Terre de l'homme

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Un siècle d’effervescence, d’idées et d’espérances (Partie II)

 

       

 

 

amadine

 

 

 

                                                       Amandine Aurore Lucile   (George Sand)

 

 

Jacques Lannaud poursuit son évocation de Nohant et de son histoire d'un siècle plein d'effervescence et d'espérances. Pour relire ou lire la 1ère partie, cliquez sur le lien ci-après : 1ère partie

 

 

Un soir d’août 1808, une grosse berline, tirée par un attelage de chevaux fourbus, fait une entrée fracassante dans la cour du domaine de Nohant. Les passagers mettent pied à terre, une fillette portée par sa nourrice fiévreuse, porteuse de gale les accompagne : il s’agit de Maurice Dupin, lieutenant-colonel des Hussards de l’Armée impériale, de son épouse Sophie Victoire et de leur fille Amandine Aurore Lucile, aboutissement d’un trajet de près de 2OOO km depuis Madrid, en plusieurs étapes par des chemins de déviation afin de déjouer les risques dans la traversée d’une Espagne déchirée, révoltée et pleine d’embûches.

 

 

 

Marie Aurore de Saxe

 

 

 

                                      Marie-Aurore de Saxe , grand-mère de George Sand

 

Arrivés, sains et saufs, dans ce havre de paix au cœur de la campagne berrichonne que possède la grand-mère Marie Aurore de Saxe, acquis en 1793 pour s’éloigner de la révolution qui s’emballait, elle-même ayant séjourné en prison, quelque temps, à cause de ses origines aristocrates, la fillette de 4 ans est immédiatement séduite et écrira plus tard : « Je repris mes sens en entrant dans la cour. Ce n’était pas aussi beau, à coup sûr, que le palais de Madrid mais cela me fît le même effet tant une grande maison est imposante pour des enfants élevés dans de petites chambres. » et, d’ajouter, voyant la chambre de sa grand-mère « ce lit, cette chambre me firent l’effet d’un paradis. Les murs étaient tendus de toile de Perse à grands ramages et les meubles étaient du temps de Louis XV »

Sa grand-mère va prendre une très grande importance dans la vie et l’éducation de la fille puis de la jeune fille. Imprégnée du siècle des Lumières, fidèle lectrice de J.J. Rousseau, elle avait procédé à des travaux d’embellissement du domaine, transformé le parc de cinq hectares en un paradis de verdure, de plantes et de fleurs, d’arbres et de sentiers sinueux qui serpentaient, bordés de grandes herbes et fleurs des champs où vivaient insectes, petits animaux, oiseaux... menant à des bosquets, traversant une charmille jusqu’à un petit pont.

 

moutons dans un champ

 

 

Aurore va mener là une enfance heureuse, se faire de très nombreux camarades parmi les enfants des fermes voisines : « Je sautais par la fenêtre du rez-de- chaussée quand elle se trouvait plus près de moi que la porte et j’allais m’ébattre dans le jardin comme un poulain échappé…j’aimais la campagne mais je ne savais pas que je ne pourrais jamais vivre ailleurs…avec Solange et Marie, les filles du métayer, nous gardions les troupeaux, c’est-à-dire que nous ne les gardions pas du tout, et que pendant que les moutons faisaient bonne chère dans les jeunes blés, nous goûtions sur l’herbe  avec nos galettes, notre fromage et notre pain bis. »  

Cette demeure dont George Sand va hériter, à l’âge de 17ans, après le décès de sa grand-mère en 1821, elle va l’embellir, la transformer à son tour pour en faire un lieu unique de rencontres, un refuge où l’on se détend, où l’on se ressource, où se déroulent de longues discussions littéraires, artistiques, politiques, où de nombreux artistes et écrivains, peintres, musiciens-compositeurs connus du tout Paris et de l’étranger, viendront  pour se détendre, se promener, reprendre contact avec la campagne et le milieu rural.  

