Terre de l'homme

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Vers le pays de la reine de Saba : le train franco-éthiopien ( fin du voyage )

 

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Ainsi, dans ce pays au relief tourmenté, « un désert de lave noire, couvert de buissons épineux et sur 300 kms une inexorable solitude jusqu’aux plateaux du Harrar » ( H. de Monfreid ) où vivent des tribus sauvages et cruelles, au climat particulièrement inhospitalier, dans cet univers hostile commence l’histoire de la construction du train franco-éthiopien.

Après la gare d’Ali-Sabieh et le massif D’Ombouli, au paysage de végétation rabougrie succédait une immense plaine de sable, désertique. A l’horizon, une ligne bleue de montagnes et, miracle, un lac, de la verdure et des palmiers… ce n’était qu’un mirage. Le paysage est émaillé d’énormes monticules qui, nous dit-on, sont des termitières géantes ; des compagnies de perdrix ou de pintades sauvages s’envolent. La chaleur se fait moins intense. Diré-Dawa est à plus de 200 kms et à 1600 m d’altitude.

 La locomotive souffle de tous ses pores, des nuages de vapeur s’échappent de ses flancs.

La frontière franchie entre Ali Sabieh et Aïcha, les Ethiopiennes qui continuaient le voyage semblaient apaisées après avoir été secouées par les douaniers cherchant les marchandises qu’elles transportaient. Malines, elles les cachaient sous leurs jupons et, de religion musulmane, les douaniers chrétiens orthodoxes (coptes) n’osaient pas s’en approcher au risque de soulever des cris d’orfraie. Donc, maintenant, elles nous montraient sous leurs jupes leurs achats et ce fut une bonne rigolade.

Mais, la lassitude commençait à me gagner et, peut-être, vous aussi.

Cette ligne ferroviaire était le cordon ombilical reliant l’Ethiopie, enfermée sur son plateau à 2400 m,  entourée de massifs montagneux, à la mer et au port de Djibouti parfaitement équipé pour accueillir un trafic maritime d’export-import.

Construite par les Français entre 1897 et 1917, la Compagnie du C.F.E. a été exploitée jusqu’en 1981 . Ce fut une vraie épopée du savoir-faire français en matière ferroviaire où ingénieurs, techniciens, géomètres, géologues et de nombreux ouvriers firent montre de leur génie. Cela avait nécessité la construction de multiples ouvrages d’art, ponts, viaducs, tunnels, murs de soutènement et stabilisation des voies. Un génie venu tout droit de notre pays faisant briller notre pays dans le monde mais aussi par son histoire et d’autres réussites : canal de Suez, de Panama, Tour Eiffel, statue de la Liberté etc… Mais là, un succès pas seulement technique mais culturel. Nous apportions avec nous notre langue, notre littérature, notre siècle des Lumières, cette Révolution qui a fait le tour de la terre, ETC… et au long de cet axe, on s’exprimait en français jusqu’à Addis-Abeba. A la grande station ferroviaire de Diré-Dawa, les techniciens locaux du train étaient formés par leurs aînés français : là se situaient les ateliers techniques, là on bichonnait ces locomotives « La Buffle, La Rhinocéros, l’Antilope..La Brave, la Lion » et plusieurs autres encore dont la no1, en gare de Diré-Dawa.

Des hommes ont payé cette entreprise de leur vie : accidents, maladies, épuisement..avec des conditions climatiques éprouvantes et entourés de tribus dangereuses et cruelles.

