Terre de l'homme

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Une histoire méconnue : le rôle des femmes en matière de soins et d’exercice de la médecine (1ère partie)

 

Trotula

 

 

 

Trotula di Ruggiero (XIème siècle)  de l'école de Salerne, première école de médecine fondée en Europe au Moyen-Age 

 

 

On peut remonter jusqu’au Paléolithique grâce à la découverte auprès de squelettes féminins, de sacs en peau de loutre étanches, contenant des graines et plantes aux vertus médicinales, laissant à penser qu’elles jouaient un rôle de « guérisseuses » dotées de vertus de chamane et de pouvoirs magiques.

Mais, au Néolithique, on assiste à une sédentarisation progressive de ces populations nomades. Dès lors, un début d’organisation sociétale se met en place, les rôles se précisent et certains vont s’emparer de ces vocations et/ ou croyances en des forces surnaturelles sans participation des femmes.

Dans l’Egypte ancienne, les prêtres-médecins de Sekhmet (déesse à tête de lion) exercent cette fonction dominante mais n’empêchent pas une organisation sanitaire de la population par les sounous, sortes de dispensateurs de soins : une certaine Peseshet (2400 ans av. JC) aurait été la responsable des femmes médecins d’après les inscriptions sur son tombeau.

Dans la Grèce antique, toutefois, ce droit n’est pas reconnu aux femmes. Hippocrate, lui-même, à l’origine du serment solennel prononcé par les médecins à l’issue de leur thèse, estimait qu’elles devaient se cantonner aux accouchements.

Il faut croire qu’il n’a, peut-être, pas connu l’histoire d’Agnodice, vers 300 av.J.C. Malgré les interdits, elle réussira à être médecin. Son père étant farouchement opposé à ce quelle entame des études en ce sens, elle décide de se transformer en garçon et prend le nom de Miltiade. Devant son entêtement, le père se résout, finalement, à l’envoyer à Alexandrie pour qu’elle passe plus inaperçue, et la recommande à un médecin célèbre. Devenue gynécologue, elle/il se consacre à l’obstétrique et aux maladies féminines. Une fois rentré à Athènes, Miltiade s’installe et sa réputation s’étend dans tout le Péloponnèse. Mais, voilà qu’il/elle se trouve confronté(e) à une cabale initiée par ses confrères qui l’accusent de séduire et corrompre des femmes mariées. Alors, au cours du procès devant les archontes, elle se déshabille : médusés, ceux-ci lui signifient l’interdiction de poursuivre toute activité médicale. C’est, alors, que les Athéniennes ameutées et scandalisées se mettent à manifester et sous leur pression, réussissent à faire changer la décision des juges permettant, ainsi, à Agnodice/Miltiade de reprendre ses activités. Un an plus tard, la loi nouvelle autorisait les jeunes filles à faire leurs études de médecine.

 

 

agnodice

 

 

                                                             Agnodice devant ses juges 

 

Quand, vers octobre 1958, j’ai pénétré pour la première fois dans la nouvelle faculté de Médecine de la rue des Saints Pères  (Paris, 6ème arrondissement) qui ouvrait ses portes, un médaillon de 120 cm de diamètre apposé à la façade extérieure de l’établissement, n’avait pas, spécialement, retenu mon attention. Sculpté par Paul-François Niclausse (1879-1958) en pierre de Chauvigny, j’appris, un peu plus tard, qu’il représentait Agnodice devant ses juges.

Dans la sphère arabo-musulmane, au cours du Moyen-Age, des structures de soins, les Bismaristans, organisent l’apprentissage de la médecine et sont ouverts aux filles comme aux garçons d’origine chrétienne, juive ou musulmane : seule exigence, s’exprimer et écrire en arabe. Ces structures deviendront de véritables centres de soins pour les maladies physiques comme psychiatriques, des écoles de médecine et de soins bien en avance sur l’organisation et le développement institutionnel médical du monde chrétien. Les Bismaristans emploient du personnel féminin notamment des infirmières ayant satisfait aux épreuves de leur cursus scolaire mais, on y trouve des femmes médecins dont deux femmes célèbres originaires de la famille d’Avenzoar connu pour son habileté médicale et ayant eu pour disciple Averroès.

L’Occident, confronté à cette avancée de la science médicale arabo-musulmane où les femmes jouent un rôle reconnu, se trouve pris dans ses propres contraintes, à savoir la soumission des femmes au père ou au mari, à moins de se destiner au célibat monastique. L’exemple de Trotula de Ruggiero, décédée en 1097, vient quelque peu contredire cela. Grâce à son mari compréhensif et sa volonté d’aider les femmes qui vivent dans des conditions précaires, sachant que le taux de mortalité infantile et maternelle au cours des accouchements est désespérant, elle intègre la fameuse école de Salerne où d’autres femmes se consacrent aux études et aux soins et exercera la médecine et la chirurgie. Elle publiera un ouvrage intitulé « Le soin des maladies de femmes », très connu au Moyen-Âge et jusqu’au XVIe siècle. Aujourd’hui, elle est reconnue comme grand médecin et la première féministe de l’époque.

 

 

hildegarde

 

 

                                              Hildegarde de Bingen (1098-1179)

 

Hildegarde de Bingen  est considérée comme la première naturopathe de l’histoire et, compte tenu de sa carrière exemplaire au sein de l’église catholique, reconnue comme sainte en 2012 par le pape Benoît XVI. Très expérimentée en matière d’herboristerie et de plantes médicinales, elle a écrit plusieurs livres de médecine et des morceaux de musique que l’on joue encore, de temps en temps. De nombreuses femmes suivront son exemple dont une certaine Maîtresse Hersende, chirurgienne de Saint-Louis et de Marguerite de Provence, qui les accompagnera lors de la 7ème  croisade.

 

 

fac

 

 

                                        Faculté de médecine, rue des Saints Pères (Paris)

 

Mais la création des Universités va professionnaliser l’exercice de la médecine en exigeant une licence pour pratiquer. A Paris, l’université se ferme aux femmes qui ne peuvent obtenir cette licence, en raison de la nouvelle règlementation et des contraintes maritales. Elles ne sont plus considérées que comme pouvant exercer l’obstétrique-gynécologie, en se cantonnant à des qualifications non officielles de sage-femme, herboriste, apothicaire ou barbier-chirurgien, sans le titre de médecin, perdant, ainsi, en notoriété, simples « médecins non gradés » en comparaison de ceux qui, vêtus de longues robes comme au temps de Molière, avec le titre pompeux universitaire, se lancent dans de grandes démonstrations en latin, ajoutant, ainsi, un peu plus d’obscurantisme à une science qui avait, encore, beaucoup de chemin à faire pour s’imposer.

Une certaine Jacqueline Félicie de Almania sera interdite d’exercice sous le règne de Philippe IV le Bel, alors qu’elle pratiquait, avait le soutien de ses patients et du représentant de l’Université.

Cette décision s’imposera durant les six siècles suivants jusqu’au jour où Madeleine Brès deviendra docteur en médecine à Paris en 1875.

 

Jacques Lannaud

 

 

 

 



03/10/2022
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