De belles gens. Suite n° 19. Saga de Françoise Maraval
DE BELLES GENS
Épisode 19
1917. Henri prisonnier
Pendant ce temps, la guerre continue. Pourtant, le 30 janvier, le nouvel empereur d’Autriche-Hongrie, Charles 1er, petit-neveu de l’empereur François-Joseph 1er, tente un rapprochement avec la France en vue de l’ouverture de négociations pour une paix séparée. Le 13 février, par l’intermédiaire du comte Erdödy, Charles 1er annonce au prince Sixte de Bourbon-Parme qu’il accepte que l’Alsace-Lorraine soit restituée à la France, la Belgique restaurée dans son intégrité territoriale et que Constantinople soit donnée à la Russie mais il refuse toute reconnaissance de la Serbie.
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Charles 1er de Habsbourg-Lorraine (1887-1922),
dernier empereur d’Autriche et roi de Hongrie
Le 1er février, l’Allemagne décrète la guerre sous-marine sans restriction. Les sous-marins allemands torpillent le paquebot britannique « le California », le 7 février et le 8, le paquebot français « Athos ». Désormais, de nombreux bateaux seront coulés.
Le 17 février, sur le front de l’ouest, les forces britanniques passent à l’offensive sur les rives de l’Ancre dans la Somme. Le 24, l’armée allemande bat en retraite et évacue sans combat ses positions fortifiées sur l’Ancre.
En Russie, de février à mars, les grèves se multiplient. Le 16 mars, le tsar Nicolas II abdique au profit de son frère le grand-duc Michel mais celui-ci renonce au trône le 17, devant l’opposition des dirigeants du mouvement libéral et du gouvernement provisoire.
En France, le gouvernement d’Aristide Briand démissionne le 17 mars. Alex Ribot forme le nouveau ministère et la chambre lui accorde sa confiance, le 21.
Il faut noter l’arrivée de restrictions. Le 11 mars, le rationnement du sucre est annoncé : il est distribué contre des coupons.
Le 3 avril, l’empereur d’Autriche-Hongrie, Charles Ier, rencontre Guillaume II à Hombourg en Alsace et lui propose la Pologne, en échange de la restitution à la France de l’Alsace-Lorraine. La proposition est rejetée.
Le 13, Charles Ier tente, une nouvelle fois, de convaincre Guillaume II de la gravité de la situation militaire. L’empereur d’Allemagne lui répond que la guerre sous-marine sans restriction et l’effondrement du tsarisme ouvrent, au contraire, la voie vers la victoire. Pourtant, en Allemagne, 300 000 ouvriers se mettent en grève. Les autorités militaires réagissent, en réquisitionnant le personnel des entreprises en grève et en ordonnant l’arrestation des dirigeants syndicaux.
A Saint-Cyprien, Emma est très inquiète ; depuis plus d’un mois, elle n’a pas de nouvelles de ses frères, Henri et Marcel. Enfin, une lettre arrive de Provins (Seine-et-Marne), lettre dont elle ne connaît pas l’écriture. Elle concerne Marcel. Il est à l’hôpital mixte de Provins depuis le 27 février. Il souffre d’ impacts d’éclats d’obus éparpillés dans tout le corps et son avant-bras droit présente une plaie par balle, avec atteinte de l’artère radiale. Il sera évacué plus tard vers Limoges, l’hôpital de sa région d’origine. Le colis qu’Emma souhaite envoyer depuis quelques semaines, va être revu et acheminé vers l’hôpital à Provins.
Une autre nouvelle arrive presque en même temps ; c’est une lettre d’Henri.
Les journaux parlent peu du sort de nos prisonniers.
Le chapitre II de la convention de la Haye signée en 1907, est entièrement consacré aux prisonniers de guerre. Il stipule qu’ils doivent être traités avec humanité. Tout ce qui leur appartient, excepté les armes, les chevaux et les papiers militaires, reste leur propriété. Les vingt articles composant le chapitre II de la convention réglementent divers aspects de la vie en captivité comme le logement, le travail, la religion, l’alimentation, l’habillage ou encore le courrier.
Quarante-quatre pays sont signataires de la convention. Les stipulations de la Haye entrent en application dans l’Empire allemand et en France, le 26 janvier 1910 mais elles sont inadaptées face à l’ampleur de la Première Guerre mondiale. En octobre 1918, le nombre de prisonniers retenus en Allemagne s’élève à 2 415 043, tous pays confondus.
Dülmen le 5 avril 1917
ma chère sœur,
J’ai tardé à vous donner de mes nouvelles. Je te rassure tout de suite, je vais bien. Mon épaule s’est consolidée, le résultat n’est pas beau à voir mais je peux me servir de mon bras. Je n’ai pas une grande ampleur de mouvements : le résultat aurait pu être pire. J’ai fait mon deuil de l’œil gauche qui n’est pas complètement mort puisque je vois des ombres. Si je suis toujours en vie à la fin de la guerre, je le ferai examiner à Paris.
