Terre de l'homme

Terre de l'homme

Une langue, un territoire, les vestiges d’un riche passé

 

    

Capture d’écran 2022-05-26 à 08

 

 

Dans un récent article, le majoral du Félibrige, Jean-Claude Dugros, nous fait souvenir de cette lointaine et regrettée civilisation occitane raffinée, disparue, et de cette langue chantante et rocailleuse parlée dans tout le Sud, cousine germaine de ses voisines catalane et espagnole, qui plonge ses racines dans ce latin de Cicéron et de Virgile, lui aussi, aujourd’hui, presque ignoré sinon des amateurs et de quelques spécialistes qui se battent bec et ongles ou se sont battus comme Jacqueline de Romilly  pour qu’il survive dans notre enseignement secondaire et universitaire.

Civilisation que l’on retrouve « dans la poésie des troubadours, le raffinement de la fin ’Amor, la magnifique floraison de l’art roman et ce modèle d’Etat aux contours de modernité », une civilisation en avance par ses lettres, son humanisme, son art de vivre, tranchant avec la rudesse et les mœurs plutôt viriles ou agressives de ces territoires plus au Nord bataillant entre eux pour gagner quelques lopins de terre.

 

 

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                                                                          Dante Alighieri

 

Civilisation qui aurait pu flirter avec sa voisine d’au-delà des Alpes, cette Italie où la figure de Dante Alighieri commençait à porter haut la littérature italienne et qui allait atteindre des sommets avec la sculpture, l’art pictural qui s’épanouiront avec le fameux Quattrocento.

Langue occitane qu’élevaient fièrement dans les airs, les chants, récitatifs et poésies qui fleurissaient dans les cours d’Amor, récités par des troubadours, chantés par des musiciens et dansés aux sons de vielles, des pipeaux et flutiaux.

Il y a bien longtemps, dans le déambulatoire d’un célèbre cloître, tout d’un coup, des chants aux tonalités allant de l’aigu aux graves les plus profonds, se firent entendre, se répercutant sous les voûtes ogivales et les colonnes aux chapiteaux ornés de figurines entrelacées dans de délicats feuillages. Dans un tel lieu, on aurait pu s’attendre à tomber sur quelques moines portant la « coule » ou « la cuculle » aux manches amples et la tête encapuchonnée, rompant le silence en entonnant des litanies toujours recommencées.

Et, voilà qu’une chorale de jeunes du pays répétant devant un parterre d’admirateurs, des chants anciens en langue occitane, s’égosillaient concluant leur prestation par ce fameux Se Canto et respectueux des traditions, interprétaient, comme l’indique notre ami P.B.F, leurs chants debout, ainsi que les troubadours à la fin d’un repas festif ou lors d’une grande cousinade.  

 Peut-être faisaient partie de leur répertoire, quelques poèmes de ces troubadours des cours d’Amor des XIIe et XIIIe siècles, des complaintes et cantilènes dont les accents variés de l’occitan heurtaient ces vieilles voûtes aux pierres ensoleillées, évoquant ces sentiers pierreux qui serpentent dans les collines à la végétation méditerranéenne rabougrie, nous menant vers quelque château en ruines : Lastours, Termes, Puylaurens, Montségur, Puivert, le village de Minerve, Peyrepertuse, sous un soleil de plomb.

Oui, je me souviens de ces demeures seigneuriales du pays occitan ayant résisté tant bien que mal aux ravages du temps et à une de ces fières ruines qui dressait haut, dans ce XIIe siècle, le reflet de cette civilisation occitane raffinée.

