Terre de l'homme

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Souvenir d'enfance III par Jacques Lannaud

 

 

En publiant, aujourd'hui, ce souvenir d'enfance de Jacques Lannaud, "Terre de l'homme" a souhaité lui témoigner toute sa sympathie à l'occasion d'un nouveau deuil cruel qui le frappe.

Frédéric, son fils cadet,  vient d'être emporté par un cancer. Il y a un an, son fils aîné, Jean-Philippe, était également arraché à l'affection des siens.

Frédéric, né en 1968, était major de l'Armée de l'air. Son engagement l'avait conduit dans de nombreux pays de par le monde, sur des terrains d'opérations parfois très sensibles : Tchad, Mali, ... Il effectuait, ces dernières années, une mission à l'ambassade de France à Cotonou.

Toutes nos pensées vont à sa famille dans cette nouvelle épreuve. 

Frédéric sera inhumé au cimetière des Eyzies, lundi 7 octobre (messe à 11H en l'église de Tayac). 

 

Catherine Merlhiot

 

 

 

 

 

FRED

 

                                                                          Frédéric Lannaud 

 

 

Roses

 

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Souvenir d'enfance III 

 

Dans ces petites bourgades isolées où l’on ne voyait  que, rarement, passer d’automobiles, la guerre n’avait pas bouleversé fondamentalement la vie quotidienne des gens.

Certes, les hommes des générations concernées par la mobilisation générale de septembre 1939, s’en étaient allés rejoindre leurs unités respectives, vidant, ainsi, en partie les campagnes. Beaucoup furent faits prisonniers et envoyés dans des camps en Allemagne, d’autres réussirent à s’évader, se cacher, à passer les lignes. D’autres devenus clandestins s’engagèrent ou formèrent des groupes de maquisards dont les rangs grossirent, peu à peu, afin d’organiser la défense intérieure.

Là-dessus, vint se greffer le Service du travail obligatoire ou S.T.O. : des milliers de personnes furent réquisitionnées par le gouvernement de Vichy, contraintes de partir en Allemagne pour compenser le manque de main d’œuvre et d’actifs dans l’industrie de guerre allemande dont bon nombre de ses ouvriers avaient été envoyés sur le front de l’Est.

650 000 travailleurs français furent transférés en Allemagne dans les usines d’armement, pour la plupart d’entre eux. On comprend aisément que la conséquence aggravait le dépeuplement du territoire national, déjà en cours, du fait de la baisse démographique.

La France occupée vivait petitement et sous tutelle et le gouvernement de Vichy n’avait que le pouvoir que voulait bien lui concéder l’envahisseur.

Et, si l’époque était particulièrement dangereuse, notre campagne restait paisible ; quant à moi, « du haut de mes trois pommes », je vivais ma vie à la découverte de la nature, des saisons, des hommes et des femmes qui travaillaient la terre.

Dans un ciel serein, brusquement, dans le cours du mois de juin 42, « le ciel me tomba sur la tête, à l’improviste. « J’en ai assez de me demander où tu es passé, on te cherche partout, tu vas à droite, à gauche, chez un tel ou un tel, bon ! Tu vas venir avec moi en classe, tu seras préparé pour la prochaine rentrée en septembre. »

La fin de mes vagabondages, de mes petits travaux auprès de mes copains paysans, de mes randonnées dans les petits chemins forestiers à observer les oiseaux, la végétation, à respirer les parfums de la nature, à regarder passer dans le ciel les oiseaux migrateurs… Je savais que j’allais être enfermé entre quatre murs dans une salle de classe qui me rebutait, avec des élèves que je ne connaissais pas tous car certains venaient de loin avec leur musette et leur gamelle qu’ils faisaient chauffer sur le poêle.

Une école implantée au-dessus de chez nous, une bâtisse solide en pierres, imposante avec ses hautes fenêtres laissant entrer la lumière mais suffisamment hautes pour que l’on ne passe pas son temps à regarder ce qui se passe à l’extérieur. Une vaste salle occupée par des pupitres et des bancs pour s’asseoir, des encriers noircis et tachés tout autour, une odeur d’encre flottait dans l’espace ; l’après-midi, des odeurs mélangées, restes de vapeurs des repas dans les gamelles des élèves qui ne repartaient que le soir après la classe, courant à toute vitesse pour rejoindre leur ferme et, en hiver, dans le froid et les intempéries, sous la pluie, le sac en bandoulière ou dans le dos.

L’école voulue par la IIIe République s’était répandue partout, conformément à la politique menée, dans toutes les petites bourgades, toutes un peu semblables, devenues le temple de la connaissance, de la lutte contre l’ignorance sous la tutelle de maîtres et maîtresses formés dans les Ecoles Normales d’Instituteurs ou d’Institutrices, dans le même moule situé au chef-lieu du département. Une école qui avait pour ambition d’apprendre à tous, la langue écrite et orale, le calcul mental, les opérations, les fractions, les problèmes d’arithmétique, les récitations, les dictées et l’apprentissage de la lecture, la façon de s’exprimer en respectant les nuances du texte… Qu’on le veuille ou non, c’est une réussite considérable de la IIIe République qui lui a permis de s’implanter dans le pays, de former des citoyens capables de se former à de multiples carrières, de faire rayonner la culture française, encore, très demandée aujourd’hui.

Obligé de suivre, je me retrouvai étranger dans cet univers. La grande classe avec son poêle au milieu et cette trentaine d’élèves en blouse grise penchés sur leur pupitre, se taisant, en train d’écrire ou se levant à tour de rôle pour réciter la leçon, la récitation, décliner les tables de multiplication, passer au tableau pour faire un dessin de géométrie, une division, un calcul, une fraction etc… Tout cela était tout nouveau et parmi ces garçons et filles qui avaient derrière eux, plusieurs mois de classe , cours inférieurs, moyens et supérieurs et ceux qui préparaient le Certificat d’Etudes Primaires, j’étais le plus ignorant et analphabète.

Si les récréations se passaient bien, participant aux jeux et pouvant, enfin, prendre l’air et me dépenser, le retour en classe ne me réjouissait guère, somnolant ou tentant d’apprendre à écrire les lettres de l’alphabet.

J’étais d’autant plus triste que mon ami et paysan Mr L. devait en cette fin de printemps, faucher son grand pré et j’avais grande envie d’aller le voir.

Alors, ce jour-là, le temps était magnifique, il faisait bon, je ne pus résister à l’envie de le rejoindre et je quittai en catimini l’école. Je l’aperçus, les manches de chemise retroussées et le col bien ouvert, transpirant, s’appliquant à faire cet ample geste circulaire de droite à gauche avec sa grande faux, tranchant avec la régularité d’un métronome, les grandes herbes qui se couchaient au fur et à mesure, formant des andains réguliers dégageant une odeur délicieuse d’herbe qui séchait sous le soleil de cette fin juin. Quand il me vit, il avait deviné que j’avais quitté l’école et il me dit : « Ne t’en fais pas, moi aussi, j’ai fait l’école buissonnière et ta mère, j’irai la voir pour lui dire que c’est de ma faute et tout ira bien. Tout à l’heure, tu vas m’aider à faire des petits tas qui sècheront pour faire des meules et dans les jours suivants, on pourra, peut-être, les charger sur la charrette et les emporter dans la grange. »

Tout un programme qui me convenait à souhait mais je savais que ma mère n’en resterait pas là avec cette petite escapade.

 

Jacques Lannaud

 



05/10/2024
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