Terre de l'homme

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De belles gens. Suite n° 35. Saga de Françoise Maraval

 

 

DE BELLES GENS

 

 

 

Épisode 35

 

 

 

 

Le voyage du père,

 

 

Résumé de l’épisode précédent :

 

Sur les hauteurs de Montmartre, Yvonne et Achille attendent leur troisième enfant. Chez les Lamaurelle, la maison se trouve un peu vide depuis le départ d’Henriette et de Jeanne, pensionnaires au Cours Complémentaire de Belvès.

Rue de la Mairie, la famille Maraval énoise et jardine. La petite Marcelle a maintenant un an et demi : elle court et babille beaucoup. Sa mère, Alice, veuve de guerre, travaille toujours à l’hôtel de la Poste chez Louis Janot. Fonfon se passionne pour son travail : il est mécanicien auto.

Route du Bugue, Arthur travaille pour l’usine de chaux des Tuilières pendant que son fils Jean est apprenti-tailleur d’habits chez Mme Cabannes. Emma gère toujours sa petite entreprise de roulier.

Le souvenir des deux morts pour la France, Marcel Destal et André Maraval, plane encore et toujours dans tous les esprits.

 

Dix jours après l’inauguration du monument aux morts, Yvonne a mis au monde une jolie petite fille, Clémence, dans leur nouvelle maison du carreyrou de Montmartre. Ses grandes sœurs Yette et Aimée, respectivement 5 ans et 2 ans, surveillent le berceau. La jeune maman a dû abandonner ses heures de ménage pour se consacrer à sa petite famille. Heureusement, le papa, Achille, vient de recevoir sa part d’héritage concernant la vente de la maison de Lanouaille qui avait en partie brûlé en 1914, à la veille de la Grande Guerre. L’emplacement, plein centre-ville, a permis de valoriser le bien et le capital de la vente a été partagé en quatre parts égales entre Anastasie- la mère-, Angèle - la sœur-, Élise- la demi-sœur- et donc Achille. Les allocations familiales vont aider à mettre un peu de beurre dans les épinards.

 

Rue de la mairie, chez Jeantou Maraval, on pense, de plus en plus,  au grand voyage en direction du nord de la France. La famille a enfin reçu l’information qu’elle attendait depuis longtemps : l’emplacement de la tombe du fils, André Maraval, mort pour la France, pendant la bataille d’Ypres en avril 1915. Pour partir, on attend la majorité de Fonfon qui aura lieu le 17 mai 1923. Une fois majeur, il va pouvoir obtenir officiellement son permis de conduire, le petit papier rose.

 

Le 14 août 1893, alors qu’il y avait 1700 véhicules en France, le préfet Louis Lépine instaure l’obligation du certificat de capacité pour circuler en véhicule à moteur dans Paris : il consiste à savoir démarrer, tourner et s’arrêter. En 1922, le permis de conduire remplace le certificat de capacité.

 

                                                                                                                                                        

 

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Nous sommes en juin, Alphonse Maraval a été reçu à l’examen du permis de conduire et, désormais, il a son papier rose en poche. Auparavant, il circulait sur les routes du canton avec la bénédiction du chef de gendarmerie de Saint-Cyprien, un arrangement entre Antoine Veyssière, le garagiste, et les gendarmes. Maintenant, il peut sillonner les routes de France et de Navarre.

Pour monter à Ablain-Saint-Nazaire dans le Pas de Calais, Arthur le laissera conduire par moments et ne manquera pas de lui faire les remarques qui s’imposent.

 

Arthur s’est mis d’accord avec Antoine Veyssière qui accepte de lui louer sa plus spacieuse voiture et il a trouvé à acheter à la librairie Daudrix, une grande carte routière de la France. Avec Fonfon, ils ont préparé l’itinéraire et repéré les endroits pour s’arrêter casser la croûte et dormir. Ils ne vont pas se mettre la pression, ils prendront leur temps.

C’est Milou Veyssière, le fils du garagiste et copain de Fonfon, qui remplacera Arthur à l’usine. Il a obtenu son permis en même temps que son pote et Arthur a pris la précaution de lui faire faire un essai en restant à ses côtés. Tout va bien !!!

 

 

                                                                                                                                                       

Vous vous imaginez bien que le patriarche est dans tous ses états, il en a le vertige, lui qui n’est pas allé plus loin que Limoges et, en plus, en train. Le matin attendu est arrivé. En ce beau mois de juin qui débute, les hommes sont prêts à partir à 7 heures précises : le patriarche, Arthur, Fonfon et Jeantou junior. C’est une affaire d’hommes. Les conducteurs ont pris les places de devant tandis que les deux Jeantou sont à l’arrière. La voiture permet à Junior d’étendre sa jambe raide. Les adieux sont faits, les poutous échangés, il faut partir. Encore une fois, on ne se met pas de pression : on espère seulement être à Paris pour la nuit.