 

Grâce à sa grand-mère qui avait ses entrées dans les milieux parisiens dont elle élargira le cercle, ses invités n’hésiteront pas à faire le voyage éprouvant jusqu’à ce lieu perdu dans le Berry afin de reprendre des liens, des discussions déjà entamées, à la découverte d’un îlot de calme, d’un endroit romantique aux accents rousseauistes, loin de la turbulence et des problèmes parisiens.  Ici, l’amour de la nature que cultive au plus haut la maîtresse de maison, prend un tour campagnard voire rustique au milieu de la forêt, de jardins et d’allées parfaitement tenus où l’on peut s’isoler des heures durant, méditer, respirer et jouir de l’air embaumé et du silence : une nouvelle façon de vivre, d’aimer, d’observer les choses, les animaux, la vie difficile des paysans occupés par les travaux des champs, les fêtes villageoises, que certains comme Chopin ou Pauline Viardot, la cantatrice adulée des scènes internationales, fréquenteront, inspirés par les bourrées, les danses berrichonnes aux sons des violes, des pipeaux et des tambourins, tout un enchantement pour ces artistes pris dans une vie trépidante.

Son périple éducatif, Aurore Dupin le doit à cette grand-mère qui veillera scrupuleusement sur ses premiers pas car elle en avait la tutelle, plaçant, ensuite, la jeune fille au couvent des Anglaises à Paris, pour parfaire son cursus. Là, après un moment d’ennui, lassée des rites religieux, elle a l’idée de secouer cette vie monotone, studieuse, en montant des pièces de théâtre jouées par elle-même, des amies anglaises ou françaises avec des bonnes sœurs réservées et, finalement, enchantées.

Toute jeune, elle avait pris goût à la musique en écoutant des petits concerts locaux organisés « par des amateurs de l’endroit qui se réunissaient tantôt chez l’un tantôt chez l’autre pour faire ce que les Italiens appellent « musica di camera » …j’adorais la musique bien que ma bonne maman me négligeât sous ce rapport et que M. Gayard -l’organiste de La Châtre m’inspirât de plus en plus de dégoût de l’étudier à sa manière ». (Histoire de ma vie)

Pendant ses premières années à Nohant, elle sut se faire de nombreuses amitiés qu’elle gardera fidèlement toute sa vie. Elle admire la nature et ses changements au fil des saisons mais, plus encore, elle pénètre dans les fermes grâce à ses petits amis berrichons, elle finit par parler leur patois, s’amuse une partie de la journée, courant les chemins ou faisant des tours avec eux, apprend à connaître la contrée, la forêt, les oiseaux, les insectes…parcourra, plus tard, tous ces lieux à cheval car elle a appris à monter. Là, elle assista à des veillées où certains racontaient des histoires et des contes, notamment « lorsque les chanvreurs venaient broyer, histoires merveilleuses et saugrenues que l’on écoutait avec tant d’émotions et avaient tout le caractère de la localité ou des diverses professions de ceux qui les avaient rapportées. Ainsi, le sacristain avait sa poésie à lui, jetait du merveilleux sur les choses de son domaine, les cloches, la chouette, les rats du clocher et il leur apportait des graines. Un jour, il trouva tous les haricots blancs rangés en cercle avec une croix de haricots rouges au centre, pour finir en disant qu’on aurait juré l’ouvrage d’une personne humaine. » (Histoire de ma vie)

Travaux des champs, moment des labours où le paysan fend la terre pour tracer ses sillons avec les bœufs attelés à la charrue, jusqu’au déclin du jour alors que descend la fraîcheur du soir et que la brume monte peu à peu de la terre…paysages d’automne, feuilles que le vent emporte et le laboureur fatigué se hâte lentement pour regagner sa chaumière, avec les chiens qui courent à ses côtés, rien de tout cela ne lui échappe et rien ne peut mieux illustrer ces moments où le paysan accomplit sa rude tâche dans les champs, que les tableaux de Jean- François Millet.

