Terre de l'homme

Terre de l'homme

Il s'appelait Pierre

 

Il s'appelait Pierre.

 

Catherine Merlhiot et son parrain Jacques Lannaud, dans ce volet final, rendent hommage au fondateur de "Terre de l'homme".

 

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Cath

 

 

 

L'hommage filial de Catherine Merlhiot

 

Après tous les témoignages et hommages qui viennent d'être rendus et qui nous font chaud au coeur, j'ai souhaité essayer de vous faire partager à mon tour qui était Pierre Merlhiot.

 

J'avoue que ce n'est pas facile car il était extrêmement pudique, je dirais même secret, y compris pour sa famille.

Il cachait, je le sais maintenant, une blessure profonde rapportée d'une guerre dont on  a longtemps tu le nom. Et comme tous les jeunes gens de sa génération qui ont partagé cette cruelle expérience, comme son frère Robert, il n'en a longtemps pas parlé. Il avait toutefois commencé à livrer quelques souvenirs dans le blog auquel il  se consacrait avec passion les deux dernières années de sa vie.

 

Il écrivait ainsi en février dernier dans un article intitulé "Sur la pointe des pieds" : "Dans les années 50, peu de jeunes avaient quitté leur univers familier et fait des voyages à l'étranger et un beau matin, embarquement dans des wagons destination Marseille, le camp Sainte Marthe, embarquement pour Alger, Alger la blanche, sous le soleil mais rêve aussitôt dissipé par le départ vers le lointain Constantinois....Si j'évoque pour la première et la dernière fois un des épisodes que j'ai vécus, c'est que je tiens à rendre hommage à mes camarades dont on comprend maintenant le mutisme ou la discrétion et qui nous nous ont quittés sur la pointe des pieds."

 

Cette guerre l'a marqué pour la vie.

 

 

photo foot Eyzies

 

 Les copains

 

Pierre, au 2ème rang debout, 4ème à partir de la gauche et René à sa gauche . Robert, son frère tenant le ballon.

Image d'archives personnelles.

 

Parler de lui-même, faire des confidences, les effusions de sentiments, ce n'était pas son genre.

Pour lui l'amitié était sacrée et la fidélité à ses amis une ligne de conduite sans faille. C'est pour cela que j'ai choisi de vous lire l'hommage qu'il voulait rendre à son ami René Faure disparu un mois jour pour jour avant lui et qu'il venait d'achever de rédiger la veille de sa mort. Hommage difficile à écrire, qu'il avait repris plusieurs fois : la peur de ne pas être à la hauteur de cette amitié mais aussi parce qu'il fallait y livrer ses sentiments, forcer sa nature. Ce texte révèle mieux que je ne pourrais le faire,  la force de l'amitié, l' attachement pour sa terre natale Les Eyzies, ses bois, ses rochers, la Vézère et la Beune, cette nature splendide et aussi son amour des siens et de la poésie. Je vais vous lire cet hommage qu'il avait intitulé.

 

signification de la rose blanche dans le langage des fleurs

Image langage des fleurs 

 

Il s'appelait René.

"Cela fait quelques jours que mon ami René a disparu. 

C'était mon ami, mieux encore, mon copain, les derniers se comptent sur les doigts de la main.

La guerre d'Algérie avait renforcé nos liens. C'était il y a plus de 60 ans !

On s'était connus sur les bancs de l'école puis tout au long de notre vie, jusqu'à cette dernière partie de pétanque sous l'oeil toujours curieux et narquois des touristes de passage. 

René avait cette faculté étonnante de lire dans vos pensées, de disséquer votre personnalité. On ne pouvait se soustraire à ce regard auquel on ne pouvait rien dissimuler. Nous le taquinions parfois sur son perfectionnisme poussé à l'excès mais il ne s'en offusquait pas et restait imperturbable.

Voilà le garçon que j'ai connu, égal à lui même tout au long de sa vie et avec lequel j'ai partagé les bonheurs que nous procurait cette nature, entre rochers que nous escaladions et Vézère et Beune où nous pêchions la truite.

