De belles gens. Suite n° 18. Saga de Françoise Maraval
DE BELLES GENS
Épisode n° 18
Achille
Résumé de l’épisode précédent :
A Saint-Cyprien, village du Périgord noir, Jean Maraval se repent du mal qu’il a fait à sa fille en voulant la garder près de lui. Marie Borde, la grand-mère, est décédée et Emma a perdu l’enfant qu’elle attendait. Achille et Yvonne sont les parents d’une petite Marie-Jeanne, née le 20 août 1916. Fonfon va devenir mécanicien automobile.
Sur le front, les batailles de Verdun et de la Somme font rage. Achille Marchive est blessé.
1917 ? est-ce la fin de la guerre ? On veut y croire : assez de morts, assez de blessés, assez de disparus, assez de prisonniers.
Au pied de Montmartre, Yvonne attend son mari. Il a annoncé une permission de huit jours, en ce début janvier 1917, pour convalescence, suite logique de sa blessure au bras droit. Elle regarde leur bébé Marie-Jeanne paisiblement endormie dans son berceau. Comme convenu, Achille arrive en gare de Saint-Cyprien. Il n’a pas pu annoncer l’heure de son train, il ne connaissait ni les horaires, ni les correspondances, mais enfin le voilà.
Sur l’unique chemin qui mène vers la ville haute, il est ovationné d’abord par les jardiniers qui s’occupent dans leur jardin malgré la trêve hivernale puis par les passants. On se demande qui il est ?
- « Ah oui ! c’est le frère de l’Angèle Lamaurelle, il est arrivé au pays avec sa jeune épouse, peu de temps avant le début de la guerre. »
Depuis hier, Yvonne surveille l’entrée de la cour et enfin il est là. Il a bien meilleure mine que la dernière fois, certainement à cause de ces deux derniers mois passés à l’hôpital de Saint-Nazaire dans le nord. Il est reposé et souriant. Que ses baisers sont bons ! Que sa douce étreinte est réconfortante ! Yvonne l’entraîne dans la grande cuisine où toute la famille est réunie, en cette fin de journée d’hiver. Les petites, Henriette et Jeanne, font leurs devoirs en bout de table, Michau est assis sur le plancher et joue avec ses soldats de plomb, la mère d’Henri dort dans son fauteuil à bascule, Anastasie et Angèle sont au fourneau. Achille cherche le bébé. Il est là, dans son berceau, un peu en retrait, dans la pénombre. A son approche, l’enfant se met à gigoter. Qui est ce curieux qui est maintenant si près ? Elle rit, pousse de petits cris, elle veut que l’on s’intéresse à elle ; ses petites jambes s’agitent sous la couverture, ses petits bras semblent dire « viens, je suis là ».
Achille n’a pas pris le temps de se débarrasser de son barda. De grosses larmes sont arrivées au coin de ses yeux. Il est en admiration, en contemplation devant la merveille des merveilles. Elle est sa chair, sa propre chair, le fruit de leur amour. Il voudrait la prendre dans ses bras, mais il faut attendre qu’il se soit changé.
Alors, il demande à Yvonne de l’emmener plus près de la lumière pour qu’il puisse mieux la voir. Qu'elle est belle ! quelle beauté ! Elle multiplie les risettes, elle est heureuse. La petite installée dans ses bras,Yvonne déboutonne alors son corsage et fait apparaître un
sein splendide gorgé de lait. Le bébé intrigué par l’odeur de sa mère qui, soudain, s’est intensifiée, trouve tout de suite le mamelon et alors, avec gloutonnerie, le lait maternel est dégusté.
Dieu... merci pour ce spectacle magnifique ! Il faudrait faire appel à un des maîtres du clair-obscur, tant cette scène magnifique bénéficie de l’éclairage idéal pour un tel tableau. Tous les regards émerveillés convergent vers le festin de la demoiselle.
Lorsque l’enfant paraît,
le cercle de famille
applaudit à grands cris.
Son doux regard qui brille
fait briller tous les yeux,
et les plus tristes fronts, les plus souillés peut-être,
se dérident soudain à voir l’enfant paraître
innocent et joyeux.
………...
Victor Hugo
Encore une tétée et Marie-Jeanne pourra être installée dans son berceau pour la nuit. Maintenant, elle fait toutes ses nuits pour le plus grand bonheur d’Yvonne.
Débarrassé de sa tenue militaire, Achille se met à humer le repas du soir, un repas frugal, mais réconfortant, accompagné d’une bouteille de Bergerac. Les narines de l’homme sont à la fête et son estomac commence à réclamer. Demain, les cuisinières amélioreront l’ordinaire et tout est prévu pour revigorer le cher poilu . Notre soldat demande des nouvelles de son beau-frère, Henri. Angèle, d’habitude peu loquace, se confie un peu plus et annonce qu’il est passé dans la territoriale, sur le front est, dans le secteur de Verdun ; il travaille pour la réfection de routes rendues impraticables par les bombardements. Il dit qu’il va bien et espère une prochaine permission. Il est pourtant venu peu de temps avant Noël : ses trois enfants lui donnent droit à des permissions rapprochées.
Une fois les enfants couchés, Achille parle de sa vie sur le front et des horreurs qu’ils subissent quotidiennement.