 

 

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                                                                             Puivert

 

Puivert se situe au milieu de ce Languedoc courtois, tout le contraire de ces nids d’aigle destinés aux garnisons militaires et aux affrontements guerriers. Sur un petit monticule, il était bordé par un lac, aujourd’hui, disparu, un endroit où se déroulaient cours d’amour, fêtes et tournois, sur cette route qui relie Foix à Perpignan à la limite de l’Ariège et de l’Aude. Le fréquentaient les vicomtesses de Narbonne qui y passaient l’été et les troubadours nombreux qui y venaient, pour louer son charme quasi méditerranéen. Là, au « PUY-VERD », des assemblées aux flambeaux avaient lieu fréquemment, on y récitait nouvelles et fabliaux tout en jouant et en riant. Pierre D’Auvergne, philosophe et théologien, dit Pierre de Cros, ami d’Ermengarde de Narbonne, y créa un de ses poèmes à l’occasion d’une cour d’amour autour de 1150.

Blasons sculptés au-dessus des portes, salles voûtées du donjon, sculptures représentant des prophètes, des musiciens, les restes de splendides fenêtres d’où le regard embrassait prés, champs et ce lac scintillant au soleil où se reflétaient les Pyrénées.

La Tour carrée de l’entrée principale donnant sur la cour d’honneur, la Tour bossue à cheval sur la muraille nord, la Tour Gailharde, le Donjon, la Poterne, les sculptures de la clé de voûte de la salle du premier étage du Donjon représentant Dieu le père  couronnant la Vierge, les culs de lampe avec divers personnages : tête de femme, un souffleur de cornemuse, un tambourinaire, un joueur de vielle, un joueur de psaltérion, un luthiste, un joueur de harpe, un autre joueur de vielle, un joueur de cithare et, tout en haut d’un escalier menant à une plate-forme, on pouvait communiquer par signaux avec Montségur et Albedun.

 Havre de paix et de poésie, on pouvait imaginer un intérieur fait de tapisseries fastueuses, d’armoires, de coffres sculptés et cloutés, de lits très hauts couverts de fourrures, d’une vaste salle à manger éclairée le soir par des flambeaux, des lampes à huile, des bougies dégageant des parfums subtils, où se déroulaient des festins fastueux, de hautes cheminées où crépitait un feu nourri, de douces musiques de vielles, cithares, violes et tambourins et chants d’amour des troubadours....

Par les fenêtres ouvragées, pénétraient les chauds rayons d’un soleil du midi faisant des taches de lumière sur des tapis d’Asie Mineure rapportés des Croisades.

On aurait pu s’imaginer être dans une sorte de jardin d’Eden et bien loin des querelles qui allaient envenimer cette contrée paisible et pacifique.

On peut faire des suppositions : le roi de France qui bataillait tant et plus avec son vassal Plantagenêt, a-t-il vu là un possible retournement de situation contre lui ? Déjà, le pape avait pris les devants, s’imaginant un véritable schisme en train de se concrétiser avec ces Parfaits qui prenaient le dessus, contestaient son autorité, remettaient en cause la foi catholique et dénonçaient, à juste titre, la corruption de l’église et les impôts excessifs qu’ils imposaient au petit peuple.

 

 

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                                                                 Bataille de Muret

 

L’échec de Muret, certes, est un coup d’arrêt à une civilisation qui aurait pu se répandre bien au-delà du pays occitan et gagner ces terres de l’Ile de France où se construisaient ces œuvres d’art que sont les grandes cathédrales gothiques.

Mais, tout n’est pas perdu, la langue occitane est, encore, là et peut-être, une matière scolaire enseignée dans les écoles : un enrichissement pour les jeunes esprits. Si le latin pouvait suivre le même chemin comme le grec ancien, ce serait aussi une belle réussite. A l’exemple de cette passionnée de la langue de Platon, d’Aristote, de Pythagore, d’Archimède que je rappelais ci-dessus, un parolier célèbre du nom de Jean-Loup Dabadie a disparu récemment, académicien français, il était agrégé de latin-grec. Après Muret, c’est l’église qui s’acharne sur le pays occitan avec cette redoutable Inquisition menée par l’évêque de Pamiers, Jacques Fournier, que nous relate le célèbre historien Emmanuel Leroy Ladurie dans son livre toujours passionnant « Montaillou, village occitan. »

           

Jacques Lannaud

 



30/05/2022
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