Un siècle plein d’effervescence, d’idées et d’espérances
Le serment du jeu de paume par David
A peine la révolution eut-elle achevé son œuvre, fait table rase de la royauté, aboli les privilèges, donné au pays de nouvelles institutions élues et démocratiques, gagné la bataille contre les coalitions étrangères européennes, porté au sommet les idées de Liberté, Fraternité, Egalité, que des tribuns, vecteurs des nouveaux messages, enflammaient leurs auditoires et se livraient à des joutes oratoires célèbres, que la victoire de la démocratie, de la souveraineté du peuple à travers ses élus, que l’avènement des idées du siècle des Lumières s’imposaient dans l’opinion et n’allaient plus cesser de se développer, voilà qu’un de ces révolutionnaires au verbe brillant et démagogue, se posant en garant des idées nouvelles, va avec ses amis, confisquer le meilleur de ce soulèvement pour installer peu à peu un régime de Terreur et tout faire basculer.
Il était bien compliqué de réinstaller un authentique esprit révolutionnaire après cette tragédie face à des timides voire des ennemis de la Révolution.
Et donc, en ce début de XIXème siècle, la France, victime d’un coup d’Etat, se retrouve avec à sa tête un ambitieux, certes brillant chef de guerre, qui va lancer le pays à la conquête de l’Europe pour la mettre à genoux, remplacer des régimes conservateurs et princiers, non par un début de démocratie mais par des hommes à sa botte et qui n’ont rien de démocrate et, au final, une tragédie nationale après bien des batailles gagnées qui ont eu pour effet, plus de leurrer le peuple que de le conforter dans les idées apportées par la Révolution de 1789 : ce n’est pas l’Europe qui était vaincue mais bien notre pays.
Après cet épisode dramatique, retour au point zéro : la Royauté renaissait de ses cendres, tout le pays qui avait vibré et rêvé aux idées nouvelles portées par la révolution, se retrouvait confronté à un régime ultra-conservateur voulant imposer, tout simplement, l’Ancien Régime abhorré par le peuple.
Tout était-il perdu des acquis de 1789. Sûrement pas mais il faudra la Révolution de Juillet 1830 pour abattre une royauté ultra et celle de 1848 pour remplacer Louis-Philippe qui se voulait plus libéral mais, surtout, favorisait la haute bourgeoisie au détriment du peuple pour voir le retour de la République.
La Liberté guidant le peuple par Delacroix
Telles sont les étapes douloureuses qu’il a fallu franchir. Entre-temps, d’autres avancées bouleversaient les arts et les lettres. Grâce à des écrivains talentueux tels que Chateaubriand, Germaine de Staël qui écrit : « Ce que l’homme a fait de plus grand, il le doit au sentiment douloureux de l’incomplet de sa destinée…le sublime de l’esprit, des sentiments et des actions et doit son essor au besoin d’échapper aux bornes qui circonscrivent l’imagination. » un mouvement est en train de naître, le Romantisme.
Lord Byron par Thomas Philips
Il a débuté en Allemagne, se prolongera en Angleterre avec Lord Byron qui s’engagera pour l’indépendance grecque, mourra en 1824 à Missolonghi, dont l’influence gagnera toute l’Europe.
Le mouvement mettra un certain temps à s’imposer, ce n’est que vers 1830 que va se livrer une bataille célèbre d’un nouveau genre, celle d’Hernani, grâce à la volonté de Victor Hugo qui a joué là un rôle primordial.
Bien sûr, les Lamartine, Alfred de Vigny, Musset, Marceline Desbordes-Valmore, Chénier.. porteront la poésie à des niveaux jamais atteints, pièces de théâtre, romans, musique et autres arts, viendront renforcer ce mouvement littéraire qui va durer longtemps. Les lettres françaises vont s’en emparer et l’on verra surgir de grands poètes, de grands auteurs, de grands artistes qui enrichiront littérature, peinture, sculpture, création de nouveaux espaces, paysages, jardins : l’amour de la nature prôné par Jean-Jacques Rousseau revient au premier plan.
