Terre de l'homme

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La rose de l’Alhambra par Françoise Maraval -épisode 7

 

7

 

L'héritier

 

Depuis le début avril, l’air était devenu enchanteur, les bigaradiers étaient en fleurs et dégageaient un parfum doux et subtil qui se répandait jusque dans la maison et venait chatouiller les narines. Isabella aimait cette odeur enivrante qu’elle découvrait pour la première fois. Ces arbres en fleurs, ces citrus sinensis, offraient un spectacle grandiose d’une beauté époustouflante.

 

 

 

 

La fleur du bigaradier : l’azahar

 

Cette fleur d’un blanc immaculé a donné son nom à toute la côte de la région de Valence : la Costa del Azahar.

 

La date de l’heureux évènement était annoncée pour la fin du mois ; tous les Almanzar étaient fébriles. Miguel, l’époux d’Isabelle, passait beaucoup plus de temps avec elle et il la promenait dans la propriété que, jusque-là, la jeune Française n’avait pas encore découverte en totalité. On avait mis de côté les cours de valenciano. Ces fleurs au parfum enchanteur, juste cueillies, Pedro, le demi-frère de Miguel, partait chaque matin, les déposer à l’atelier de distillation de Bárriana.

 

Doña Luciana se rendait, plusieurs fois par jour, à la chapelle, accompagnée de son abbé. Elle priait pour que l’accouchement se passât bien et pour que le bébé fut un enfant de sexe masculin afin qu’il perpétue la lignée des Ferrero-Almanzar. Elle s’était radoucie avec tout le monde et Isabelle pouvait, maintenant, échanger avec elle, grâce à l’apprentissage du valenciano. La future mère avait fait beaucoup de progrès et, pendant leurs instants privés, elle avait demandé à son époux de corriger sa prononciation et erreurs grammaticales. Elle voulait parler le valenciano, sans accent.

 

Juan de Almanzar, de son côté, remplaçait son fils sur le terrain et il avait retrouvé une certaine jeunesse. Depuis qu’il avait installé son fils naturel Pedro et sa mère, devenue veuve, dans son ancien cabanon dont le confort avait été considérablement amélioré, il s’éclipsait du travail pour rendre visite à sa maîtresse. Ce n’était pas facile car doña Luciana le faisait surveiller.

 

Enfin, l’enfant est arrivé comme prévu, fin avril. L’accouchement a été difficile car le bébé était un bel enfant de plus de quatre kilos. Le ciel avait envoyé au jeune couple, un fils, un héritier. Don Juan et doña Luciana étaient fous de joie et l’« abuela », la grand-mère, était persuadée que ses prières n’y étaient pas étrangères. L’enfant a été baptisé sur-le-champ. Les prénoms de ses grands-pères lui ont été attribués : Juan, prénom de « l’abuelo » paternel, Arthur, prénom du grand-père maternel et Luis, prénom du père de doña Luciana. C’est Juan qui a été retenu comme prénom usuel pour le plus grand bonheur du grand-père concerné.

 

Avertis de la naissance de leur petit-fils, Arthur et Marguerite Garrigue, qui se tenaient prêts depuis quelques jours, prirent le bateau à Sète. Ils arrivèrent, comme les rois mages, chargés de présents pour fêter dignement l’arrivée du petit Juan.

Que de têtes au-dessus du berceau, à regarder la huitième merveille du monde ! Tout de même, ce petit est bien brun, pensaient les propriétaires du « domaine des Belles Demoiselles » qui n’avaient connu que des bébés très blonds. Le vin a coulé à flots et la cuisinière de la huerta a suivi, sans rechigner, les cours de cuisine de Marguerite, la grand-mère française.

 

Émerveillé et impressionné par la récolte de l’azahar, Arthur Garrigue s’est porté volontaire, plusieurs jours de suite, dès potron-minet, pour participer à la cueillette de cette fleur délicate. Une jolie Valencienne lui a appris le geste sûr et rapide pour la détacher de son pistil sans entacher sa virginité.

À 10 heures, avant que les pétales ne perdent leur subtil parfum, le Français suivait Pedro, le fils naturel de don Juan de Almanzar, à Bárriana où il a demandé à assister à la distillation à la vapeur de ces fleurs fraîchement cueillies.

 

Le bigaradier a vu le jour en Chine, 200 ans avant le début de notre ère. Il s’est étendu vers l’ouest, d’abord chez les Sumériens, puis dans l’Ancienne Égypte pour, finalement, arriver en Espagne, amené par les Arabes. Par distillation à la vapeur de ses fleurs magiques, on obtient une huile essentielle : le néroli. Elle détient des pouvoirs très recherchés. Elle rééquilibre le système nerveux en calmant, relaxant, apaisant. Les femmes enceintes l’utilisent et elles s’en serviront, plus tard, pour améliorer l’eau du bain de leur bébé. Elle parfume la pâtisserie et s’emploie en cosmétique et en parfumerie. Elle sert de base à la fabrication de l’eau de Cologne.

 

Arthur Garrigue a également participé à la cueillette des oranges douces et à leur expédition vers Valence et Madrid. Il était heureux comme un enfant qui a reçu un cadeau. Mais, il n’a pas pu s’empêcher de remettre sur le tapis, le régime politique espagnol, sous l’œil réprobateur de son épouse qui sait que son républicain de mari s’enflamme facilement.

En avril 1879, l’Espagne est une monarchie constitutionnelle libérale depuis que la nouvelle constitution de 1876 a été approuvée et qui, d’ailleurs, restera en vigueur jusqu’en 1923. C’est une monarchie constitutionnelle et libérale sans être démocratique et parlementaire. À ce jour, le roi d’Espagne est Alphonse XII depuis janvier 1875. Dès son retour de France, il est proclamé roi par les Cortes (les députés). Il a 17 ans. Il est le fils de la reine Isabelle II et du prince consort François d’Assise.

Il met fin à la guerre carliste menée par le prétendant au trône, Charles de Bourbon, et grâce au pacte de Zanion, il arrive à suspendre les hostilités à Cuba. Il passera à la postérité sous le nom d'Alphonse XII "le Pacificateur".

 

Il avait épousé le 23 janvier 1878, en premières noces, sa cousine, l’infante Maria de las Mercedes d’Orléans mais à l’âge de 18 ans, elle meurt du typhus. Il est donc veuf à 20 ans. En avril 1879, il est pressé de toute part, pour qu’il se remarie afin d’assurer sa descendance.

Le règne d’Alphonse XII se révèle exemplaire. Il met en œuvre la consolidation du réseau ferroviaire et assure l’essor du secteur minier, pendant que les exportations augmentent de façon significative. La crise du phylloxéra, affectant le vignoble français, va lui permettre d’envoyer le vin espagnol en France. Mais, les grands bénéficiaires seront la haute noblesse et la bourgeoisie.

Ainsi va l’Espagne, à la naissance de Juan de Almanzar junior, le 29 avril 1879.

 

Françoise Maraval

 

 

                                                                         



02/12/2023
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