevielle, où il restera jusqu'à sa retraite prise au cours des années 70.

Robert décéda le 4 juillet 1986 au Baladier, commune de Clermont-Dessous.

 

 

Par commodité, les prénoms usuels ont relevé les prénoms de l'état civil.

* Étienne Lacombe, en privé et dans son entourage, était appelé Robert.

** Son père Eugène Lacombe était connu  comme étant André Lacombe.

*** Sa mère Jeanne Fabre, elle, pour ses proches et ses connaissances, était Adrienne. 

 

**** Robert Deladrière fut un personnage qui, par son charisme et ses convictions progressistes, marqua la famille. D'une enfance "pauvre", il garda, sa vie durant, le respect dû aux humbles. Son épouse fortunée, "bigote à l'envi", avait apporté, par sa dot, la trésorerie nécessaire à l'acquisition de l'étude de rue de Vaugirard. La tante Berthe entra dans cette maison à 12 ans pour ne jamais la quitter. Le notaire précipita, un peu, l'union de Berthe et de Georges, voyant en ce jeune et hardi facteur, le jardinier qui allait entretenir l'immense jardin. 

 

 

 

Où se situent les fonts baptismaux de l'enseignement postscolaire agricole. Vaste débat.

 

À partir de 1918, certains enseignants ruraux, au-delà de leur mission de pédagogue de l'enseignement primaire, sont chargés, en dehors des heures de classe, de dispenser une véritable formation professionnelle, moyennant une rémunération supplémentaire, et sous la double tutelle des ministères de l'Éducation nationale et de l'Agriculture. Il y avait déjà eu des premiers chantiers plus ou moins connus. Dans l'Yonne, les autorités départementales ont encouragé, depuis 1865, les instituteurs chargés de l'enseignement agricole et horticole.

Le régime de Vichy, lui-même, pourtant hostile aux instituteurs publics, et favorable à l'enseignement confessionnel, qu'il subventionne, renforce le rôle de l'enseignement postscolaire agricole et donc des instituteurs ruraux. La loi du 5 juillet 1941 définit cet enseignement comme le premier degré de l'enseignement agricole, celle du 12 juin 1943 le rend " obligatoire pour les garçons et filles âgés de moins de dix-sept ans, qui ne poursuivent pas d'autres études, et dont les parents exercent une profession agricole ".

À l'époque, on voulait maîtriser l'exode rural et donner un minimum de connaissances aux jeunes ruraux.

 

L'enseignement postscolaire agricole, qu'il s'agisse des formateurs masculins ou de leurs collègues féminines, fut, presque, un laboratoire d'autodidactie.  

Combien sont passés, avant de donner leur premier cours, dans un  lieu formateur universitaire comme l'école d'agriculture de Grignon, ou le centre ménager de Montlignon pour les institutrices.

Leurs élèves obtenaient le certificat postscolaire agricole souvent complété d'un brevet professionnel. Ces jeunes étaient destinés pour la majorité, à devenir exploitants agricoles, ou à prendre un métier ayant pour socle la ruralité, employé de coopérative, contrôleurs laitiers, V.R.P, etc. On en trouva qui sont devenus régisseurs de grandes propriétés ou de vignobles.

 

Lire l'excellent mémoire d'Anne-Marie Lelorrain. Service d'histoire de l'éducation.

http://ife.ens-lyon.fr/publications/edition-electronique/histoire-education/INRP_RH065_3.pdf

 

Le premier et - peut-être - l'unique reproche que tant d'années après, on puisse faire à cet enseignement postscolaire, est d'avoir séparé les jeunes gens des jeunes filles. Tant de maîtrise commune à l'initiation professionnelle aurait trouvé une itinérance positive. A-t'on besoin de séparer les aptitudes féminines et masculines pour apprendre à gérer une grange, à équilibrer un budget, à consulter les documents cadastraux, ou à s'approcher d'un rucher et tant d'autres choses.

 

Dans un cours postscolaire, on apprenait le calcul de rations alimentaires du bétail, comment organiser une stabulation libre, la manipulation des amendements, les règles de l'assolement, la greffe et la taille des arbres, de la vigne. On apprenait aussi l'hygiène d'une soue, la tenue d'un cahier d'exploitation, prémices de comptabilité analytique, comment bien doser un ciment, entretenir les parcelles boisées, gérer la problématique de l'eau, etc. On apprenait aussi à écrire une lettre pour s'inquiéter de l'avancée d'un dossier, solliciter un partenariat. On pouvait apprendre tout simplement  à téléphoner avec des mots clés pesés avant d'être en relation avec une autorité… eh oui, en 1960, beaucoup de ruraux n'avaient jamais eu un entretien téléphonique avec un interlocuteur susceptible de prendre pour eux, une décision importante.

 

 

Ec postscol

 

 

Le Collège Delmas de Grammont a pris place sur le socle de l'École post-scolaire agricole.

 

 

Bien des années après, je vois sur le marché un vendeur de fruits et légumes qui, plus d'un demi-siècle après, me confia "Oui j'ai été l'élève d'Étienne Lacombe et ma réussite sociale et professionnelle, je la lui dois". Quel message émouvant d'un producteur, de surcroit de qualité, qui a réussi là où bien d'autres ont connu tant et tant de difficultés.

   

 

Pierre Fabre



23/09/2021
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