 

F CDudevant

 

 

                                   François Casimir Dudevant , époux de George Sand 

 

Son mariage avec François Casimir Dudevant est un véritable naufrage. Très vite, rien ne va plus entre eux et elle se séparera de lui. Finalement, elle lui intente un procès, à une époque où le mari possédait tous les biens du ménage : elle gagne, contre toute attente, reprenant possession de sa maison avec ses enfants, Maurice et Solange. Elle fête à sa façon cet heureux dénouement : « J’allumais beaucoup de bougies et me promenais dans l’enfilade des grandes pièces du rez-de-chaussée depuis le petit boudoir où je couchais toujours, jusqu’au grand salon illuminé en outre par un grand feu. Puis, j’éteignais tout, marchant à la seule lueur du feu mourant de l’âtre, je savourais l’émotion de cette obscurité mystérieuse et pleine de pensées mélancoliques, après avoir ressaisi les riants et doux souvenirs de mes jeunes années. » (Histoire de ma vie)

Alors, elle retrouve sa liberté, peut inviter, à nouveau, ses amis berrichons et ses amis parisiens.

 C’était tout un périple pour se rendre à Nohant : après un trajet en train de 270km entre la capitale et Châteauroux, puis 35 km environ de la gare de Châteauroux à destination : « …on prenait la diligence. Après trois heures de trajet, on arrivait à la nuit, au bruit des grelots. Elle s’arrêtait sur la route, devant le pavillon. C’est là que descendaient les hôtes attendus. Les domestiques avec une brouette et une lanterne déchargeaient les bagages. On traversait alors le jardin touffu, précédé de la petite lanterne…on approchait sans le savoir de la maison : la porte de la salle à manger s’ouvrait : George Sand était là. » (Souvenirs de Nohant- Aurore Lauth-Sand).

 A Delacroix qui fut un des premiers à s’y aventurer autour de 1840, avant le chemin de fer, elle lui traça son itinéraire : parti de Paris à 7h du soir, il déjeunera à Orléans à 6h du matin. Déjeuner à Vierzon à 3 ou 4h de l’après-midi et arrivée à Châteauroux vers 7h du soir et « là, ajoute-t-elle, vous trouvez mon cheval et mon cabriolet qui vous amènent à Nohant en 2H1/2- 3h ». En 1851, le voyage n’est plus que de onze à douze heures grâce au chemin de fer. Sacré périple !

Le jardin était un souci quotidien, prenant soin des plantes, elle s’entretenait avec le jardinier… Des légumes…force salades, artichauts, petits pois, concombres, haricots verts, melons, des fleurs à mort. »

 Souvent, elle se promenait en bordure de l’Indre et n’hésitait pas à se baigner, restant longtemps dans l’eau fraîche, que ce soit le soir ou après une longue marche en plein soleil.

 Eugène Lambert arrivé à Nohant en juin 1844, y reste douze ans. Un « titi » parisien, dit-elle, qui fait merveille au théâtre dans des rôles burlesques ou féminins.

 Tocante ou Emile Aucante, juriste, fait partie de la jeunesse républicaine de La Châtre, admire la romancière pour ses positions en faveur du peuple qui, comme lui, va soutenir la révolution de 1848. Condamné à l’exil, il deviendra le chargé d’affaires de Sand tant pour ses terres que pour ses publications. Parti pour Paris en 1856, il échangera un abondant courrier avec George qui, connaissant sa discrétion, le chargera de récupérer et de brûler ses lettres à Musset et à Michel (de Bourges), avocat qui lui avait fait gagner son procès. Elle le fera entrer chez Michel Levy.

Mais, il est temps que l’on parle de quelques amis célèbres.

 

franz

 

 

                                                                           Franz Liszt

 

Franz Liszt et sa compagne Marie d’Agoult qu’elle invite en 1837 : elle arrive le 5 février et lui le 27 puis reviendront du 8 mai au 24 juillet. Mais, cette amitié va être assombrie par la liaison de Sand avec Chopin, bien que tout se soit bien passé.

