Terre de l'homme

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Le passage des Alpes par l’armée d’Hannibal (fin de l’année 218 av. J. C.)

 

 

 

Capture d’écran 2021-11-21 à 18

 

                                                          Hannibal franchissant les Alpes

 

  « De la Durance, par la plaine, Hannibal gagna les Alpes avec la bienveillance des Gaulois de la contrée. Bien que la renommée qui, ordinairement, exagère les objets inconnus, eût d’avance prévenu les esprits  lorsqu’ils aperçurent les montagnes impressionnantes toutes proches, les neiges qui se confondaient avec le ciel, les bicoques installées sur des aplombs de rocher, le bétail et les troupeaux paralysés de froid, des individus d’aspect rustre et grossier, des êtres immobiles enraidis par le gel, une frayeur terrible se lisait dans leurs yeux que traduisaient leurs paroles et levant les yeux, ils virent les montagnards assis sur les hauteurs qui, s’ils avaient eu l’idée de se dissimuler dans des creux et de surgir subitement, auraient déclenché une fuite éperdue et un massacre. »

Ainsi, commence le récit de l’historien latin Tite-Live, à propos du franchissement des Alpes par l’armée carthaginoise d’Hannibal au cours de la IIe guerre Punique.

La première, entre -264 et -241 s’était soldée par une défaite de Carthage obligée de rentrer sur ses bases et la perte d’une grande partie de la Sicile et de la flotte. Les troupes s’étaient repliées en désordre tout en poursuivant les combats. Hamilcar était revenu déçu et en colère et transmettra le flambeau à son jeune fils auquel il fit jurer de venger Carthage et d’anéantir Rome. Certes, Rome ne paraissait pas invincible ; plus d’un siècle auparavant, les Gaulois Senones avaient défait les Romains sur les bords de l’Allia, petit affluent du Tibre et s’étaient emparés de la capitale du Latium.

 

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                                                                             Hannibal

 

Devenu général en chef à 26 ans, comprenant qu’il ne pouvait se lancer à l’assaut de l’Italie avec une flotte affaiblie, Hannibal résolut de s’y rendre par voie terrestre malgré les difficultés que représentait ce long parcours, plein d’embûches, de fatigue et d’imprévus, depuis la côte ibérique à partir de Carthagène.

A la tête d’une armée puissante de 90 000 hommes, dit-on, 12 000 cavaliers, dont la fidèle et redoutable cavalerie numide, il laisse 20 000 hommes à son frère Hasdrubal en Ibérie et entreprend, dès le mois de mai, cette longue marche, le long de la côte Est du « Levante » franchissant le fleuve Ebre, limite de l’extension carthaginoise négociée, auparavant, avec les Romains. Nous sommes en juin -218. Cette armée qui s’ébranle, a un côté hétéroclite et bigarré qui frappera les peuples des régions traversées mais, surtout, elle marquera les esprits à cause de son contingent de 37 éléphants, animaux inconnus, sinon par ouï-dire, dont Hannibal avait l’intention de faire sa force de frappe, surmontés de cette sorte de cage en osier, le howdah ou palanquin avec des soldats armés de lances ou arbalètes et le cornac chargé de conduire l’animal. Habillés de larges tissus, larges pantalons, portant poignards à la ceinture et glaives courbes, ces hommes semblaient redoutables.

Les premières difficultés se présentent rapidement. Pendant deux mois, l’armée va se battre entre le fleuve et la chaîne pyrénéenne, contre des tribus de la région : il perd 22 000 hommes, laissant 10 000 autres pour garantir les passages.

C’est un obstacle important franchi, car les chemins sont étroits ou, en tout cas, peu préparés à une telle foule de gens en déplacement, mal empierrés, parfois simples pistes de terre ; chariots, chevaux de trait, mules, transportent un matériel pesant, indispensable et les différentes sections de l’armée ne peuvent suivre au même rythme.    

 

    

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                   Hannibal et ses armées traversant les Alpes par W Turner (1812)

                                       

Les fantassins sont agiles et rapides, la cavalerie de même, mais les 37 éléphants plus lents demandent un traitement particulier, une alimentation abondante, beaucoup d’eau et ne peuvent que ralentir la progression de cette longue colonne.

La future via Augusta viendra plus tard, rejoindre la via Domitia au col de Panissars près du Perthus et se prolongera vers Narbonne, Béziers, Nîmes et plus loin, encore, jusqu’au Rhône. Dans ces conditions, Hannibal est, quasiment, forcé à négocier le passage de ses soldats avec différentes tribus gauloises disposées le long du parcours.

 

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                                                     Hannibal traversant le Rhône

 

 

Arrivé au Rhône, fin août 218, il décide de remonter la rive droite du fleuve car son franchissement l’exposerait au consul Publius Cornelius Scipion qui l’attend, l’arme au poing, que doit rejoindre le consul Tiberius Sempronius Longus à la tête de deux légions.

Le chef punique n’a pas l’intention de croiser le fer à cet endroit. Il veut envahir l’Italie, se livrer au saccage des terres riches et cultivées de la plaine du Pô, saccager et brûler les villages, massacrer les habitants et défier Rome.

A la tête de cette armée qui utilise des langues inconnues, vêtue de façon étrange et de tissus enturbannés autour de la tête, cette colonne d’animaux impressionnante et de soldats ne peut qu’éveiller la méfiance des populations traversées.