Mon matricule de prisonnier est « P 46662 ». Je suis actuellement dans un centre de triage à Dülmen près de la frontière avec les Pays-Bas. Je viens de passer une visite médicale, en fonction de laquelle je serai redirigé vers un autre camp de prisonniers. Dans ma lettre prochaine, je te donnerai ma nouvelle adresse. Ici, nous sommes tous à nous poser les mêmes questions.
Je mesure à quel point j’étais bien à l’hôpital d’Aix-la-Chapelle. Ici, l’hygiène laisse à désirer : nous dormons sur des paillasses douteuses et puantes avec deux couvertures également douteuses et la nourriture est une soupe de pommes de terre très clairsemées, servie trois fois par jour et accompagnée d’un café de glands torréfiés.
Une humidité malsaine nous enveloppe. J’entends tousser de tous côtés. De notre baraquement en bois, j’aperçois au premier plan le cimetière des prisonniers sans cesse alimenté par de nouveaux décès. Le camp est entouré de plusieurs rangées de barbelés et après, c’est la lande marécageuse à perte de vue.
Emma, quand je te donnerai une adresse plus sûre, pourrais-tu m’envoyer mon livre de poésies du XIXème siècle, mes carnets à dessins ou du moins un, mes fusains et mes gommes. Tu les trouveras dans une petite malle stockée dans le grenier de la forge.
Il me tarde de pouvoir te lire. Je vous espère tous en bonne santé.
Ton frère qui t’aime et qui t’embrasse. Henri Destal
Au cours du repas dominical, chacun exprime ses inquiétudes. Emma donne des nouvelles d’Arthur et de ses frères, Marcel et Henri. Arthur transporte toujours des blessés, tantôt en camion sanitaire, tantôt en ambulance, suivant l’importance des blessures. L’hôpital de Limoges est débordé et il manque de personnel, des chirurgiens aux "femmes de salle". Ce prochain samedi, elle ira à Limoges et elle emmènera Jeantou. Elle fera des achats en mercerie et chez les marchands de tissus pour habiller le fils qui ne cesse de grandir.
La lettre d’Henri est lue. Tout le monde comprend qu’il a eu de la chance, dans son malheur, de rester aussi longtemps à l’hôpital d’Aix-la-Chapelle. Les journaux disent que la vie dans les camps de prisonniers s’est améliorée, depuis que la Croix Rouge y a un droit de regard.
En ce qui concerne Marcel, il n’y a pas de nouvelles récentes. Arthur va surveiller pendant ses passages à Limoges et a demandé d’être prévenu dès l’arrivée de son beau-frère. Maintenant, il connaît beaucoup de monde à l’hôpital.
Alice éclate en sanglots et la compassion se manifeste autour de la table. Marraine Angélique est toujours la personne la plus à même de dispenser des phrases rassurantes.
Fonfon continue à alimenter ses « cahiers de guerre » avec ses découpes d’articles dans les différents journaux et ses propres réflexions. Le jeune homme va avoir 15 ans et il s’affirme de plus en plus, depuis qu’il est en apprentissage au garage Veyssière.
Le nouvel empereur d’Autriche-Hongrie l’intrigue avec ses tentatives de négociations, à droite et à gauche. Le patriarche rétorque que ce ne sont que des discussions de marchands de tapis.
- De quel droit, certains veulent se répartir les pays d’Europe et d’Afrique. Au nom de la paix ? Foutaise.
En France, le 6 avril, le général Nivelle est parvenu, avec difficulté, à convaincre le haut état-major et le gouvernement de la nécessité d’abandonner le plan Joffre et de lancer une offensive générale sur le Chemin des Dames, entre les vallées de l’Aisne et de l’Ailette. Cette action devrait être précédée d’une attaque de fixation en Artois.
Ainsi, le 9 avril, les Britanniques lancent la 1ère offensive en Artois entre Arras et Lens, alors que le 16, la Vème armée du général Mazel et la VIème armée du général Mangin lancent celle du Chemin des Dames.
Le 17 avril, c’est le début des premières mutineries dans l’armée française.
Au Chemin des Dames, devant la résistance des forces allemandes, l’attaque est suspendue. C’est l’échec du plan du général Nivelle malgré quelques avancées : Laffaux, le plateau de Craonne, et Berry-au-Lac.
Jean Maraval va chercher tous les jours, son journal « l’Humanité ». Il suit les informations de très près mais un pays l’intrigue, un de nos alliés dans la Triple Entente : la Russie.
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