Pour Sand, la musique est un art suprême, le langage des Dieux : « J’aurais été musicienne, car je comprends le beau, qui, dans cet art, m’impressionne et me transporte plus que tous les autres. » Les années 1837-1848 sont dominées par la musique, elle se procure un piano Pleyel pour que Chopin puisse s’exercer, années sans pareilles et inégalées. L’ami Charles Duvernet, ami et voisin berrichon, relate : « les soirées musicales autour de Chopin, à la brune, dans sa chambre bien garnie d’épais tapis, Sand étendue sur un divan, l’écoute extasiée. »

 

 

Balzac

 

 

                                                            Honoré de Balzac

 

 

Le premier écrivain visiteur est Honoré de Balzac qu’elle voyait souvent à Paris dont il admirait le talent mais désapprouvait la liberté de ses mœurs. Il garda de cette rencontre, un souvenir inoubliable : « J’ai plus vécu pendant ces quatre causeries, le mors aux dents, que je n’avais vécu depuis longtemps. » et d’ajouter : « J’ai abordé le château de Nohant, le samedi gras vers 7h et demie du soir et j’ai trouvé le camarade George Sand dans sa robe de chambre, fumant un cigare après le dîner, au coin de son feu, dans une immense chambre solitaire. Elle avait de jolies pantoufles jaunes ornées d’effilés, des bas coquets et un pantalon rouge, telle une femme d’Alger dans son appartement…ses beaux yeux sont tout aussi éclatants. » Mais, pour Balzac, elle fume « démesurément » lui faisant connaître le tabac lataki et du houka, il y deviendra accro toute sa vie. « Elle mène à peu près ma vie. Elle se couche à six heures du matin et se lève à midi, moi je me couche à six du soir et me lève à minuit. Elle travaille pour payer ses dettes. Par nos écrits, nous préparons une révolution pour les mœurs futures. » Ils parlent condition féminine mais pas tout fait sur la même longueur d’onde. Il finira par dire : « Elle est garçon, elle est artiste, elle est grande, généreuse, dévouée, chaste, elle a les grands airs de l’homme, ergo elle n’est pas femme. » Il demandera à Sand d’écrire une préface pour la Comédie humaine, ce qu’elle fit après la mort de l’écrivain.

 

 

deux cèdres plantés par G

 

 

           Deux cèdres plantés par George Sand pour la naissance de ses enfants 

 

Puis, elle reçut Alexandre Dumas fils, le plus assidu qui s’intègre très bien à cette vie assez bohème, participe aux balades à Gargilesse, aux bains, introduit un nouveau jeu, le cochonnet auquel il initie Théophile Gautier, également présent. Ils monteront ensemble « La dame aux Camélias » à Nohant et La Châtre….

Mais, venons-en à Flaubert qui résiste longtemps, même aux injonctions du « grand Moscove » à savoir Tourgueniev puis se décide. Finalement, il est présent pour Noël 1869. Il est très en forme, lit un passage de Salammbô et joue avec les enfants présents. Le 26, il va voir le jardin et visite la ferme. Puis, il fera connaissance avec le bélier Gustave, ainsi nommé en son honneur. On lui présente le théâtre et les marionnettes. Le 27, il neige, le petit bouledogue Fadet ne tient pas à sortir mais Flaubert se donne en spectacle : « il s’habille en femme et danse la cachucha. C’est grotesque mais on rit comme des fous. » Il revient avec Tourgueniev en avril 1873. Il lit son Saint-Antoine pendant six heures mais, on lui casse la tête, il veut continuer à parler littérature et empêche Tourgueniev de placer un mot. Après son départ, Sand s’exclame : « Je suis fatiguée, courbaturée de mon cher Flaubert. Je l’aime pourtant beaucoup et il est excellent mais trop exubérant de personnalité. Il vous brise. »

   

 

Jacques Lannaud

 

 

 

 



29/09/2021
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