Vers le pays de la reine de Saba : le train franco-éthiopien, l’ascension du plateau jusqu’à 2400 m
Le docteur Jacques Lannaud nous entraîne dans la suite de son voyage qui le conduisit en 1946 des Eyzies à Addis Abeba
A lire En route vers le pays de la reine de Saba 1ère partie
et En route vers le pays de la reine de Saba 2ème partie
Je regardais défiler le paysage brûlé par le soleil, désertique, réduit à quelques îlots d’une végétation rabougrie, apercevant, au loin, la tache blanche, éblouissante du lac Assal à travers les vitres du train qui allait son petit train-train.
Nous quittions Djibouti après deux jours d’une chaleur accablante et humide, les monticules de sel ponctuaient la côte et l’air, déjà, chauffé à blanc par les rayons du soleil, frissonnait, faisant trembler les lignes.
Notre court séjour avait été animé. Seul moment de détente après un parcours prolongé des rues de la ville pour la régularisation des visas, s’assurer des places réservées dans le train, l’enregistrement des bagages, ce moment où nous avions retrouvé à la terrasse d’un café du centre-ville, des compagnons de voyage. Mon père avala d’un coup une longue gorgée de son pastis et, soudain, grimaça de dégoût. Ses voisins impassibles pouffèrent légèrement lui apprenant que l’eau du pays était saumâtre, magnésienne. En France d’où on arrivait, eux rajoutaient du sel à l’eau du pastis pour retrouver leur goût habituel au grand dam des serveurs qui n’en revenaient pas.
Petite escapade au lac Assal à -153m en-dessous du niveau de la mer, alimenté par des infiltrations d’eau de mer et des oueds, endroit magnifique que je voyais, maintenant, s’évanouir à travers la vitre. Une dernière fois, je distinguai des boutres avec leur aspect caractéristique, leur long mât, la voile triangulaire, leur proue fine et racée et je ne pouvais m’empêcher de penser à H. de Monfreid et à ses escapades à travers le détroit.
Elégante somalie
Le départ avait été agité et bruyant. De nombreuses femmes de contrées que desservait le train, repartaient : elles étaient venues vendre leurs produits et avaient fait leurs propres emplettes en ville. L’excitation était à son comble ; elles s’engouffraient dans les wagons où elles étaient en surnombre. Elles portaient de longues tenues de tissus bariolés, serrées à la taille avec voile sur la tête et visage découvert. Je remarquai leurs traits fins, le nez droit, les lèvres un peu épaisses.
Après avoir retrouvé nos places, nous nous étions installés sur des sièges et banquettes recouverts d’un simili-cuir bien chaud.
Voici que la rencontre avec des cheminots français du train nous avait appris qu’auparavant, des draisines avaient quitté les gares de Djibouti et Diré Dawa pour inspecter les voies car éboulements, affaissements voire barrages mal intentionnés …étaient possibles. La crainte, en effet, venait de ces bandits appelés « chiftas » des ethnies dankalis voire Issas pour d’éventuels rackets et qui, en outre, n’hésitaient pas à prélever des éclisses, nécessaires à la fabrication de lances et de poignards. Toutefois, à la suite de raids dans les années antérieures, l’armée française organisait des patrouilles régulières.
Nous étions à environ 30 ou 40 kms du départ et défilait une végétation d’épineux, mimosas rabougris aux feuilles vernissées, aux branches chargées d’épines d’une hauteur d’un mètre quand apparut un troupeau de dromadaires et des huttes recouvertes de peaux de ces animaux.
J’étais bien loin de ma campagne périgourdine et n’étais pas au bout de mes découvertes.
Quelques masures dans un lieu désertique, rien à l’horizon, le train ralentit et s’arrêta, la crainte d’un arrêt imprévu nous saisit. Mais non, c’est une gare qui n’en a que le nom, Holl-Holl. Et arrivent des femmes chargées de fruits et de fruits de cactus, notamment, avec de curieux récipients que l’on me dit être des calebasses, un genre de courge, remplies d’un lait aux reflets verdâtres, plus ou moins caillé, du lait de chamelle destiné à nous désaltérer. Ces femmes sont gentilles, souriantes, articulent quelques mots de français et, devant leur misère, mes parents se laissent tenter. Nous goûtons au beuvrage non sans quelques hésitations, il est frais, le goût un peu âcre, sentant un peu la fumée (car, nous dit-on, la calebasse est préparée à l’intérieur en brûlant des herbes pour la tapisser et la rendre imperméable). Quelques gorgées font l’affaire, malgré tout, nos estomacs restent paisibles. Mais, que croyez-vous que faisait le train pendant ce temps ? Eh bien, lui aussi, s’était rechargé en eau auprès de containers perchés sur des portiques en ferraille avec un gros manchon.
Car, les premières rampes d’un long plateau à gravir se présentaient et ces vieilles locomotives françaises ou suisses des années 20, robustes, grimpaient doucement ces premiers contreforts, sans fléchir, mais entourées de nuages de fumée blanche que nous voyions gicler de partout. Des femmes s’étaient approchées de la locomotive d’où l’eau ruisselait pour tenter d’en recueillir dans leur gourde ; mais, certaines ayant gagné la faveur du chauffeur ou du mécanicien, repartaient leur récipient plein.
Le train se remit en marche, je sentais le sommeil me gagner et me laissais tenter par un petit somme me souvenant que j’avais soigneusement placé dans une poche devant moi, ce document que m’avait donné un des cheminots du train en me disant : « Tu auras tout le temps de le lire pendant le voyage ». Il racontait l’histoire de la construction de cette voie ferrée par les Français, des ingénieurs et techniciens courageux qui s’étaient attaqués à ce parcours sauvage et très accidenté, n’hésitant pas à affronter tous les dangers !
Jacques Lannaud
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Demain : Les gaufres coustalétoises de grand-mère.
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