Terre de l'homme

Terre de l'homme

Un excentrique nommé Julien Viaud

 

 

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                                                        Pierre Loti en officier de marine

 

 

Dans ce port militaire aux rues à l’équerre et pour certaines pavées, aux maisons bien alignées d’un aspect austère et assez uniforme, petite ville disputant sa renommée avec la capitale de l’Aunis, naquit un personnage fort connu, atypique et quelque peu fantasque.

 Personnage qui pimenta de ses excentricités voire extravagances, la vie endormie et routinière de la cité et devint membre de l’Académie française. Devenu lieutenant de vaisseau, il parcourut les mers jusque dans l’Orient-extrême, participa, envoyé en mission, à des théâtres de guerre. Féru de culture classique, metteur en scène avant l’heure, il écrivit de nombreux romans teintés d’exotisme et d’orientalisme, d’histoires d’hommes et d’amour, fort connus encore de nos jours. Il s’agit, bien sûr, vous l’avez deviné, de Pierre Loti, nom d’une fleur, que lui décerna la reine Pomaré des îles Sous-le-Vent, de son vrai nom Julien Viaud né à Rochefort le 14 janvier 1850, mort à Hendaye le 10 juin 1923, enterré dans le jardin des Aïeules (ses tantes) sur l’île d’Oléron.  

 

 

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                                                                     La Corderie Royale

 

Dans cette bourgade maritime reliée à la mer par la Charente, un arsenal allait voir le jour, voulu par Louis XIV, afin d’y construire et armer ses vaisseaux de guerre dans les bassins de radoubs. Célèbre, aussi, par sa fameuse Corderie Royale, toute de pierre blanche, en pierres de Crazannes (la même que celle de la Maison Blanche), s’étalant longuement sur la rive du fleuve ; on y fabriquait, à partir du chanvre originaire d’Asie, la fibre dans une longue galerie de 300 m ou « fil de caret » dont plusieurs réunis par torsion constituent les cordages épissés, fait d’assembler des cordages en entrelaçant les torons (réunion de fils de caret tordus ensemble) destinés à équiper le gréement des navires et l’estropage des poulies (œil épissé enserrant une poulie ou tresse avec un œil épissé à chaque extrémité.). Non loin de là, dans son bassin dédié au bord du fleuve, se dresse la magnifique frégate reconstituée à l’identique par des artisans passionnés, l’Hermione, à bord de laquelle « le Héros des deux Mondes », La Fayette, partit au secours de l’indépendance américaine.

 

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                                                                    L'Hermione

 

Autour de 1888, la ville semblait s’enfoncer dans le déclin, dans une sorte de conformisme bourgeois. Si l’on pénètre dans l’une de ces maisons presque toutes semblables au décor quasi identique, c’est un étonnement sans pareil qui vous saute aux yeux, vous n’êtes plus dans cette rassurante cité toute paisible mais transportés dans des lieux qu’imaginait mal un Rochefortais de l’époque : un salon bleu, un rouge, de style Directoire, cossus et inhabituels, une immense salle à manger Renaissance avec oriflammes et armures, une salle gothique avec vitraux d’époque, un salon arabe  et une mosquée turque avec tapis, mosaïques et coussins et une fontaine à côté de la stèle funéraire  d’une bien-aimée inoubliable (Aziyadé ). Enfin, la chambre du maître, un lieu dépouillé : un lit de fer, un crucifix, un coffre de marin, deux fleurets d’escrime, des murs peints à la chaux. Jugez de la surprise de ce Rochefortais à la vue de cette maison à deux pas de chez lui.

 

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                                                                La salle médiévale

 

On sait, bien sûr, que le personnage est inhabituel, on a entendu parler de certaines réceptions sans pareilles dans ce petit univers opaque, d’une fête mémorable, d’un grand dîner « Louis XI » dans la salle Renaissance, préparé un an à l’avance avec des convives priés de s’habiller en tenue médiévale, d’apprendre à parler en vieux français, où l’on a servi un repas à base de hérissons, de cygnes et de paons. De quoi rester bouche bée !

