Terre de l'homme

Terre de l'homme

.......sur la pointe des pieds

 

 

 

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                   Port d'Alger, printemps 1962, les appelés embarquent peu après les accords d'Evian 

                                                                  photo keystoneFrance

 

 

Je fais chaque jour, dans la presse, le constat douloureux de voir disparaître, les uns après les autres, ceux qui furent mes camarades du contingent en AFN.

Soixante ans déjà ! Nous serions réduits à l'état de statistiques, sous le générique "Anciens combattants d'AFN ", si des associations (FNACA, CATM.........), suivies tardivement par les pouvoirs publics, n'avaient décidé de défendre nos intérêts et d'avoir choisi la date du 19 mars (cessez-le-feu) pour rendre hommage à  ceux qui ont combattu.

Chaque année, ce jour-là, nous nous rassemblons devant le monument aux morts et lecture est faite de l'ordre n°11 du général Ailleret qui rend hommage à l'armée et lui enjoint de faire, désormais, respecter la paix sur le territoire algérien, injonction qui fut loin d'être suivie d'effet. Nous y reviendrons.

 

 

algérie déclaration

 

 

Après la décision de Jacques Chirac d'appeler les choses par leur nom, à savoir remplacer les mots de Pacification et de maintien de l'ordre par le mot Guerre.

Les présidents suivants prirent des initiatives afin que s'améliorent les relations entre les deux pays. Le dernier en date est le président Macron qui, en 2020, demanda à l'historien Bernard Stora de dresser un état des lieux sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie. Ce rapport lui a été remis : il comporte une trentaine de préconisations de nature à satisfaire nos anciens adversaires. Par ailleurs, il a décidé d'ouvrir, avec 15 ans d'avance, l'ensemble des archives sur la guerre d'Algérie.

Peine perdue car la France refuse toujours d'employer le mot repentance. Dès lors, notre pays, devant ce rejet de concessions, accrédite, à raison, l'idée que l'Etat algérien utilise cette guerre comme une rente mémorielle destinée à faire oublier à la population, les problèmes internes et les exactions commises à l'encontre du MNA (massacres de Melouza mai 1957 ; guerre civile avec le GIA et massacres des Pieds Noirs à Oran, le 5 juillet 1962 et des Harkis).

 

 

Algérie harkis camp de Bias

 

 

                                             Famille de Harkis au camp de Bias (Lot-et-Garonne). 

                                                      Photo Lucien Delporte /Archives Sud-Ouest 

 

 

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                    Juillet 1962, l'arrivée des rapatriés d'Algérie à la gare maritime à Marseille

                                                      Crédits : Gamma-Keystone - Getty

 

On comprendra aisément que la réconciliation n'est pas pour demain, en dépit des gestes répétés de la France. Ce sera l'affaire des générations futures. Des deux côtés, les plaies sont encore vives, personne ne fut épargné : ce fut la loi du talion éternellement répétée.

Cependant, cette guerre qui dura 8 ans et même plus avec la lutte contre l'OAS, dès le début, les pouvoirs publics se sont efforcés de la dissimuler : on ne pouvait, disaient-ils, être en guerre contre trois de nos départements. Rébellion, maintien de l'ordre, pacification, autant de mots pour masquer la réalité : 1,5 million appelés, 30 000 morts, plus de 100 000 blessés, sans compter les innombrables troubles de stress post-traumatiques. On ne saurait non plus oublier le lourd bilan chez nos adversaires et la population.

Il résulte de tout cela, dans le contingent, un sentiment de malaise, parfois de mauvaise conscience qui nous conduit à taire ce que nous avons vécu et dont, au départ, nous n'avions pas mesuré l'ampleur.

Dans les années 1950, peu de jeunes gens avaient quitté leur univers familier et fait des voyages à l'étranger ; et, un beau matin : embarquement dans des wagons, 40 hommes, 8 chevaux en long, destination Marseille, le camp Sainte-Marthe, embarquement pour Alger, Alger la blanche sous le soleil, mais rêve aussitôt dissipé par le départ pour le lointain Constantinois.

Si certains, en mal d'exotisme, avaient rêvé d'Antinéa, reine du Hoggar dans le roman de Pierre Benoit "L'Atlantide" (1919) et, par anticipation, de Sophie Marceau dans le film "Fort Saganne" 1984, ils furent vite ramenés à la réalité. Cà et là, des poteaux sciés, des locomotives renversées : nous étions attendus. En l'espace de 3 jours, nous passions des bars accueillants de la Canebière à un pays où la violence était la règle : elle n'allait pas nous quitter.

Si cette guerre, par sa nature, ne fut pas glorieuse, pour l'essentiel ceux qui ont participé, engagés, appelés, rappelés, eurent une conduite exemplaire sous le feu. J'en fus témoin.

 

 

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                    Oued Zénati : mon peloton de reconnaissance  - 18ème RCP - ( 1956 - 1957)

 

 

En règle générale, l'assaut mettait un terme au combat. La connaissance du terrain par les fellagas faisait que nos pertes étaient sévères. Mon unité, sur la durée de la guerre, a eu 200 morts et des centaines de blessés.

Je vais vous faire une confidence et je m'en tiendrai là : le 11 février 1957, dans le Djebel Amar ou Djefa, nous dégageons une compagnie du bataillon de Corée, clouée au sol, son lieutenant tué d'une balle dans la tête. Nous poursuivons l'assaut, le conducteur d'un engin blindé , blessé à la tête et aveuglé par le sang, recule et brise la colonne vertébrale d'un de mes hommes qui ne cesse d'appeler sa mère. Moi-même blessé, mon peloton poursuit l'assaut sous la conduite de mon adjudant-chef. Le combat terminé, les hélicos peuvent atterrir et nous ramener à l'hôpital de Constantine où les chirurgiens font le tri pour traiter les blessés les plus graves.

De retour en France, j'apprends, lors d'un bal, la mort de mon camarade, le sous-lieutenant Manceau tué avec tous les hommes de son peloton, le 13 juin 1957, dans une embuscade. Je quittai le bal et n'y remis jamais plus les pieds.

 

Si j'évoque pour la première et dernière fois, un des épisodes que j'ai vécus, c'est qu'en ces jours, qui précèdent le 19 mars, je tiens à rendre hommage à mes camarades dont on comprend maintenant le mutisme ou la discrétion et qui nous ont quittés sur la pointe des pieds.

 

Milieu des années 1950, c'était le temps des juke -box.

Les Platters chantaient : "Only You". (cliquez sur le titre pour écouter la chanson)

 

 

 

Pierre Merlhiot 

 

 

PS : Le 18° Régiment de Chasseurs Parachutistes est créé en mai 1956, presque exclusivement par transformation du II° Bataillon du 18° R.I.P.C, dissous le 30 avril 1961, après le putsch des généraux.

Pour lire son histoire , cliquez sur le lien suivant :  Royal Auvergne 

 

Demain lundi 21 février, le nom des "inconnus" de l'image du billet d'hier "Reconnaissez-vous ces personnes," vous sera donné avec quelques détails.

Le lectorat manifeste, semble-t-il, quelque "appétence" de découverte de ces vieilles images. Si vous avez, dans vos archives personnelles, des clichés d'un thème plus ou moins ancien, manifestation amicale, chantier plus ou moins oublié, etc, n'hésitez pas à envoyer votre, vos, contribution(s), avec un minimum de références, à Catherine  

catherinemerlhiot@gmail.com

 

 



20/02/2022
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