Evolution des idées, des comportements, nouveaux modes de communications, de déplacements, et dans un pays essentiellement rural, les prémices d’une révolution industrielle, l’image de la femme est mieux représentée et le féminisme pointe son nez.
George Sand
Une femme de grand talent va tenir une place à part dans ces transformations majeures ; à la fois romancière, dramaturge, épistolière, critique littéraire et politique voire journaliste, elle peut en démontrer aux hommes de son temps. Républicaine convaincue, dotée d’une grande culture, aux idées avancées, elle impose sa personnalité, n’hésite pas à s’habiller en homme, affiche son indépendance et son goût de la liberté, fume le cigare.
Oui, c’est de George Sand née Amantine Aurore Lucile Dupin de Francueil, à Paris, le 1er juillet 1804, devenue baronne Dudevant, décédée dans son magnifique manoir berrichon de Nohant, le 8 juin 1876, dont je vais parler car elle incarne bien ce siècle nouveau. Et, elle saura tenir sa place et s’entourer d’une « cour » de gens de lettres ou autres artistes romantiques, durant des années, au fin fond de son Berry d’adoption.
Nohant devient un lieu où souffle l’esprit, où elle tient « salon » à l’image de certaines grandes dames dans le passé. Elle y attire ses amis des lettres, des arts, des sciences, elle-même s’entichant des arbres, jardins, fleurs, pierres précieuses ou non voire insectes, un lieu où l’on se réunit, où l’on se retrouve, où on développe ses idées, où l’on peint, où l’on écrit, où l’on fait du théâtre, du théâtre de marionnettes magnifiquement illustrées par son fils Maurice Dudevant dit Sand, époux de Lina Calamata « Bouli », fille d’un graveur très lié à George Sand dont la mère était peintre.
Le théâtre de marionnettes à Nohant
Et, dans cette immense demeure, l’amphitryonne fait aménager un théâtre, donne des spectacles de pièces connues, jouées par elle-même et ses amis, invite même des paysans alentour ou personnalités du coin, spectacles poursuivis par le théâtre de marionnettes de Maurice, son fils.
Tout ce monde se retrouve les soirs d’été, sous les grands arbres, pour dîner aux senteurs subtiles des fleurs du jardin qui embaument, portées par la douce brise vespérale, jardin précieusement entretenu par George elle-même et ses jardiniers et sous les frondaisons, l’odeur enivrante du tilleul. « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent » écrira, bientôt, Baudelaire : le lieu est propice à ces sensations.
Soirées d’été délicieuses où encore au travail, toujours dans sa chambre spécialement isolée et capitonnée, Frédéric Chopin, le poète du piano, s’acharne sur ses compositions de Nocturnes et de Préludes, joue sur son piano à queue dernier cri, spécialement commandé à Paris chez son facteur et ami Pleyel, venu par train jusqu’à Châteauroux, avec d’infinies précautions, et dans une « charrette » affrétée, tirée par des bœufs, solidement attaché, à travers chemins creux et cahoteux du pays jusqu’à Nohant.
Les notes de musique s’égrènent sous le doigté subtil de l’artiste, crescendos, trilles, phrases musicales qui font vibrer l’auditoire.
Maison de George Sand à Nohant (Berry)
Pour Chopin, Nohant a été un lieu exceptionnel de composition des Préludes et Nocturnes. Certes, il arrive à Nohant, précédé d’une réputation flatteuse, homme du monde par excellence, professeur demandé, concertiste adulé, envoûté par la présence des jolies femmes et les applaudissements prolongés de ses concerts parisiens, il aimait accompagner Pauline Viardot, la cantatrice et pianiste, et transcrire avec elle les ballades berrichonnes, les couplets glanés dans des assemblées populaires. Sand déclare : « Ce n’est qu’à Nohant qu’il créait et écrivait. » Lors de ses séjours de l’été 1839 à 1846, il y retrouvera outre Pauline, le peintre Eugène Delacroix, sa propre sœur et son mari, des écrivains ou autres invités de passage…qui y passaient quelques jours voire plus. Et, à chaque séjour, elle commandait le tout dernier Pleyel. Parfois, elle s’exclamait « Vous avez été génial ce soir. » Il lui fait découvrir Bach et la conseille pour le périple musical de Consuelo. Un été, c’est Delacroix, ébloui, qui s’exprime : « Par instants, il vous arrive par la fenêtre ouverte sur le jardin, des bouffées de la musique de Chopin qui travaille de son côté ; cela se mêle au chant des rossignols et à l’odeur des roses. » Toutefois, le poète du piano, tout absorbé par la musique, peu intéressé par la lecture, ne dédiera aucune œuvre à George Sand qui lui dédicacera « La Mare au Diable ».