Ecolier en semaine, à la sortie de classe, nous fabriquions nos jouets avec les moyens du bord : une baguette de noisetier et une ficelle et voilà un arc.. et c'est en toute liberté que nous parcourions cette nature, nous éloignant de la maison et quand venait l'heure du repas, nos mères montaient sur les rochers et l'écho de leurs voix qui portaient loin nous exhortait à rentrer. 

Enfant de choeur le dimanche, nous nous disputions pour avoir un surplis et tirer la corde de la cloche qui nous projetait en l'air.

Et puis nous avons grandi ...

C'est au cours de notre dernière partie de pétanque que j'ai eu le pressentiment que nous allions devoir nous quitter.

L'amitié est une chose simple, née au gré des circonstances et qui s'étoffe avec le temps.

Nous étions nés dans le même village et nous n'avions de cesse de nous voir.

Maintenant nous n'aurons plus le temps d'aller pêcher  la truite,

Nous n'aurons plus le temps de parler de football,

Nous n'aurons plus le temps de nous serrer la main.

                               

Mais regardant la photo de notre équipe de foot, je le vois sourire, comme les copains et j'ai la certitude que nous avons été heureux.

 

Tu me manques René.

 

Je t'adresse ce poème que j'ai lu dans ma jeunesse :

 

Vaisseaux, nous vous aurons aimés en pure perte ;

Le dernier de vous tous est parti sur la mer,

Le couchant emporta tant de voiles ouvertes

Que ce port et mon coeur sont à jamais déserts.

 

La mer vous a rendu à votre destinée,

Au-delà du rivage où d'arrêtent nos pas.

Nous ne pouvions garder vos âmes enchainées ;

Il vous faut des lointains que je ne connais pas.

 

Je suis de ceux dont les désirs sont sur terre.

Le souffle qui vous grise emplit mon coeur d'effroi,

Mais votre appel, au fond des soirs, me désespère,

Car j'ai de grands départs inassouvis en moi.

 

(Horizons chimériques de Jean de la ville de Mirmont)

 

Pierre Merlhiot 

 

 

J'espère que son ami René  entendra ce poème, que les rochers des Eyzies lui en porteront l'écho.

 

Pour moi ces rochers résonnent à jamais des voix puissantes des mères qui exhortaient leurs gamins épris de liberté à rentrer le soir à la maison.

C'est la voix de ma grand-mère Margot qui traverse le temps pour parvenir jusqu'à nous et je sais, papa, qu'elle t'accueille aujourd'hui auprès d'elle, de Félicie, de Paul et de Robert.

 

 

Catherine Merlhiot 

 

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Hommage à Pierre Merlhiot le 14 Septembre 2022

Ancien maire des Eyzies-de-Tayac, ancien conseiller général de la Dordogne (canton de Saint-Cyprien).

 

 

Jacques Lannaud

 

 

L'hommage du Dr Jacques Lannaud, cousin de Pierre Merlhiot.

 

Suzette, c’est une bien triste nouvelle que tu m’as apprise, j’ai compris, tout de suite, que l’état de santé de Pierre s’était gravement détérioré au point de l’hospitaliser en urgence et les faits, malheureusement, ont confirmé tes craintes.

 

Cher Pierre, nous avons partagé de longs moments ensemble au cours de notre enfance et de notre jeunesse et, plus, tard, nous prenions plaisir à rappeler ces chers souvenirs qu’illustrent de vieilles photos retrouvées dans de vieux cartons dispersés parmi d’autres.

Au cours de nos longs entretiens, certes nous refaisions le monde, le voulant meilleur mais préoccupés des évènements actuels et de l’avenir.

Souvenirs communs, ici même, aux Eyzies où l’on parcourait ces chemins escarpés sur les rochers au bord de la falaise, où nous prenions plaisir de voir ce paysage paisible, les peupliers bordant la rivière s’inclinant poussés par le vent, ces rochers , cette Vézère sur les berges de laquelle pêchaient , sans doute, nos ancêtres Cro-Magnon, le train repartant de la gare crachant sa vapeur blanche de tous côtés et sifflant, le Bareïrou, la Beune et ce cingle magnifique face à nous.

