Terre de l'homme

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La magie de la lumière : impressions rétiniennes

      

 

 

Capture d’écran 2022-06-25 à 15

 

                                                      La montagne Sainte Victoire

 

 

Ecoutons la chanson dont les paroles s’égrènent et s’enchaînent, un poème dont les vers se moulent et épousent la musique balancée, regardons la beauté du paysage que la rétine de l’artiste a scruté, détaillé, remodelant ses formes, ses couleurs, son éclat, sa luminosité, celles d’un paysage qui  vibre sous la lumière implacable d’un soleil généreux,  des ombres qui rapetissent ou s’allongent, l’œuvre apparaît sous le crayon et le pinceau, chef-d’œuvre recommencé d’un bloc rocheux impressionnant qui domine la plaine, qui barre l’horizon d’est en ouest, longue protubérance blanche dont les traits purs se détachent sur l’azur du ciel, du matin au soir et dont la lumière changeante met en scène la beauté des formes.

Ici ou là, à l’ombre d’un grand pin ou de quelques chênes verts rabougris, perdu dans cette végétation pierreuse, assis sur son siège, l’œil scrutateur observe dans  « le silence des grillons, les ombres subtiles, le silence sur la colline, ces parfums qu’on devine, c’est l’odeur de saison, l’homme, sous son chapeau de paille, des taches plein sa blouse, sa barbe en bataille, éclaire le monde pour nos yeux qui ne voient rien et croise avec ses yeux le temps d’un éclair le regard des dieux, doucement son pinceau glisse sur la toile et laisse s’accomplir le prodige de ses mains. »  (France Gall « Cézanne peint »)

 

 

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Il connaît tous les chemins alentours qu’il a parcourus avec son grand et inséparable ami Emile Zola, le maître de Médan, qu’il a connu à l’école Saint-Joseph d’Aix en Provence et dont le père François Zola, ingénieur de travaux publics, était chargé de la réalisation d’un système d’amenée d’eau, depuis la Sainte-Victoire jusqu’à la cité provençale et de la construction du barrage Zola. Accompagnés de leur copain Baille, du haut de leurs douze ans, les trois inséparables parcourent tous les chemins de la campagne aixoise et de cette imposante falaise qu’ils ont gravie à maintes reprises, tous les petits sentiers rocailleux menant au Pic des Mouches à 1011 m d’altitude, à la croix de Provence et de là-haut, surplombant la vaste étendue qui s’étale jusqu’à la Méditerranée, jusqu’aux Alpes... affrontant, parfois, ce mistral impitoyable et glacial, « le diable » disait Mme de Sévigné qui se gelait dans le magnifique château de sa fille, Mme de Grignan, pas très loin vers le Nord.

Dans la ville, écrasée de chaleur, que nous venions d’arpenter, voilà que nous montions, maintenant, cette ruelle, autrefois chemin vicinal blanc et pierreux à l’écart des premières maisons citadines, sous un soleil qui ne nous ménageait pas : la fatigue et la soif nous faisaient rêver d’un banc accueillant, bien à l’ombre pour nous désaltérer. Certes, nous aurions pu utiliser le bus ou garer la voiture dans quelque parking voisin, mais nous voulions refaire ce parcours que le peintre faisait à pied, matin, midi et soir, depuis le centre-ville, depuis le cours Mirabeau, jusqu’à cet atelier où il peignait, ne ménageant pas sa peine quand le temps ou la lumière étaient propices pour examiner ce relief tortueux et tourmenté de la Sainte-Victoire.

 

 

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                                                          L'atelier de Cézanne

 

 Tous les matins, pendant 4 ans, de 1902 à 1906, il fera le parcours quel que soit le temps, quittant son logement aixois, gravissant le chemin de la colline des Lauves : se levant tôt, travaillant de six heures à dix heures et demie, revenant prendre son repas à Aix, repartant aussitôt, ne revenant qu’à 5 ou 6 heures du soir. Si la chaleur est accablante, il fait monter son repas ou deux s’il est avec un ami, ce qui se produira en 1904 où le peintre Emile Bernard passera un certain temps dans sa demeure.

