Une cloche de cantonnement miraculeusement sauvegardée
La cloche de Bergerac
Cette cloche obsolète, par miracle, défie le temps. Les chefs de gare successifs de Bergerac, dont mon collègue et ami Jean-Pierre Grignon, se sont toujours opposés à son démontage. Ce faisant, ils tenaient à la garder en hommage à nos ancêtres qui l'ont actionnée, pendant près d'un siècle.
Photo du 23/01/2022, 14 h 56, © Pierre Fabre
Pour faire circuler, en parfaite sécurité, les trains sur les voies, il faut pouvoir, à tout moment, les situer, qu'ils soient en situation de stationnement dans une gare, ou un triage, ou qu'ils soient en pleine voie. Les soucis majeurs étant le rattrapage, la prise en écharpe et pire encore le nez à nez.
Nos ancêtres échangeaient des bâtons. Ces vénérables témoins permettaient par leur transmission, d'acter la voie libre.
Il a fallu, au cours de l'histoire, trouver des moyens plus pratiques de surveillance des voies, ce que dans le vocabulaire ferroviaire, on appelle le cantonnement.
Avec le cantonnement, l'opérateur d'un point A s'assure auprès de son homologue du point B, de la permissivité de circulation sur un segment libre appelé canton. Cette permissivité est déterminée par l'ordre établi des circulations, dûment constaté, confirmé par écrit de part et d'autre, sur le registre de circulation par les opérateurs qui, autrefois, dans le vocabulaire ferroviaire, étaient appelés chefs de gare, puis chefs de sécurité pour devenir, de nos jours, agents circulation. Les agents utilisaient une formule, nullement inscrite sur les textes, mais qui s'imposait fermement par la rigueur de l'observation et dans les esprits, avec "le droit à la voie". Le canton restera occupé jusqu'à la reddition de la voie. Pour confirmer la prise de canton, la cloche verrouille, si j'osais je dirais sanctuarise, l'engagement.
Les habitants du voisinage, habitués à ce rituel, en maîtrisaient le code. Le train vient de quitter St Cyprien, préparez-vous à partir à l'école.
Au chemin de fer, il y a des sujets où l'on ne plaisante jamais : la comptabilité -et plus encore- la sécurité.
L'épisode fort lointain qui a dû se passer à la charnière des années 40/50, s'est produit quelque part sur la voie unique entre Sauveterre et Agen. Il se racontait toujours dans les pauses de chantier.
Un agent s'est rendu compte qu'il venait d'expédier, tout naturellement et à son ordre, son train ; mais, par mégarde ou débordement, il s'était affranchi du rituel sécuritaire de la cloche. Spontanément, il bondit sur le téléphone et dit à son collègue " Ô miladiu. T'ai bofat las clòchas " soit " Ô mille dieux ! Je t'ai bouffé les cloches ". Pour sa déconvenue, son interlocuteur n'était pas son homologue. C'était l'inspecteur de sécurité en tournée, qui, naturellement, ne manqua pas de lui sonner les cloches.
Pierre-Bernard Fabre
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Demain : De l’avenir de l’homme et de son dépassement, par Jacques Lannaud
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