 

Les provisions et les petites valises sont dans le coffre ; on s’arrêtera régulièrement pour faire des pauses, revoir la carte routière et faire l’échange des chauffeurs. L’habitacle est silencieux, on se contente de regarder la route et pour les passagers, le paysage.

Après Limoges et le premier casse-croûte, Fonfon prend le volant. La traversée des villages et surtout des villes font défiler les heures. L’itinéraire ne quitte pas la RN 20 : Châteauroux, Vierzon, Orléans, Paris. 573 km !... et nous sommes à l’hôtel-restaurant du Périgord à la porte d’Orléans. C’est Henri Destal qui a retenu deux chambres et il est présent à leur arrivée. Il ne faut pas s’éterniser à table, tout le monde est fatigué.

 

Le patriarche ne peut pas dormir. Maria lui manque ! Depuis son mariage, il ne s'est pas endormi sans avoir son épouse à ses côtés. Il tâte le drap, sous les couvertures : non, Maria n’est pas là. Il revoit défiler le cours de sa vie du « Maine » à Belvès pour aboutir à Saint-Cyprien, en passant par « le Péchaunat » à Sagelat et par Le Coux. Et c’est seulement sur le matin que Morphée lui ouvre les bras.

 

Sur les conseils d’Henri, frais et gaillards- pas tout à fait- ils empruntent le boulevard des Maréchaux, œuvre d’Haussmann, préfet sous le second Empire, et s’en échappent à la porte de la Chapelle : direction le Pas-de-Calais. Fonfon a envie de chanter : «  Avec l’ami Bidasse » mais les circonstances ne sont pas là.

 

Avec l’ami Bidasse

on ne se quitte jamais,

attendu qu’on est,

tous deux natifs d’Arras,

chef-lieu du Pas d’ Calais.

 

Cette chanson « Quand Madelon » ( musique d’Henri Mailfait et paroles de Louis Bousquet) a été chantée sur tous les fronts en 1916. Elle est rapidement traduite en anglais et, aussitôt, un certain Yvonnek l’interprète dans les camps américains ; les Anglais s’en emparent aussi.

 

Le trajet se fait dans le recueillement et enfin, le village d’Ablain-Saint-Nazaire est en vue. On décide de prendre d’abord, le déjeuner, et après on aura tout l’après-midi pour la visite.

Les voilà devant l’entrée du sanctuaire. Ils se présentent devant la loge du concierge  qui les salue et les félicite d’être venus d’aussi loin. Un guide les accompagne jusqu’à la tombe : grand moment d’émotion. Arthur et Fonfon entourent leur père tandis que Jeantou junior est un peu en retrait. Des flots de larmes communicatives s’échappent des yeux du patriarche, il ne veut pas les retenir, il faut qu’elles ruissellent, qu’elles le libèrent, qu’elles le soulagent.

 

La tombe du fils est bien identifiée grâce à une sobre croix blanche. On sait que la tombe 10934 est la tombe du jeune poilu, André Maraval, mort pour la France, alors qu’il n’avait pas encore 20 ans ; 20 ans, vous vous rendez compte… Chaque tombe est fleurie de fleurs artificielles de bon goût. L’ensemble est magnifique. A cet instant, Jean Maraval renonce à faire rapatrier le corps de son fils. Il faut qu’il reste au milieu de ses camarades de combat.

                                                                                                                                                        

Au bout d’un moment raisonnable, le guide propose de leur faire découvrir le site et ils pourront terminer la visite par un dernier recueillement devant la tombe d’André. C’est entendu ! il peut commencer :                                                                                                                                                 

- « la Nécropole Nationale de Notre-Dame-de-Lorette* a été créée sur le site de l’ancien oratoire du XVIIIème siècle, fondé par un peintre du village après son retour d’ un pèlerinage à la Sainte Maison de Lorette à Loreto en Italie. Elle est installée sur une colline de 165 mètres où les batailles qui se déroulèrent d’octobre 1914 à octobre 1915, firent 100.000 morts et autant de blessés. C’est la plus grande nécropole militaire française.

                                                                                                                                                        

Le petit cimetière créé en 1915 a été agrandi pour accueillir, les années suivantes, les corps des soldats français provenant de plus de 150 cimetières des fronts de l’Artois, de l’Yser, et du littoral belge : 40.058 corps reposent ici dans des tombes individuelles  et dans huit ossuaires.

 

 

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- Vous pouvez voir la tour-lanterne, haute de 52 mètres, avec son phare visible à plusieurs kilomètres à la ronde. Elle abrite en sa chapelle, dans la crypte, un ossuaire ayant recueilli les corps de plusieurs milliers de soldats non identifiés. La première pierre a été posée le 19 juin 1921 par le maréchal Pétain et l’évêque d’Arras, Eugène Julien.

