Mieux vaut en rire qu'en pleurer
La chute du président Deschanel était-elle un dramatique fait divers ou un amusement de chansonnier.
Le chef mécanicien Louis-Théophile Seveau et son aide mécanicien devant une locomotive semblable à celle du train présidentiel
(photo archives familiales de Jacques Lannaud)
Les évènements du quotidien sont, en général, la nourriture habituelle des médias que dévorent, chaque jour, bon nombre de nos concitoyens tirant des conclusions, parfois, hâtives, sur des sujets de société, politiques, financiers, taxes, impôts ; tout y passe sans oublier les critiques traditionnelles de nos dirigeants, de leurs comportements erratiques, de leur vision trop lointaine et technocratique, de leur manque de discernement ou d’anticipation, réflexions souvent de bon sens.
J’en veux pour preuve, l’actuelle inquiétude bien entretenue au sujet de la " sobriété " que l’on doit observer en matière d’énergie, facteur d’inquiétude pour beaucoup de nos compatriotes. N’ayant pas toujours bien mesuré les stratégies à long terme indispensables au maintien d’une nation développée comme la nôtre, par exemple le programme de constructions de centrales nucléaires décidé en 1973 ayant pour but de doter le pays d’une énergie propre à un coût raisonnable ; nos dirigeants se retrouvent, aujourd’hui, dans des situations qu’on aurait pu mieux gérer avec anticipation.
Chacun s’aperçoit que l’inflation galope, les prix de l’énergie s’envolent, la productivité électrique a chuté, inférieure aux années précédentes, faute d’entretien et de tergiversations, alors que nous avons un des parcs nucléaires les plus réputés au monde, nous voilà, maintenant, dans l’obligation de faire appel à l’étranger, tout le contraire des années antérieures. Patatras !!
Consolons-nous, les évènements du quotidien font, souvent, les gorges chaudes de nos compatriotes, discussions, polémiques du café du commerce, inquiétudes, bonne humeur et, parfois, hilarité générale pour des faits qui font les choux gras d’humoristes ou chansonniers ....
L’escapade du général de Gaulle, en mai 1968, dont on ne savait au juste ce qu’il était advenu, laissant la France comme orpheline pendant une longue attente, fut une réelle surprise. Que fallait-il en penser, était-ce réellement possible ? On ne pouvait imaginer ce qui pouvait arriver. Finalement, on le retrouvera à Baden-Baden, on connaît la suite.
Autre fait divers bien antérieur qui a fait la une des journaux de l’époque, les témoins ont tous disparu, aujourd’hui. La Grande Guerre venait de se terminer, le traité de Versailles avait été signé le 28 juin 1919, la France tenait sa vengeance, l’Alsace et la Lorraine étaient, de nouveau, françaises, l’Allemagne condamnée sur les lieux-mêmes où avait été proclamé l’Empire allemand en 1871, à savoir dans la grande Galerie des Glaces du château de Versailles. On pouvait s’estimer satisfaits mais le pays sortait de l’épreuve, exsangue, des millions de morts sur les champs de bataille, des blessés mutilés à vie physiquement ou psychiquement, des familles brisées, tout un pays à refaire, à relancer au plus vite.