 

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                                                                       Le salon bleu

 

Or, à ces fêtes dont le thème varie d’un caractère médiéval à celui des Samouraïs, de l’Egypte ancienne à la Grèce antique ou mésopotamienne…il invite quelques-uns de ses compatriotes locaux qui côtoient des académiciens ou autres personnalités parisiennes dont Robert de Montesquiou, en tête, homme de lettres, poète, dandy, critique d’art et de littérature.

A ces occasions, il demande à son fidèle serviteur, Osman Daney, de grimper sur le toit, là où il a aménagé un minaret pour lancer l’appel du muezzin à la prière « Allah Akbar… », appel qui se répercute dans la nuit silencieuse sur les toits des petites maisons.

 

 

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                                                 Pierre Loti en habits de sultan

 

On sait, aussi, se fiant aux bruits qui courent, qu’il a publié des romans à succès : Pêcheur d’Islande, Aziyadé, Ramuntcho, Madame Chrysanthème … mais l’ignorance, le manque de culture sont, encore, largement partagés sauf par quelques-uns qui ont eu la chance d’avoir un cursus scolaire.

 Il est revenu en bonne santé de ses longs voyages au travers des océans et des continents, contrairement à Rimbaud ou Oscar Wilde condamné aux travaux forcés pour ses mœurs. Son talent d’écrivain, s’il lui permet de remporter des succès, n’est pas, selon les spécialistes de l’époque, à la hauteur d’un Marcel Proust qui, pourtant, est avide de ses lectures selon Loti, et « en récitait par cœur certaines pages. » Il sera élu à l’Académie Française le 21 Mai 1891 contre Emile Zola.

Et, dans le pays, un certain abbé écrivit : « La société de Rochefort était fière… les jeunes filles étaient folles de ses romans et portaient à leur cou, dans un médaillon en forme de cœur son nom gravé…les dames avaient permis à leurs filles de lire Pêcheur d’Islande qui les avait mises en larmes... »

Sorti de l’Ecole Navale en 1867, il va parcourir le monde :  Alger à bord du Jean Bart, participe à la guerre de 1870 contre l’Allemagne, ensuite se rendra à Dakar mais, surtout, en 1871, à Valparaiso à bord du navire amiral, il fait route vers Tahiti et passe à l’île de Pâques. Autre voyage qui va le marquer, c’est la découverte de la Turquie où il fait la connaissance d’une jeune Circassienne (originaire du Caucase) qu’il n’oubliera plus et dont, plus tard, il rapportera la stèle funéraire.

En 1885, à Nagasaki, il épouse Okané-San (Mme Chrysanthème), mariage sous contrat d’un mois renouvelable, pratique courante au Japon et qui s’interrompt avec son départ, un mois plus tard.

 

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                                                            Pierre Loti en Dieu Osiris

 

Drôle de citoyen, ce Julien Viaud, de petite taille, porte des talons hauts, parfois montés de ressorts, il lui arrive de se farder de blanc et de souligner ses yeux d’un trait de khôl comme le faisait Lyautey dont se moquait Clémenceau. Soulignons que, amoureux de la Bretagne et d’une Bretonne, il va épouser à 36 ans, une Périgourdine, Blanche Franche de Ferrière et aura un fils légitime. Mauvais mari, mauvais père, inconstant, obsédé par la fuite du temps et la mort, les cimetières, les momies, les cadavres, les couchers de soleil, il se travestit en à peu près tout, chevalier turc, pêcheur breton, guerrier arabe, joueur de pelote basque, en dieu Osiris. Il aime la photo et acceptera de figurer sur les vignettes du chocolat Guérin-Boutron ou celles de la collection Félix Potin.

On lui fera des funérailles nationales en 1923, enterré, selon ses indications, dans le jardin des « AÏEULES, ses tantes, où il jouait petit, non pas debout et tourné vers l’Orient comme on l’a dit, mais à l’horizontale avec dans son cercueil, sa pelle d’enfant et sa chistera de pelote basque.

       

 

 

Jacques Lannaud

 

 

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En préparation. Les enfants des deux rivières à l'aéroclub.



09/11/2021
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