Mais où sont les neiges d’antan ?
Georges Brassens
Georges Brassens résonne toujours dans nos oreilles. Aux notes de la guitare et de la contrebasse, la cantilène du poème de François Villon se languit du temps passé et des nobles dames disparues : Flora, la belle Romaine, Thaïs, Heloïs, la reine blanche comme un lys, Berthe au grand pied, Bietris, Allys, et Jehanne, la bonne Lorraine... on les fredonne, encore, ces chansons du Sétois aux yeux pétillants, à l’abondante moustache, gravées dans nos mémoires.
Il nous transporte au temps de ces nobles dames qui illustrèrent leur époque, réunissant autour d’elles, troubadours, musiciens, conteurs, poètes, dans le secret de salons aux murs parés de grandes tapisseries, au sol dallé couvert de tapis aux vives couleurs rapportés d’Orient par quelque chevalier revenu des croisades «... troubadours des cours d’Amour des XIIe et XIIIe siècles, des complaintes et cantilènes dont les accents variés de l’occitan heurtaient de vieilles voûtes aux pierres ensoleillées, évoquant ces sentiers pierreux qui serpentent dans les collines à la végétation méditerranéenne rabougrie... »( cf art. juin 2022, Une langue, un territoire, les vestiges d'un riche passé...)
Au château cathare de Puivert, dans ce Midi occitan, se déroulaient « des assemblées aux flambeaux...où on y récitait nouvelles et fabliaux...
Le poète aux 400 coups du Quartier Latin, bambocheur, chapardeur voire bagarreur, accusé de s’en être pris à un prêtre et de l’avoir tué, gardait-il quelque nostalgie des belles dames aux magnifiques parures, un peu recluses dans leurs « cloîtres intimes » et dorés, s’essayant à quelques tentatives poétiques ou littéraires, badinant et riant, écoutant violes, tambourins et chants, s’adonnant à des danses légères tandis que le seigneur était parti à la guerre avec l’Ost Royal ?
À l’époque, la passion allait plutôt aux armes, aux combats, aux duels, aux tournois, véritable apanage de ces futurs chevaliers concourant pour la beauté de quelque noble vierge et voulant s’illustrer aux côtés du roi.
François Villon
Les troubadours, venus souvent d’Italie, contaient des historiettes, chantaient le temps qui passe, les prouesses guerrières et s’exerçaient aux joutes de l’esprit, de la poésie et à de discrets et premiers parcours de séduction, toutes premières cartes du Tendre car l’amour va s’introduire dans notre culture, ce qui la distingue de toutes les cultures du monde. (Georges Duby.) »
On attribue au « comte de Poitiers », autrement dit à Guillaume IX d’Aquitaine, les plus anciennes et plus belles chansons d’amour. Abélard, théologien et philosophe, chantait l’amour d’Héloïse et ses Lettres à Héloïse sont un exemple de l’amour courtois qui se développera dans le Midi de la France, dans ce pays occitan, donnant essor à la civilisation du bel esprit, à un art de vivre.
Des litiges naîtront de ce nouvel état d’esprit plus orienté vers les distractions et les loisirs que vers la contemplation du Seigneur, mêlant jeux de l’amour et du hasard incarnés par de jeunes chevaliers cherchant à séduire la maîtresse des lieux qui s’y prêtait, tout en cultivant, habilement, le secret en raison des règles religieuses et féodales, prudence et dissimulation, se jouant du cœur et de l’âme de ces jeunes « courtisans », jeu troublant et douloureux appelé joi.
En maîtresse des lieux, elle exerçait ses talents d’éducatrice, responsable de la demeure en l’absence du seigneur, et des bonnes manières à observer ; médiatrice, elle intercédait en leur faveur auprès du seigneur, séductrice par sa grâce et ses parures, elle attirait les regards.
Symbole de l’éclat et du prestige de la cour, elle symbolisait la rivalité et le prestige que ces seigneurs cultivaient entre eux et auprès de ces fringants chevaliers, souvent victimes de l’autorité familiale qui les sacrifiait au profit de l’aîné afin d’éviter le morcellement des patrimoines.
Le jeu de la cortezia était un moyen de tenter d’obtenir les faveurs de la dame, jeu risqué pouvant se retourner à l’avantage du maître qui en tirait les ficelles, trouvant là l’occasion de raffermir son autorité.
On dit que le roi Arthur, le jour de Pentecôte, donnait un banquet pour la fête du Printemps et de la chevalerie ; et, à cette occasion, il demandait à sa femme, à la fin du banquet, de monter sur la table et de se dévêtir, un strip-tease avant l’heure, complicité probable d’un jeu complexe qui permettait au roi d’accroître sa tutelle sur la vassalité des chevaliers sensés le servir.
Héloïse et Abélard
Où est la très sage Helloïs/ Pour qui chastré fut et puis moyne/ Pierre Esbaillard a Saint-Denis/ Pour son amour ot ceste essoyne. (Où est la très savante Héloïse, Pour qui fut émasculé puis se fit moine, Pierre Abélard à Saint-Denis) : Abélard (1079-1142), philosophe, théologien scolastique, abbé de Rhuys, il se fait moine à Saint-Denis en 1119. Il fonde en 1131, la première abbaye féminine, le Paraclet pour des femmes savantes. Compositeur de chansons pour goliards, les clercs itinérants, chansons à boire ou poèmes satiriques, parfois, d’amour, plutôt critiques de l’Eglise, des abus financiers, de l’échec des Croisades ; il prend, en 1108, le poste d’écolâtre de l’école cathédrale du Cloître de Paris, tombe amoureux d’Héloïse, son élève, dotée d’une grande culture, deviennent amants. La grossesse d’Héloïse est source de polémiques, Abélard consent au mariage mais la réforme grégorienne ne tolère plus le mariage des prêtres et des chanoines. Abélard est arrêté et émasculé en août 1117.
Semblablement, où est la royne/ Qui commanda que Buridan/ Fust gecté en ung sac en Saine ?
Nous voici dans Les Rois Maudits et dans la tragédie de l’infidélité des brus de Philippe le Bel : la légende veut qu’une reine de France aurait fait jeter ses amants dans la Seine, ligotés dans un sac, dont Jean Buridan, professeur, repêché par ses élèves. La reine en question serait Marguerite de Bourgogne, une des brus du roi de France.
Princes, n’enquerez de sepmaine/ Ou elles sont, ne de cest an, /Qu’a ce refrain ne vous remaine/ Mais où sont les neiges d’antan ? (Prince, gardez-vous de demander, cette semaine/ Ou cette année, où elles sont, / De crainte qu’on ne vous rappelle ce refrain:/ Mais où sont les neiges d’antan ?)
L’amour courtois, le fin ‘Amor, est né dans les cours médiévales du XIIe et XIIIe siècles : c’est grâce à ces nobles dames, aux troubadours, que s’impose la civilisation des arts et une littérature basée sur le français face au latin dominant et à la langue romane issue du latin vulgaire.
Ordonnance de Villers-Cotterêts
Le poème de Villon de 1458-59 est écrit dans ce vieux français d’époque. En 1539, François Ier imposera le français à la place du latin dans tous les textes juridiques et administratifs par l’Ordonnance de Villers-Cotterêts.
Bel hommage rendu par notre troubadour du XXe siècle à l’un des fondateurs de la poésie française.
Jacques Lannaud
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