Le président Paul Deschanel
Dans cette ambiance plutôt morose, au cours du mois de mai 1920, où renaît la vie printanière, où la nature, les fleurs des champs, boutons d’or, coquelicots, arbres fruitiers éclatent, où les arbres revêtent leur parure printanière d’un vert tendre et, dans les prés, les vaches paissent tranquillement ; voilà qu’à Paris, en grande pompe, le 20 mai, à la gare de Lyon, le président de la République, Paul Deschanel, fraîchement élu du 17 janvier, monte dans le train présidentiel tout décoré de drapeaux, pour se rendre à Montbrison entre Clermont-Ferrand et Lyon, aux fins d’inaugurer un monument, wagon spécialement aménagé. Légèrement grippé, il quitte vers 21h45, le salon, pour rejoindre une petite chambre où règne une chaleur étouffante. Malgré cela, il demande qu’on n’ouvre pas la fenêtre à guillotine et se glisse dans le lit. Ayant avalé un somnifère, il demande qu’on ne le dérange pas avant 7h du matin. Mais, la chaleur est intense et il a du mal à s’endormir. Il ouvre un des deux panneaux de la fenêtre, les deux étant coulissants. L’un d’eux s’ouvre vers le bas pour permettre de se pencher au dehors, afin de serrer la main d’élus ou faire des signes à la foule lors des arrêts ; il tente d’ouvrir le panneau supérieur qui résiste et remonte brutalement vers le haut. Sans appui, le président bascule par la fenêtre grande ouverte. Le train roule lentement ; à cet endroit, le ballast remplacé par un tapis de gazon amortit la chute et le président, bien que légèrement blessé et sonné, se relève en pyjama, marche, titubant un peu, le long de la voie alors que le train s’éloigne, le laissant seul dans la nuit. Il aperçoit au loin une lumière puis un homme qui s’approche, un cheminot rentrant d’un chantier qui, interloqué, lui dit : " Qui êtes-vous, que faites-vous là ? " et lui répond : " Je suis tombé du train, je suis blessé, je suis le président de la République, Paul Deschanel ".
Difficile d’avaler une telle réponse, en pleine nuit, de la part d’un homme en pyjama isolé et qui semble perdu. Il l’amène, cependant, au garde-barrière le plus proche, lui rapportant les faits et ajoutant que l’homme prétend être le président Deschanel. Le garde-barrière reste lui aussi interloqué mais il sait que le train présidentiel passait par là. Finalement, on le fait s’allonger dans la chambre de la maisonnette, après l’avoir nettoyée, on prévient le médecin puis la gare de Montargis à une vingtaine de kms ; et, enfin, vers cinq heures du matin, le sous-préfet est informé par télégramme " qu’un homme se prétendant le président de la République, est tombé du train, retenu à tel passage à niveau ".
Branle-bas de combat ! Comment y croire ? Difficile de s’imaginer qu’un individu en pyjama, retrouvé dans ces conditions, puisse être le président Deschanel, plutôt un vagabond, un fugueur de quelque hospice voisin. Cependant, le train poursuit son chemin comme si de rien n’était. On croit le président profondément endormi, le train s’arrête à Saint-Germain des Fossés vers 5h du matin et un agent se précipite vers l’inspecteur de service, lui remettant une dépêche ainsi rédigée : " Individu se disant P. Deschanel dit être tombé du train présidentiel. " L’inspection ne donne rien, d’autant que l’on n’a pas vérifié le wagon présidentiel, en raison des consignes formelles de tranquillité. Le train repart mais l’alerte se précise et le valet et le secrétaire particulier frappent à la porte de la chambre puis, sans réponse, ouvrent, le lit est vide, la fenêtre ouverte.
Finalement, c’est le président du conseil, Alexandre Millerand, accompagné de l’épouse du président qui viennent le chercher pour le ramener à Paris.
Une terrible campagne de presse et de dérision s’ensuit, qui finit par entamer le moral du président et le 21 septembre, il se déclare incapable de poursuivre sa charge et démissionne.
Le train présidentiel était conduit par le chef-mécanicien Louis Théophile Serveau, grand-père de mon épouse, et qui, a posteriori, racontait cette aventure rocambolesque à la famille et tous ses amis.
Mais, croyez-vous que ce genre de fait divers s’arrête là : non, souvenez-vous d’un accident de voiture, place de la Concorde, d’un président regagnant l’Élysée, au petit matin et celui de cet autre, photographié avec un casque intégral sur la tête pour ne pas être reconnu mais piégé par des journalistes fureteurs.
Vous me direz, cela vaut mieux que ces présidents qui vivent reclus, en cercle fermé, entourés de gens louches, à l’abri de murs infranchissables, devenus des dictateurs impitoyables et peu fréquentables.
Jacques Lannaud
Le Monument aux morts de Montbrizon. Les Montbrizonnais ont attendu en vain le premier personnage de l'état pour son inauguration.
Crédit photo : Thérèse Gaigé - Sous licence Creative Commons
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Demain : Carpe diem
Après-demain. Il fallait bien du courage à Sylvie, dans la fraîcheur vive de décembre, pour aborder la thématique du moustique tigre.
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