Le premier contact avec ces montagnards à l’aspect rustre, dont parle Tite-Live, n’est pas accommodant. Si les éclaireurs gaulois d’Hannibal semblent comprendre leurs langues, Hannibal ne s’y fie pas d’autant qu’on l’avertit que des défilés étroits se présentent, gardés par les autochtones. Il donne ordre d’installer le camp dans un espace plat assez grand, entouré de grands escarpements plutôt que de forcer le passage. Les montagnards gardent des passes étroites, se sont installés sur les hauteurs ; mais, la nuit arrivant, ils quittent leurs postes pour regagner leurs foyers. Le chef punique en profite et occupe les pics, fait passer sa cavalerie et une grande partie des fantassins. Mais, il ne peut éviter l’affrontement : confusion, désordre, tintamarre, l’écho se répercute sur les parois montagneuses, affolant les chevaux dont certains dévalent les ravins et causent des dégâts humains.

« Les barbares étaient en embuscade de tous côtés, débouchaient devant eux ou à l’arrière, attaquant de loin ou de près, faisant rouler des grosses pierres et rochers. Pressés sur leur arrière, les fantassins leur font face et sans la queue de l’arrière-garde s’étant portée à leur secours, ils auraient subi une défaite désastreuse. »

Dans ces endroits resserrés, les éléphants jouèrent un rôle important car, vu leur masse impressionnante, les ennemis hésitaient à s’approcher. Au 9e jour, fut atteinte la crête des Alpes, à la suite d’errements dûs à des guides douteux. Puis, dans une sorte d’abri pour soldats, on accorda un repos de deux jours. On était en septembre et les premières neiges firent leur apparition.

Hannibal profita de ce moment et s’approchant d’un promontoire rocheux dominant l’Italie et la plaine du Pô, il s’exprima : « Beaucoup d’obstacles sont encore à surmonter dans ces étendues que l’on voit et dans cette plaine du Pô autour des villes fortifiées mais, nous prendrons la grande ville Rome, nous la tiendrons entre nos mains en notre pouvoir. » Ils étaient arrivés à cet escarpement très raide, rocailleux, glissant, que l’armée allait devoir descendre jusqu’au piémont italien particulièrement abrupt, difficile et dangereux.

« Les cavaliers s’arrêtèrent, ne pouvant aller plus loin et firent un contournement prolongé. Les hommes et les bêtes marchaient sur un sol glacé, enneigé qui se transformait en un gâchis boueux, s’aidaient des mains et des genoux, s’accrochaient aux branches des arbres ou arbustes, s’écroulaient, chutaient. Un camp fût dressé sur une hauteur car le passage était obstrué par un énorme rocher. On abattit de grands arbres, ébranchés et coupés en tas puis on y mit le feu profitant d’un vent favorable. Les roches furent, auparavant, arrosées par du vinaigre et se calcinèrent se désagrégeant, détruites à coup de masses de fer. L’épisode dura quatre jours et des bêtes furent sacrifiées pour se nourrir. Mais, en dessous, les riches vallées, les terres cultivées, les collines exposées au chaud soleil, les cours d’eau s’étalaient. Les animaux furent lâchés dans les pâtures. Maintenant, se présentaient un endroit agréable et des gens d’un naturel accueillant. »

Nous sommes à mi-septembre et, enfin, Hannibal a atteint son objectif mais avec une armée diminuée de presque de moitié et il ne reste que peu d’éléphants.

Les consuls qui avaient rebroussé chemin, ne sont pas loin et l’attendent. L’armée punique remporte un premier succès à la bataille du Tessin, dans la plaine du Pô, puis celle de la Trébie où les Romains perdent 20 000 hommes et 4 000 cavaliers.

 

 

 
 

 

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                                                       Vieux pont sur la Trébie

 

 

 

                                                La Trébie (18/12/218)

                                 L’aube d’un jour sinistre a blanchi les hauteurs

                                 Le camp s’éveille. En bas gronde et roule le fleuve

                                Où l’escadron léger des Numides s’abreuve.

                                Partout sonne l’appel clair des buccinateurs.

                                Car, malgré Scipion, les augures menteurs,

                                La Trebbia débordée, et qu’il vente ou qu’il pleuve,

                                Sempronius consul, fier de sa gloire neuve,

                                A fait lever la hache et marcher les licteurs.

                                 Rougissant le ciel noir de flamboiements lugubres,

                                A l’horizon, brûlaient les villages Insubres ;

                                On entendait au loin barrir un éléphant.

                                Et, là-bas, sous le pont, adossé contre une arche

                                Hannibal écoutait, pensif et triomphant,

                                Le piétinement sourd des légions en marche.

                                                                      

                                                                          José Maria de Heredia

 

Cette traversée de la chaîne alpine par une armée aussi nombreuse, la mémoire des peintres et des historiens s’y est longtemps penchée et, encore, aujourd’hui, on s’interroge sur le parcours emprunté par le Carthaginois : le Mont Genèvre ou le Col de la Traversette près du Mont Viso qui aurait la préférence actuelle des spécialistes de la question.

Tite-Live termine ainsi :

       « In hanc demicationem duorum opulentissimorum in terris populorum omnes reges gentesque animos intenderant. »

     Cette lutte des deux cités les plus riches du monde concentrait l’attention de tous les rois et de tous les peuples.

                            

 

Jacques Lannaud

 

 

 

 

 

 

 

 

      

 



26/11/2021
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