Mon horizon s’élargit : enfin la ville, Addis-Abeba "La Nouvelle Fleur".
ADDIS-ABEBA
Suite d'une installation dans un pays aspirant à sa propre identité
Centre ville Addis Abeba
De la ville, nous n’apercevions que peu de choses car l’enceinte de l’Alliance Française était clôturée et les eucalyptus qui entouraient cet espace, nous protégeaient comme si nous nous trouvions dans la clairière d’une immense forêt. Le chemin d’accès n’était pas comparable à la célèbre Via Appia des Romains parfaitement empierrée ou dallée, où passaient à pleine vitesse des chars tirés par des chevaux, mais à un chemin forestier assez accidenté, caillouteux avec des ornières, raviné par les pluies à la saison humide et qu’empruntaient des riverains ou autres marchands pieds nus, des chameaux chargés de paquets divers, des bourricots aux grandes oreilles et aux yeux tristes, des femmes avec leur jarre sur la tête au port droit et fier ou des individus d’apparence plus ou moins louche. Mais, ce territoire de l’Alliance était sous la surveillance de gardiens, au niveau de l’entrée, veillant sur tout le pourtour de l’enceinte.
Maintenant, je commençais à m’habituer à cette vie nouvelle si différente de l’ancienne et, parfois, l’envie me prenait de sortir de cet endroit clos où j’étais seul, pour faire connaissance de l’environnement. J’entendais des bruits, des discussions, des rires, des enfants qui couraient, le muezzin pas très loin qui lançait son appel à la prière et j’étais là écoutant cette vie bruissante que je tentais d’imaginer.
Enfin, au bout de longues semaines, mes nouveaux amis éthiopiens me proposèrent de les accompagner pour découvrir la ville. Ce n’était pas pour autant gagné car il fallait que j’obtienne l’autorisation et que mes parents fassent confiance à ces jeunes. Cela débuta par une petite promenade alentour de ¾ d’heure puis, finalement, un bel après-midi, on m’accorda pas moins de deux heures pour aller en ville avec mes amis, avec la consigne de se retrouver en un point précis.
Alors, par des chemins plus ou moins larges, bordés d’eucalyptus immenses répandant leur odeur bénéfique à notre souffle, je croisais de curieuses habitations assemblées dans des genres de clairières, les toucoules. Rondes, les unes délimitant une circonférence de bonne taille, elles sont construites de murs en pisé, terre argileuse mélangée à de la paille et de petits cailloux, appliquée à une solide armature en bois, le tout recouvert d’un toit de chaume, une porte d’entrée étroite, une ou deux minuscules fenêtres, sol en terre parfois recouvert de fins branchages et de tissus un peu épais.
un exemple de toucoule
« Tu veux entrer, c’est chez moi » me dit un de mes copains. Sa mère est là et m’accueille avec un sourire discret et timide. « Ici, c’est pour recevoir et manger ; à côté, l’espace est réservé aux chambres et ce petit local, c’est la cuisine. » C’était impeccablement tenu et on m’offre une boisson brune légère et pétillante qualifiée de « bière ».
C’est, alors, qu’il me dit : « Ma mère a préparé notre plat national : le watt et l’ingera et elle voudrait que tu y goûtes. » L’odeur en est agréable, une sorte de ragoût avec du poulet découpé, mijoté avec un mélange de plantes aromatiques, auquel est ajouté le piment rouge pilé « berbéri" et des œufs durs. L’ingéra est une crêpe de doura, de couleur plutôt grise, assez épaisse sur sa face interne percée de nombreux trous comme le gruyère . Il me montre comment faire : je prends un morceau de cette crêpe que je trempe dans cette sauce avec un morceau de poulet. Le goût est sublime mais, aussitôt, j’ai la bouche et la gorge en feu. Il faut manger de l’œuf pour atténuer le feu et boire de l’eau non pas du robinet car elle n’est pas potable mais d’un gros récipient car elle est stérilisée. Puis, pour bien apaiser la réaction, on me fait avaler une sorte de gelée à malaxer et, enfin, je ne ressens presque plus rien.
« Parfait, ma mère est très contente, beaucoup de gens extérieurs hésitent et repartent sans y avoir goûté. »
Le marché
On repart au bout d’un moment et on débouche sur une rue assez étroite et goudronnée qui grimpe. Là, toute une foule bariolée monte et descend portant des charges de toutes sortes, des valises pleines de bricoles, des sacs, des tissus enroulés, des cageots de fruits, de légumes, de bouteilles, un bric-à-brac invraisemblable. Les uns courent dans la foule, bousculant ou criant ou s’adressant à des interlocuteurs ou à des commerçants dans leur boutique sachant que de chaque côté, sur les bordures en terre aplanie, on se livre à tout un tas de petits commerces en plein air, un véritable mercato, où l’on trouve les produits les plus variés en légumes, fruits exotiques, ustensiles, verres, assiettes, sacs, corbeilles tissées, paniers en osier aux couleurs du drapeau national rouge, jaune et vert …Un marabout accroupi, saint homme musulman, discute avec des adeptes qui l’entourent, son espace réservé est un lieu de prières et il a planté le drapeau au Nord pour indiquer la direction de la Mecque. Puis, voilà que passe le cortège d’un notable quelconque sur une mule, pantalon blanc serré, cape noire sur les épaules, sabre recourbé au côté, suivi de porte-fusils et de domestiques. Il se protège du soleil avec un parapluie qui rappelle un parasol blanc et tient un chasse-mouche fait de la crinière d’un cheval. Très digne, c’est à peine s’il regarde autour de lui. Et, mon copain d’ajouter « ce sont des espèces de nobles très méprisants ». Sur une sorte de placette, attendent, patiemment, en plein soleil, un groupe d’ânes et quelques chameaux.
Eglise de la Trinité
Finalement, nous parvenons au sommet de la rue : là, je découvre une avenue conduisant au centre-ville.
Fini les « toucoules », fini la forêt, fini la foule, ce sont, maintenant, des constructions en pierre ou en béton que j’aperçois, des commerces, des banques et, l’ancien palais de Menelik II, l’église carrée de la Trinité et, surtout, le Guébi, résidence où siège l’empereur Haïlé Sélassié.
J’ai à peine le temps d’apercevoir les cinémas : à l’affiche, deux films français : "Les Enfants du Paradis" et "Le Fantôme de l’Opéra" et voilà que mes parents sont là en train de nous attendre et nous enmènent nous désaltérer.
Jacques Lannaud
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