Nos baignades furtives, nos canotages en catimini, nos parties de cigarettes en cachette, la pêche à la friture : gardons, ablettes, goujons dans l’eau claire et fraiche de la Beune, les écrevisses, les truites. Quelle passion tu avais pour le lancer et quelle adresse pour accrocher ce vif salmonidé.

Souvenir de notre voyage d’écoliers en Allemagne aux détours de la guerre, organisé par les écoles publiques de la Dordogne, merveilleux voyage en train arrosé d’une généreuse dégustation des vins blancs de la Moselle qui nous avaient troublé la tête.

Oui, nous aimions nous rappeler tous ces bons moments, la chasse au canard avec ton frère Robert et ton père quand la gelée et le froid nous pinçaient le visage et les extrémités dans le petit matin clair quand la brume s’élevait au-dessus des étangs de la Beune et que le soleil en faisait resplendir la surface blanche et glacée.

La cueillette des champignons dans ces petits sous-bois que tu connaissais par cœur où on respirait les odeurs de l’automne écoutant les feuilles craquer sous nos pas et l’oiseau dans les fourrés poussant son cri aigu en s’envolant.

Rien ne peut effacer de nos mémoires ces instants de joie et de bonheur, l’enfance est toujours un port d’attache.

Erudit tu l’étais, passionné de nos grands auteurs, ceux du XVIIe siècle et des siècles ultérieurs qui ont porté notre langue aux sommets de la culture et du raffinement littéraire, nos grands poètes que tu relisais sans cesse, richesses de notre langue que tu citais régulièrement dans tes articles du blog, tous ont cimenté notre langue, notre culture et par là-même notre identité.

Mais, tes centres d’intérêt ne s’arrêtaient pas là : tout autant tu t’es jeté avec ardeur dans la préhistoire et l’art rupestre, vocation toute naturelle au pays de Cro-Magnon, tu t’es passionné pour ces vieilles pierres toutes usées, pour ces églises des siècles anciens, ces châteaux de la Dordogne qui la dominent fièrement, vestiges de notre histoire moyenâgeuse et de la guerre de Cent Ans, pour ce château de Commarque, superbement restauré, fier et noble sur son promontoire dominant la Beune où tu allais pêcher les écrevisses.

Mais, pas seulement, tu as exercé des mandats de maire des Eyzies et de conseiller général de la Dordogne et en tant que tel de premier vice-président : dans cet esprit-là, tu as bataillé pour garder et faire resplendir ce patrimoine unique, le protéger car, comme tu l’avais compris, c’est devenu une richesse sans pareille pour ce Périgord noir avec les musées et les grottes préhistoriques.

Souvent, à l’occasion, ressurgissaient nos petites escapades au château des Milandes où nous retrouvions Joséphine Baker et l’orchestre de Jo Bouillon, période que tu as fait revivre dans un très bel article sur Joséphine.

Au fil des ans, tu as tracé ta route, elle grimpait. L'envie t’a pris d’aller voir ce qu’il y avait dans notre Europe, en Irlande, en Suède, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Grèce, mère de notre civilisation et en Angleterre où tu as perfectionné ton anglais et ta connaissance de la littérature anglo-saxonne.

Fondateur du blog « Terre de l’Homme », tes articles ont toujours recueilli une franc succès et de nombreux lecteurs ne manquaient pas de les lire et de te faire des louanges pour leur qualité littéraire, l’intérêt des thèmes abordés et ton style pur, élégant et vif.

Tu nous quittes emportant avec toi tout ce capital intellectuel, toute ton érudition mais le blog n’oubliera pas son père fondateur.

Mon affection va à Suzette, Catherine, Véronique, Francine, Odette, Sylvie, Olivier, Daniel..., nous partageons tous ici votre douleur et vous assurons de notre compassion. Adieu Pierre. Va en paix.

 

Jacques Lannaud

 



19/09/2022
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