 

La tour-lanterne et la basilique de Notre-Dame-de-Lorette sont les œuvres de Louis Cordonnier et de son fils. Cette dernière est de style romano-byzantin : elle présente des fresques religieuses et des vitraux qui évoquent les grands événements de la Grande Guerre. Les murs sont recouverts de plaques à la mémoire des soldats. Elle sera inaugurée prochainement.

 

Sur le site, on trouve sept autres ossuaires. Je vous rappelle que ce sont les corps des soldats non identifiés. Votre fils, André Maraval, a été identifié ; c’est pour cette raison qu’il a une tombe individuelle. Je vous laisse maintenant aller vous recueillir une fois de plus, devant la croix de votre soldat et je vous souhaite un bon retour en Périgord.

 

Arthur a sorti quelques pièces de sa poche et les a glissées dans la main du guide, pendant que Jeantou senior remercie le ciel d’avoir donné une sépulture individuelle à son fils. Imaginer le corps d’ André dans un ossuaire, le rendrait malade...

 

Ils sont de nouveau devant la croix blanche, celle de leur soldat. Il va falloir se quitter et garder en mémoire cet instant. C’est à ce moment qu’ils sentent une présence : celle d’un photographe sorti d'on ne sait d’où. Il propose de les photographier devant la tombe : c’est non ! Il y en a toujours qui profitent du malheur des autres. Arthur revient sur la proposition, il veut une photo de la tombe seule, avec le nom « Maraval »bien lisible. Le père trouve que c’est une bonne idée ; il pourra ainsi revoir cet instant partagé en famille et  faire découvrir la tombe à la mère d’André.

Arthur s’acquitte du montant et donne son adresse : on compte sur lui !!!

 

Revenus à la voiture, le père lance cette phrase :

- Maintenant, je peux mourir...

Il la reprendra plusieurs fois  pendant le chemin de retour.

 

Comme convenu, ils retrouvent Henri Destal à la porte de la Chapelle et ils ont décidé de s’attarder un peu dans Paris. Ils reprennent le Boulevard des Maréchaux, en sens inverse, et au bout du Boulevard Péreire, ils empruntent l’avenue de la Grande Armée pour aboutir à la Place de l’Étoile et à l’Arc-de-Triomphe. Après une courte halte, direction la Tour Eiffel, le Champ de Mars.

L’hôtel-restaurant du Périgord leur ouvre les bras à la porte d’Orléans. Cette nuit, Jean Maraval va bien dormir, il le sait.

 

Comme prévu, ils partent de bonne heure. Henri s’invite, il a besoin de revoir son Périgord et, bien sûr, sa sœur Emma. Le voyage est plus vivant qu’à l’aller et c’est dans la soirée qu’ils arrivent à Saint-Cyprien. Le patriarche s’effondre dans les bras de Maria et dit pour la dernière fois :

 

- Maintenant, je peux mourir…

 

 

 

Françoise Maraval

 

 

                                                                                                                                                         

* La nécropole sera inaugurée le 2 août 1925 avec son immense cimetière , sa place d’Armes, les ossuaires, la basilique et la tour-lanterne par le président du Conseil Paul Painlevé.

 

Dans la crypte de la chapelle, fut inhumé, le 16 juillet 1950, en présence de Guy Mollet et de Louis Jacquinot, ministre des anciens combattants, un Soldat inconnu de la Seconde Guerre mondiale. En 1955, la crypte recueille les cendres de déportés disparus dans les camps nazis.

 

Puis, une tombe du Soldat inconnu de la Guerre d’Algérie y a également été inaugurée, le 16 octobre 1962.

 

En 1977, la dépouille du Soldat inconnu de la Guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de Tunisie y fut inhumée à son tour.

 

Enfin, le 8 juin 1980, ce fut le corps du Soldat inconnu de la Guerre d’Indochine qui y fut transféré.

 

Le 11 novembre 2014, à l’occasion du centenaire de la Grande Guerre, est inauguré par le Président de la République, François Hollande, le Mémorial international de Notre-Dame-de-Lorette sur lequel sont gravés les noms de 600 000 soldats de toutes les nationalités morts en Flandre française, en Artois,  entre 1914 et 1918. Ce monument devient un lieu de commémoration intergénérationnel et international.

Ce mémorial, dessiné par Philippe Prost, constitue un anneau d’un périmètre de 345 m sur lequel sont inscrits les noms des soldats par ordre alphabétique, sans distinction de nationalité, de grade ou de religion : C’est l’Anneau de la Mémoire.

 

 

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Bordure enlevée

 

 

 



17/08/2022
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