 

 

La locomotive n°1 en gare de Diré Dawa

 

                                                              La locomotive n°1 en gare de Diré Dawa

 

 

Dans ses Lettres d’Abyssinie, H. de Monfreid nous donne un aperçu de ces conditions : « Je suis sous la pluie depuis trois jours et sous la petite tente de fortune où je suis abrité, j’entends crépiter la pluie  comme un roulement de tambour ininterrompu. La grande plaine herbue où j’ai dû m’arrêter n’est plus qu’un immense marécage où les flaques rouges d’eau boueuse font d’étranges dessins. Mes mules tournent le dos aux averses, immobiles, résignées, en secouant leurs longues oreilles à intervalles réguliers. Le ciel est noir partout, tout est plein d’eau, pas de bois pour faire du feu. Je ne sais pas trop ce que je vais manger. J’ai bien tué deux pintades qui ne verront pas d’inconvénient à ce que je les mange crues. Et puis zut, mon sel est fondu ! Il ne me reste que du sucre. »

Le 1er Janvier 1903, la voie ferrée Djibouti- Diré-Dawa est ouverte. Beaucoup se bousculaient pour obtenir un lot de ce colossal chantier de 473 km. Monfreid, ayant retrouvé un camarade de classe, écrit à son père : « La région où se trouvent nos travaux est en plein désert, pas d’eau, pas de pierre, rien que de la terre argileuse et grasse, dure comme le roc par temps sec et formant une boue glissante par les pluies. Il nous faudra plus de 600 coolies pour arriver à faire les travaux en temps utile et 20 km de chemin de fer Decauville.. ». Monfreid n’eut pas de chance, le chantier lui échappa au profit d’un Grec qui « faisait des prix de famine. »

 

 

henry de Monfreid vers 1925

 

                                                                          Henry de Monfreid

 

Après DD km 311, la montée se faisait de plus en plus dure ; le train avançait plus doucement. Allait- il flancher ? Non, mais, devant une rampe difficile, il s’élançait à toute vapeur dans la descente qui la précédait afin de prendre de l’élan. Il arriva qu’avant le sommet, la locomotive épuisée s’arrêta faute de pression. Elle redescendait, alors, à reculons, pour aller rechercher de l’élan puis attendait de refaire sa pression et se relançait.

Nous avions vu, déjà, des troupeaux de zèbres qui s’enfuyaient, des buffles à l’aspect redoutable, des autruches qui faisaient compétition avec le train. La végétation plus tropicale offrait des arbres en fleurs tels les flamboyants, des oiseaux aux couleurs multicolores. Dans une courbe, j’aperçus un grand ouvrage métallique au-dessus d’un canyon impressionnant. Le train s’approchait et, en même temps, on découvrait un paysage fabuleux : dans le fond à 35-40m, coulaient les eaux torrentueuses du fleuve Aouache.

 

 

fleuve Aouache

 

                                                                               Le fleuve Aouache

 

 

Je n’en menais pas large tant le vide était impressionnant et la voie perchée aussi haut, tremblant de peur qu’elle s’effondre. Le train prit, alors, une allure plus rapide après avoir franchi la grande montée du plateau ; maintenant, nous étions à une altitude de 2000 m. De grandes étendues  herbeuses s’étalaient où fuyaient des antilopes de toutes espèces, des vautours et de grands oiseaux ; des huttes rondes couvertes de chaume au toit fumant, des habitants qui nous saluaient. Nous n’étions pas loin de Modjo où j’allais revenir plus tard. De grands arbres aux troncs rectilignes se faisaient de plus en plus nombreux : des eucalyptus. Je sentis que le voyage allait se terminer. Le ciel sans nuages, un soleil radieux nous accueillirent en gare d’Addis-Abeba « La Nouvelle Fleur » .

Quand je descendis du train, je sentis mes jambes un peu engourdies, l’air nous caressait le visage. J’écarquillais les yeux : devant, partait de la gare une grande avenue qui plongeait dans la ville perdue dans une immense forêt d’eucalyptus qui embaumait.

 Nous montâmes dans un véhicule qui nous attendait, on descendit l’avenue « Winston Churchill » qui remontait ensuite, puis on prit une autre artère sur la gauche. Peu après, on descendit une sorte de chemin rocailleux creusé par les pluies.

Devant nous, un grand portail où je lus sur un des montants : ALLIANCE FRANCAISE. 

 

FIN

 

Jacques Lannaud

 



06/03/2021
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