 

 

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L’atelier, acquis le 16/11/1908, se présente comme une bâtisse d’époque, entourée de 7 000 m2 de terrain agricole, couvert d’oliviers et de figuiers, bordé par le canal du Verdon, en bordure de la route, aujourd’hui, prolongement de la ville. Tout autour des arbres, on pénètre et on se retrouve dans une vaste salle meublée d’objets et d’articles hétéroclites ayant appartenu au maître des lieux. Ce qui saute aux yeux, en premier, c’est une vaste verrière qui occupe le mur côté nord car il estimait que la violence de la lumière au sud ne permettait pas de bien saisir l’authenticité des couleurs et des formes. Peignant dans cet enclos, il mélangeait les couleurs sur sa palette, recherchant l’effet le plus naturel possible.

 

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Des quantités de tubes de peinture à huile, des pinceaux, des palettes, chevalets, flacons de solvants sur les étagères, ainsi il recomposait les couleurs que sa mémoire rétinienne extrêmement aiguë avait retenues et, à travers la verrière, se rendait compte de l’authenticité recherchée. Outre ce bric-à-brac, le manteau, le chapeau melon, le parapluie, une chemise, encore sur le même valet, destinés à être remplacés par des fac-similés, commodes, chaises, cafetières, pots, réchaud à alcool ; la présence du peintre se devine à travers tous ces objets lui ayant appartenu.   

 

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                                            Cézanne et Les grandes baigneuses

 

C’est, ici, qu’il peignit un de ses tableaux les plus célèbres « Les Grandes Baigneuses », huile sur toile, achevé en 1906, conservé au Museum of Art de Philadelphie. Pour cela, il fit venir de jeunes femmes qu’il rémunérait et s’inspirant de sa propre imagination et de la végétation qu’il voyait à travers la grande verrière, composa un tableau aux dimensions hors normes. À environ 1 km, se situe le sommet de la colline des Lauves. L’endroit était isolé, plat par rapport au relief tourmenté alentour, seul face à la Sainte-Victoire, il la peignit 17 fois à l’aquarelle et 11 fois à l’huile.

 

 

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                                                             Le barrage Zola

 

 Cet atelier, le peintre le décrivait ainsi à un ami : « Au sommet d’une côte, une maison neuve présentait sa façade surmontée d’un fronton grec. Voilà mon atelier ; là personne n’entre que moi ; mais puisque vous êtes un ami, nous irons ensemble. »

Et son ami Emile Bernard d’ajouter : « Il ouvrit un portail en bois. Nous pénétrâmes dans un jardin dont la pente allait se perdre dans un ruisseau ; il poudroyait d’oliviers, au fond quelques sapins. Sous une grosse pierre, il prit une clef et ouvrit la maison neuve et silencieuse, que le soleil semblait cuire. A droite, sitôt dans le corridor, une pièce était béante, un paravent fort ancien m’y attira : j’ai joué bien souvent dans ce paravent avec Zola. Tenez, nous avons même gâté les fleurs. »

Inventeur du cubisme, personnalité secrète, assez solitaire, un peu taciturne, Picasso se référait à ce maître de la peinture, ne cessant de le louer, maître de la peinture moderne, « le père de nous tous », disait-il. Le 15 octobre 1906, alors qu’il peint le cabanon de Jourdan à quelques centaines de mètres au nord de l’atelier, Cézanne est surpris par un gros orage et reste exposé à la pluie, pendant plusieurs heures. Ramené sur une charrette de blanchisseur, porté dans son lit, il repart le lendemain de bonne heure pour son atelier dont il reviendra mourant, des suites d’une pneumonie a frigore.

 

 

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                                                          Le barrage Zola

 

L’atelier restera à l’abandon, longtemps. Le célèbre félibre provençal Marcel Joaunnon le rachète en 1921. A sa mort, l’atelier était en voie de liquidation convoité par de voraces promoteurs mus par l’appétit du gain. Grâce à des mécènes américains, James Lord et John Rewald, scandalisés par l’indifférence générale et, notamment, celle des autorités culturelles qui se désintéressaient de l’affaire, ils réunirent des dons (américains) afin de sauver la propriété et l’atelier du peintre que nous venions de visiter avec émotion.

         

 

Jacques Lannaud



26/06/2022
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