- Après de longues semaines d’attente dans les tranchées, traqués comme des bêtes, les vêtements trempés, infestés par les poux, nous devons enfin sortir pour combattre sous l’odeur âcre et suffocante des explosifs. Il faut avancer dans la boue, sous le sifflement des balles, il faut se déployer en tirailleur, il faut riposter, défendre sa peau, ne pas s’occuper du copain qui vient de tomber. J’ai souvent aperçu les pointes des casques allemands. Il faut tirer, tirer et tirer, il faut en descendre un maximum puisque nos adversaires ne nous font pas de cadeaux ; c’est la loi du plus fort.
Quand le clairon de la retraite a sonné, il faut revenir au point de départ sur un trajet parsemé de cadavres, de blessés, de morceaux de chair dispersés ici et là. Nos yeux gardent longtemps l’empreinte des éclairs fulgurants sortis des feux de l’artillerie ennemie et de la nôtre. Vision apocalyptique ! Même les paupières fermées, l’éblouissement persiste des heures et des heures. Le bruit assourdissant nous suit : le sifflement des balles, le tonnerre des obus, les cris de douleurs de nos hommes atteints dans leur chair. On peut aussi entendre le dernier soupir avant la mort.
Achille a fini le vin du pays et les prunes à l’eau-de-vie qui lui ont été servies, lui ont un peu trop délié la parole. Il s’arrête, il en a assez dit. Pourtant, il revoit le long convoi du Train automobile avec les camions sanitaires pour des blessés comme lui et les nombreuses ambulances d’où s’échappent des plaintes, des cris de désespoir, des supplications : un Train de souffrance qui va rejoindre un hôpital où les médecins, infirmiers, infirmières et bénévoles sont déjà débordés et ne savent plus où donner de la tête. Où est l’urgence !!! partout, partout.
Notre homme, notre Achille, a été bien soigné. Malgré les cris incessants de douleurs et de lamentations qui ont résonné et dont le bruit s’est propagé d’écho en écho, renvoyé sur les murs de l’hôpital, pour être dispersé dans l’espace, comme si on était dans une cathédrale à l’acoustique impeccable ; malgré cela, notre soldat , tellement fatigué, a pu dormir et récupérer. On a aussi réussi à le débarrasser des poux qui le ravageaient, chaque jour un peu plus.
Yvonne, le bébé et Achille ont passé la nuit dans leur petit appartement du carreyrou montmartrois, une nuit paisible comme il en existe encore dans le monde civilisé. Quand Yvonne s’est levée pour la première tétée, Achille n’a rien entendu, il dormait profondément. Elle a alors reposé l’enfant dans son berceau, qui, enivrée par le lait maternel, s’est replongée dans un charmant sommeil. La bonne épouse a repris sa place dans le lit et a attendu patiemment le réveil de son héros, pour lui offrir tout son amour…
Achille a passé la première journée près du berceau à contempler Marie-Jeanne, d’ailleurs devenue Henriette puis Yette. La petite marraine, Henriette, souhaitait donner à sa filleule, son propre prénom. La supplique a été prononcée avec tellement d’adresse et de diplomatie que les jeunes époux ont accepté de bon cœur.
Fini le repos, il faut se rendre utile. Achille a remarqué que la réserve de bois était trop juste pour arriver jusqu’aux beaux jours. Il est descendu au village commander du bois et s’est avancé, route du Bugue, chez Arthur Maraval, le roulier, pour en demander une livraison rapide. C'est une femme qui l’a reçu. Elle en a compris l’urgence et son registre de livraisons déployé, elle a bouleversé l’ordre établi : ils seront livrés demain en fin de matinée. Achille a voulu payer tout de suite et s’est
confondu en remerciements. Emma a compris qu’elle avait devant elle un soldat en permission et lui a confié, autour d’une tasse de café, que son mari était ambulancier et qu’il multipliait les allers-retours entre le front et Limoges, pour rapatrier les grands blessés jusqu’à l’hôpital de la région.
Achille a ainsi pu tester la guérison de son bras droit. Le bois rangé sous son abri, réchauffe déjà les cœurs et les corps. Il a préparé du petit bois d’avance pour les deux logements grâce à des bûches bien sèches : ainsi le feu pourra démarrer rapidement.
Ce début janvier a offert des après-midi ensoleillées. Ils en ont profité, tous les trois, pour faire de belles promenades. Notre soldat a dû penser au départ mais il est reparti le cœur gonflé de bonheur. Ses yeux garderont toujours l’empreinte du tableau de l’allaitement sur lequel ses êtres les plus chers sont représentés. Le 11 janvier 1917, il est rentré au dépôt.*
Le 14 février, notre poilu « est passé à la 27ème compagnie et du 20 février au 2 mars, il a suivi un stage de bombardier et a obtenu la mention « apte ». »
Le 19 mars, « il est passé à la 4ème coloniale qui se dirigera sur Toulon pour être embarquée vers le front d’Orient. »
Le 3 avril 1917, Achille Marchive est débarqué à Salonique.
* C’est le livret militaire de mon grand-père Achille qui me précise ses différentes positions. Bien que soldat de 2ème classe, il avait donc un livret militaire, alors que mon autre grand-père Arthur et mes grands-oncles avaient seulement une fiche matricule.
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