Chopin
Leur liaison se terminera au cours de l’année 1847. Chopin décédera deux ans plus tard.
De la musique, passons à la peinture avec Eugène Delacroix et Théodore Rousseau. Sand aime le dessin et commença en décorant des boîtes, son fils Maurice doué, également, se consacrera à la décoration du théâtre et de ses marionnettes.
De dépendances au sein du domaine, elle va en faire des ateliers pour les peintres et le premier d’entre eux, Delacroix. Et, pourtant, elle préfère la plume au pinceau, les mots à la toile.
Elle s’emploie à dissuader Delacroix d’aller à Trouville, lui faisant comprendre qu’il y dépensera beaucoup d’argent et « vous vous y ennuierez peut-être. Ici, vous ne vous ennuierez peut-être pas. Pauline y sera d’abord et puis nous serons bien gentils et nous ferons aimables tant que nous pourrons. Ensuite, vous vous y porterez bien ; notre pays est très sain et l’automne y est magnifique. Si vous aimez le billard, on en a mis partout ! Si vous voulez de la musique, il en pleuvra et de la première qualité. Si vous aimez les chiens, il y en a de magnifiques. Si vous voulez apporter votre chat Cupidon, on le traitera comme vous-même » et fera bon ménage avec Pistolet. Maurice l’attend impatiemment pour prendre des leçons « Vous avez là un fameux séide. »
Eugène Delacroix
Lors de son premier séjour en 1842, il se déclarera converti au billard « grâce à monsieur Hippolyte, mon professeur, après vous. » Mais il a apprécié la musique de Chopin et ses conversations avec lui, « le plus vrai artiste que j’aie rencontré. Ici chacun reste chez soi et s’occupe de ses bœufs et de ses terres. » Elle tente de le convertir à l’équitation, sans succès. Elle achète, donc, un âne, Margot, qui convient à Chopin mais le peintre des cavaliers fougueux ne se voit pas à dos d’ânesse !
Il observe les animaux surtout chats et chiens, arbres et en particulier les fleurs de l’herbier de George et les peint ; il lui enverra un tableau représentant un vase de fleurs. Il observe les paysannes, Françoise Meillant, la servante d’Aurore, modèle de son tableau « Sainte Anne apprenant à lire à la Vierge », refusé au salon de 1845 et, aujourd’hui, au musée Delacroix.
Pour Chopin, en voie de rupture avec George, comme pour Delacroix, c’est le dernier été à Nohant. Le 30 août 1851, elle le prie de revenir mais finissant la galerie d’Apollon au Louvre, il ne viendra pas.
L’autre peintre, c’est Théodore Rousseau qu’elle apprécie car il aime les arbres, les bûcherons et peint des paysages. Elle fait acheter par l’Etat un de ses tableaux « Allée de châtaigniers », aujourd’hui au musée d’Orsay. Sa proposition de mariage avec sa fille adoptive Augustine Brault qui s’annonçait sous les meilleurs auspices, tourne court à cause d’une lettre anonyme soupçonnant sa future belle-fille de mœurs légères. On en resta là et, pourtant, il devint le fondateur de l’école de Barbizon et aurait pu être le peintre du Berry auquel il consacra quelques toiles.
Je n’ai pas abordé l’aspect littéraire ni les artistes célèbres qui défileront dans cette demeure bourgeoise et campagnarde, loin de la ville mais où George Sand a su faire son nid et s’intégrer aux paysans et à la société rurale du lieu, je le ferai dans un second article si vous le voulez bien.
Jacques Lannaud
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